Publié le : 20 novembre 2014
Source : solidarisme.fr
Allocution remaniée de Serge Ayoub lors de la 8ème journée de Synthèse nationale, sur le thème « Nations et Civilisations ».
Occident
On ne conçoit généralement la nation que comme une brique d’un super-ensemble, la civilisation. On s’en tient généralement à cette relation conceptuelle de la partie au tout : la civilisation serait l’ensemble des dénominateurs communs d’un groupe de nations. La civilisation a donc souvent ce caractère flou et distant des concepts mous, facilement utilisable comme justificatifs de toutes les politiques. Et rares, même dans le camp national, sont les efforts pour définir en profondeur ce qu’est une civilisation, et surtout, ce qu’est la nôtre.
Qu’est ce donc que la civilisation ? C’est à la fois la durée et l’histoire. C’est à la fois la permanence d’une identité et un sens, une évolution, donc des changements. Dont les articulations dessinent des séquences et des « ères ». La Rome antique est une « ère » de l’Europe, c’est-à-dire un ensemble de séquences qui ont une cohérence entre elles, ainsi qu’un début et une fin. Par opposition, la répétition cyclique d’un même état n’est pas une civilisation, de même par exemple que la photocopie d’une même journée ne fera jamais une vie. Autre exemple : les générations de chasseurs cueilleurs du paléolithique ne sont pas une civilisation.
Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont que le présent. Sans conscience du passé, ils ne se projettent pas dans l’avenir. Dire qu’il y a une civilisation européenne âgée de 30 mille ans est un abus de langage, car la possibilité d’une civilisation naît avec l’agriculture et la sédentarité, il y a environ 10 mille ans. Une civilisation, comme une nation et un homme, ça nait, ça vit, et ça meurt. Pour autant, l’identité, la permanence, la substance, est tout autant constitutive d’une civilisation que son évolution. S’il y a évolution, il faut bien qu’il y est un sujet de cette évolution, autant qu’un prédicat ne fera jamais une proposition à lui seul. La question de la civilisation ne peut logiquement se départir de la question de ce qui demeure à travers ces grandes ères que sont les civilisations.
Ce qui caractérise, notre civilisation occidentale, c’est à la fois son histoire (donc l’histoire de ses évolutions) et sa permanence, donc son identité. Cette identité est, de manière primordiale, indo-européenne. Depuis près de 2000 ans, elle est de culture pagano chrétienne, et gréco-latine. Elle existe sur un territoire donné, l’Europe, et avec des peuples déterminés, pour l’essentiel des slaves, des celtes, des germains, des gréco-latins. Ce qu’on appelle l’Occident n’est en ce sens qu’une excroissance de la civilisation européenne, auquel nous avons annexé l’Amérique du Nord et une partie de l’Océanie.
Intéressons nous maintenant à notre ère, puisque c’est elle qui définit précisément notre civilisation. Elle est le fruit d’une mutation radicale, qui influence la perception même du temps au sein de notre civilisation. Cette rupture historique, ce n’est ni la Révolution française, ni les lumières, mais à la révolution industrielle que nous la devons. Notre civilisation est l’Europe industrialisée, l’Europe des modes de vie capitaliste. L’industrialisation est la caractéristique dominante de notre civilisation occidentale actuelle. En moins de deux cent ans, elle a changé profondément nos modes de vie.
Rappelons que du néolithique au 18ème siècle, les conditions d’existence des Européens, essentiellement basées sur l’agriculture, n’ont pas fondamentalement changé. La principale rupture se fait entre 1820 et les années 1970. Un exode rural massif transforme notre civilisation en créant une nouvelle classe sociale, urbaine, la classe ouvrière. C’est une classe détachée de son tissu social traditionnel et qui s’agglutine dans des cités ouvrières. Pour la première fois une catégorie sociale entière est massivement déracinée. Un pan considérable de la population cesse d’avoir son quotidien réglé par les rythmes naturels des jours et des saisons. Il s’agit d’une rupture anthropologique aussi importante que la révolution agricole du néolithique.
Aujourd’hui en 2014, la communauté traditionnelle par excellence, les agriculteurs représentent, à ce jour moins de 3% des actifs. D’ailleurs la grande majorité d’entre eux s’est adaptée à une agriculture intensive capitaliste moderne qui a peu à voir avec les modes de production traditionnels. Détaillons rapidement les grands traits de la révolution industrielle.
