Publié le : 11 novembre 2014
Source : bvoltaire.fr
Le monde flambe, la maison brûle : au Mexique, où l’Etat et le crime organisé se disputent le maintien de l’ordre quand ils ne se partagent pas le pouvoir, quarante-trois étudiants sont assassinés dans des conditions atroces simplement pour s’être trouvés là où un petit chef de bande ne voulait pas qu’ils fussent ; au Nigeria, où les frontières entre le terrorisme et le droit commun sont de plus en plus incertaines, quarante-six lycéens paient de leur vie d’avoir voulu accéder à l’éducation occidentale ; en Israël, après quelques semaines d’un relatif retour au calme, on est de nouveau à la veille d’une conflagration armée ; en Ukraine, les hostilités qui n’avaient jamais vraiment cessé reprennent de plus belle ; en Egypte, le groupe insaisissable qui fait régner la terreur sur la péninsule du Sinaï proclame son allégeance à l’Etat islamique… Cependant, en France, les médias et la classe politique qui vivent décidément dans la même bulle, penchés sur leur nombril, coupés du monde et de la réalité, consacraient hier encore, en un jour férié de pagination réduite et de recueillement national, gros titres et interminables développements à ce qui se serait dit ou pas dit au cours d’un repas ridicule qui semble mériter à leurs yeux de rester dans l’histoire au même titre que l’entrevue de Montoire ou la signature de l’armistice. Le Monde ? La Une et deux pages intérieures. Le Parisien ? La Une et deux pages. Le Figaro ? La Une et trois pages. Libération ? La Une et quatre pages !
Il est vrai qu’un certain nombre de points importants de ce qui nous est présenté comme rien de moins qu’une affaire ou un scandale d’Etat restent encore incertains ou mystérieux…
Jean-Pierre Jouyet a-t-il pris contact le premier avec François Fillon, et comment ? François Fillon a-t-il approché Jean-Pierre Jouyet, et de quelle manière ? Est-ce Antoine Gosset-Grainville qui a téléphoné à François Fillon de la part de Jean-Pierre Jouyet ? Ou au contraire à Jean-Pierre Jouyet sur la demande de François Fillon ? Les trois convives sont-ils venus à leur rendez-vous à pied, en métro, en voiture ? Si c’était en voiture, s’agissait-il d’une voiture de fonction ? Leur table était-elle réservée, et par lequel d’entre eux, et à quel nom ? N’ont-ils bu que de l’eau, et si ce n’est pas le cas, qui a choisi le vin ? Bordeaux ou Bourgogne ? Qui l’a goûté ? Ont-ils commandé une deuxième bouteille ? Ont-ils opté pour le menu de midi, à prix réduit, ou ont-ils déjeuné à la carte ? Dans cette hypothèse, ont-ils pris fromage et dessert ? Ou seulement fromage ? Ou seulement dessert ? A quel moment et par qui ont été d’abord prononcés les noms et les mots suivants : « Sarkozy », « Hollande », « Bygmalion », « pénalités », « instruction », « nabot » ? Ont-ils divisé l’addition en trois ? Sinon, lequel a payé ? En liquide ? Avec sa carte bleue ? A-t-il demandé qu’on mette la note sur son compte ? A combien se montait-elle ? A-t-il laissé un pourboire, de quel montant ? Sous la forme d’un billet ou de quelques pièces ?
On mesure, à l’ampleur, à la diversité et à l’intérêt de ces questions l’énormité de l’événement. Les choses étant ce qu’elles sont, nous ne doutons pas que la presse et la justice feront, comme d’habitude, leur travail.
Dominique Jamet