D’abord, le progrès technique. C’est le déclencheur et la colonne vertébrale de cette ère civilisationnelle. C’est parce que nous sommes la civilisation du progrès technologique que nous sommes aussi celle de la croissance capitaliste et de l’explosion démographique. On peut dire qu’à partir du 19ème siècle, croissance économique et avancée technique deviennent des conditions sine qua non de la puissance des nations et le critère universel de leur hiérarchisation.
Le second trait est la consommation massive de ressources naturelles non renouvelables. L’économie ne se contente pas seulement d’arracher les ouvriers aux rythmes naturels des saisons et des jours, c’est toutes les formes de productions qui s’émancipent des cycles naturels. Avant la révolution industrielle, les sources principales d’énergies sont renouvelables et accessibles en fonction des cycles naturels : l’eau, la terre, le vent, le soleil, le bois, etc. En découvrant comment utiliser les immenses réservoirs d’énergies fossiles, l’homme a accédé à un niveau de puissance inouïe. Le modèle économique change radicalement.
Finie la jachère. Finie la lente et parcimonieuse gestion des ressources forestières. Finie la consommation hebdomadaire voire mensuelle de viande. En moins de deux cents ans, la civilisation occidentale et ses épigones asiatiques ont mis la nature en état de disponibilité maximale. Les distances raccourcissent avec la démocratisation des transports. Les corvées disparaissent avec l’électroménager. Loisirs, congés payés, acquis sociaux modernes, font leur apparition. En 200 ans, nous avons gagné 40 ans d’espérance de vie. On oublie trop souvent ce que nous devons à notre civilisation industrielle.
Le troisième trait découle des deux premiers. Progrès technique et besoin en ressources naturelles vont respectivement permettre et obliger l’Europe à devenir l’Occident, c’est-à-dire la civilisation de la domination mondiale. Le levier de pouvoir que constitue l’industrialisation est tellement fort que les civilisations concurrentes de l’Europe n’ont guère le choix : s’y adapter plus ou moins efficacement ou être complètement marginalisées. Le Japon s’y adaptera en moins de 30 ans à la fin du 19ème siècle, sous l’ère Meiji. Deux guerres mondiales plus tard, il fut un temps la seconde puissance mondiale. L’ère industrielle fonctionne comme toutes les bulles spéculatives : même si on sait logiquement qu’une croissance infinie dans un monde fini est forcément un phénomène provisoire et non durable, même si on sait tout ce que l’on risque à faire dépendre nos sociétés à ce point de la croissance, il est impossible de ne pas y « entrer ». Ce serait se condamner à un déficit de puissance tel qu’il mènerait à une marginalisation inéluctable du concert des Nations. Les tribus amazoniennes et celles de Papouasie Nouvelle-Guinée peuvent en témoigner.
Quatrième trait : la croissance est le carburant indispensable aux sociétés issues de la révolution industrielle. Sans croissance, aucun investissement n’est rentable, et donc personne n’investit. Sans elle, jamais la bourgeoisie ancienne et la noblesse terrienne n’auraient pu se reconvertir de la terre vers les usines de l’économie capitaliste.
Dernière caractéristique fondamentale, presque métaphysique : le temps lui-même s’accélère. Les distances et donc le temps, ne sont pas les mêmes à cheval, en train ou en avion. Sortie des cycles naturels, la temporalité n’est plus mesurée que par l’impatience de la volonté humaine et les ressources de son ingéniosité.
Cela c’est l’Occident, et c’est le présent. Comparons-le avec la civilisation européenne qui l’a précédé. D’après moi, c’est de cette opposition que naît le véritable choc de civilisation.
Avant
La civilisation européenne que l’on peut qualifier de pré-moderne, est elle-même héritière des anciennes civilisations gréco-latines. Par opposition à notre civilisation moderne, le moteur de ces civilisations anciennes, c’est, d’après moi, la force communautaire.
Prenons un exemple : les cathédrales. Leur construction aurait été impossible selon la logique capitaliste. La rentabilité court-termiste exclut d’emblée des projets dont l’exécution même dépasse la vie humaine, et dont la rentabilité n’est pas convertible en devises. Or ces grands projets d’après moi incarnent la synergie des intérêts particuliers et de l’intérêt général communautaire. À l’époque des cathédrales, le foyer communautaire est celui de la ville et des villages alentours (d’où l’importance de la hauteur de la cathédrale : plus haute elle était, plus étendue était son « territoire »). Foyer solidifié par la religion catholique au sens étymologique du terme, c’est-à-dire ce qui « relit », « ce qui tient ensemble ». Sans effacer l’intérêt particulier des ouvriers qui ont, contre salaire, bâti la cathédrale, la religion et la force communautaire leur donne une cohérence et un sens qui ne se réduit pas à la logique de l’intérêt capitaliste. De surcroît, l’individu touche, en participant à une œuvre durable qui le dépasse, à une ambition profonde, pré-civilisationnelle, qui nait dès que l’homme, dès le paléolithique, prend conscience de la mort et de son caractère inéluctable : l’ambition d’immortalité. Si toutes les civilisations ont voulu bâtir des monuments grandioses, conçus pour durer indéfiniment, donnant ainsi un semblant d’éternité à des productions de l’âme humaine, si toutes les civilisations ont inventé des arrières-mondes et des perspectives d’existence post-mortem, c’est que cette ambition d’immortalité est aussi profondément ancrée en nous que l’angoisse liée à notre propre fin.
Il y a là une différence profonde avec notre ère. Alors que les grands travaux résultaient dans l’ancien monde de l’ambition d’immortalité d’une communauté, ils sont aujourd’hui accessibles à l’investisseur individuel, pour peu que la croissance procure une espérance de rentabilité à court terme. Cette temporalité ancienne et cette puissance du lien communautaire par rapport aux capacités dérisoires de l’individu, impliquaient une éthique et une morale spécifique. Envisageons Rome, cet ancêtre encore plus lointain de notre civilisation.
Qu’était Rome ? Une nation de prédateurs, de pillards magnifiques, gouvernés par leurs appétits et leurs ambitions, et qui n’hésitent jamais à se servir allègrement sur les cadavres des peuples conquis… Sauf qu’ils n’oublient jamais, malgré l’enrichissement personnel, que la grandeur de Rome est la véritable finalité de leur existence. La vie de Jules César, animal politique froid et calculateur, qui soumet la Gaule pour mieux prendre Rome, en est le parfait exemple. Cet homme a pourtant tellement fait pour la grandeur de Rome, que encore son nom en devint l’épithète : « la Rome des Césars ».
Quand je dis ça, je ne fais pas d’angélisme. Les romains étaient des pragmatiques. Les patriciens et la plèbe comprennent que c’est Rome qui garantit leur pérennité et que leur enrichissement parfois éhonté n’est que le miroir de la grandeur de Rome. L’homme ancien a compris que sa survie, dans tous les sens du terme, dépend de la communauté. Il peut en profiter mais en fin de compte il sait qu’il lui doit tout. À ce moment de la civilisation européenne, une nation, une communauté, ne se construit que sur cet équilibre des intérêts collectifs et individuels. C’est peut être ainsi que l’on pourrait interpréter, quelques siècles plus tard, dans le grand siècle, la différence de traitement entre Mazarin et Fouquet.
Tous deux sont des ministres de Louis XIV. Le premier, Mazarin, se retire avec tous les honneurs et une fortune colossale tirée directement des caisses de l’État, de l’autre, le second, le surintendant Fouquet, ne sortira pas libre d’une fête un peu trop grandiose dans son château de Vaux le vicomte. Ils ont plusieurs points communs : ils ont le même roi, ils piquent dans les caisses de l’État. Pourquoi une retraite dorée pour l’un et un cachot plombé pour l’autre ? Le premier, aussi corrompu qu’il ait pu être, avait contribué à la grandeur et la prospérité de la France, alors que le second ne s’était qu’enrichi. La postérité qui est une fille sévère a donné comme souvenir immortel la gloire à Mazarin et le déshonneur pour Fouquet.
Autre temps, autre mœurs.
Notre société post révolution industrielle a oublié ou perverti ces principes fondamentaux de la civilisation européenne. C’est là que je choisis de concevoir le véritable choc de civilisation, celui qui conditionne tous les autres.
Autre exemple : Souvenez-vous du scandale d’Elf. Loic Le Floch Prigent, mis en examen pour corruption et incarcéré avait déclaré en substance pour sa défense : « J’ai durant mon exercice servi si bien mon groupe, Elf, et mon pays qui se sont imposés comme des leaders mondiaux, que je ne comprend pas pourquoi on m’ennuie pour des histoires de backchich. » Je caricature certes un peu, et les détournements de fond étaient il est vrai colossaux. Mais Le Floch Prigent avait-il fondamentalement tort, du point de vue l’intérêt supérieur de la Nation ? Son cas est à mes yeux beaucoup moins scandaleux que celui des dirigeants qui se négocient des parachutes dorés et qui sortent millionnaires après avoir organisé une faillite sociale. On peut opposer ce patron à l’ancienne à un homme d’affaires très moderne lui : Bernard Tapie. Il y a des années, un cadre de la gauche locale de la France, je crois, avait créé un scandale en claquant la porte de celui-ci et en révélant les propos de Tapie. Aux doutes du cadre local qui ne trouvait plus de socialisme dans le programme de Tapie, celui-ci avait répondu : « Mais tu n’as rien compris, ce qui compte c’est avoir le pouvoir, le reste on s’en fout ! » Le choc de civilisation se situe d’abord là.
Il y a les valeurs héritées du monde ancien. Ces valeurs ont fait la fortune de nos nations. Ce sont ces valeurs qui sont les fondations de la réussite actuelle. Honnêteté, équilibre entre profit individuel et intérêt communautaire, sens de la mesure. Et il y a le système capitaliste issu de la révolution industrielle. Peu à peu, il a produit des déséquilibres, conformément à son ADN issu de la révolution industrielle et de la consommation croissante de nos stocks d’énergies fossiles. L’impérieuse accumulation des actifs remplace toutes les valeurs qui modéraient l’ancienne manière de commercer. La croissance étant désormais l’ingrédient indispensable à la puissance d’une nation, la richesse devient peu à peu l’unique critère de hiérarchisation sociale. Toutes les qualités qui auparavant complétaient la puissance d’un homme, comme le bon goût, le courage, le sens du devoir, la modération deviennent avec l’extension de la logique capitaliste des freins potentiels à l’accroissement de la fortune individuelle. Marx a pourtant montré à quel point le besoin d’accumulation du capital débouchait nécessairement sur des crises de débouchés. C’est ce qu’il appelait « les contradictions internes » du capitalisme. Avec le triomphe de celui-ci, l’homme est sommé d’abandonner son univers moral pour une culture de l’excès qui correspond à une fuite en avant économique.
Individualisme
Des règles austères (mais pas totalitaires) de la vie rurale dans les temps qui précèdent l’urbanisation aux revendications aberrantes du LGBTisme validées par la représentation nationale, il y a moins d’un siècle. Aucun effondrement moral n’avait été aussi rapide, aussi profond que celui qui touche les sociétés occidentales. Difficile d’imaginer le regard fasciné que les historiens des temps futurs jetteront sur cette période durant laquelle une civilisation entière a subitement, en moins de 3 générations, cessé de croire en Dieu et traité toute forme de contrainte collective comme un insupportable symptôme d’aliénation.
Qu’est-il arrivé ? L’anonymat. La disparition du village communautaire au bénéfice d’aires urbaines gigantesques et de lotissement dortoirs nous a poussé vers une civilisation de l’anonymat. La vie privée est apparue en même temps que nous nous extirpions de cette agora permanente que constituait la communauté organique et du regard sévère qu’elle portait sur toute forme, même légère, de déviance. Sans cette pression de la communauté structurée, sans un étroit tissu social, comme l’a écrit Durkheim dans Le suicide, le comportement et la morale humaine s’effritent, puis s’effondre. L’individualisme prospère sur les ruines de l’ancienne communauté populaire qui conditionnait la mentalité de tous, même de l’élite (1).
Au sein du village communautaire, la réputation compte, pour le peuple comme pour les seigneurs. En ville la réputation compte de moins en moins, et finit par ne plus compter même pour les gens célèbres. DSK peut se permettre des interventions au Sénat après le scandale du Sofitel. Cahuzac fait des bons mots dans la presse, et Sarkozy un retour en politique malgré des soupçons de corruption gigantesque. Dans une civilisation individualiste urbaine, la honte n’existe plus, parce que la communauté n’existe plus. L’idéologie libertaire, qui n’est que celle de l’anonymat urbain, a rendu cet immense service au capitalisme, détruire toutes les valeurs qui pouvaient, comme je l’ai dit, gêner les appétits comme les carrières. On me dira que je caricature, que toute morale n’a pas disparue… En fait si.
Regardez par exemple les cas de Trierweiler, de Duflot, de Morelle, de Buisson, de Besson, et l’absence totale de scrupules et de « common decency » de ces personnages. Tous, à des degrés divers, ont trahi, sans la moindre hésitation, et mordu la main qui les avait nourris. Vendre quelques dizaines ou quelques centaines de milliers d’exemplaires mérite bien d’enfoncer un peu plus le président d’une gauche dont on continue de se réclamer. En ce qui concerne Buisson, avoir été pris en flagrant délit de duplicité à l’égard de son patron ne l’empêche pas de se poser en victime et en juge de celui-ci. Si Buisson le royaliste était, comme il le prétend, l’héritier de valeurs traditionnelles, après avoir été découvert comme un petit intriguant de la Stasi finissante, il se serait suicidé pour sauver son honneur.
De nos jours ces scandales se gèrent comme n’importe quelle crise, avec une bonne dose de marketing et de storytelling. On se fait oublier deux ou trois mois, guère plus, puis on revient discrètement, pour dire « qu’on est jamais fini. » L’individualisme et l’accélération du temps on fait que la réputation morale cesse d’être un enjeu de l’existence d’un homme. Ce qui est décisif c’est la narration et sa scénarisation. Ainsi, du point de vue de la morale traditionnelle, le livre de Trierweiler est la trahison la plus puante de la 5ème République : jamais on avait osé vendre à l’encan les coulisses sentimentales d’une présidence en exercice. L’impérieux besoin d’exprimer sa vérité, besoin caractéristique de l’ère de l’individu, occulte toutes les règles et tous les tabous.
Avec le concept de réputation, ce sentiment d’exister dans le cœur des autres, sentiment typique des organisations communautaires, disparaît aussi le désir d’immortalité. Si ce qu’on pense de vous de votre vivant n’a plus d’importance, ce que l’on peut en penser après votre mort, encore moins… Vous croyez que François Hollande a les moyens de penser à la manière dont on va se rappeler de lui après sa mort ? De son vivant c’est déjà une poubelle de l’histoire… Il devient ainsi ridicule dans notre société de consacrer le moindre effort à la constitution d’un patrimoine symbolique post mortem. Pourtant, c’était un moteur puissant pour ceux qui ont fait notre civilisation : Racine, Napoléon, De Gaulle et bien d’autres dont nous nous souvenons moins.
Résumons les caractéristiques de notre civilisation occidentale : industrielle, urbaine, individualiste, affranchie des cycles naturels et soumise à l’impatience des volontés individuelles, affranchie des structures communautaires, et enfin, incapable de produire une éthique collective autre que la poursuite par chacun de son succès individuel. Ainsi caractérisée, l’ère que nous traversons est d’après moi une anti civilisation.
D’abord ce choc entre civilisation ancienne et nouvelle civilisation est d’abord un choc entre une mentalité hyper-individualiste et des valeurs « holistes », c’est-à-dire communautaires, encore partagées par les couches populaires, malgré l’urbanisation des modes de vie. Le géographe Christophe Guilluy a bien montré que pour toute une majorité de Français relégués dans des territoires périphériques, le « village communautaire », c’est-à-dire le « nous symbolique » dans laquelle l’individu « à l’ancienne » projette son destin, était toujours une notion primordiale. On ne comprend rien au peuple si on ne comprend pas que pour les perdants de la mondialisation, que pour les ratés de l’aventure de l’individualisme capitaliste, le seul vrai bien reste la communauté. A celui qui n’a plus rien, il reste la patrie disait Jaurès, pourtant défenseur acharné de l’individualisme moral et philosophique. Ces « nous » périphériques que les élites urbaines regardent comme un agrégat hostile, potentiellement fascisant voire carrément insurrectionnel, sont pourtant le négatif de notre anti-civilisation. Ces foyers de résistance à la civilisation mondialiste sont bien plus des vestiges d’un monde ancien, ils sont le négatif de la modernité finissante. Si ces nouveaux « villages communautaires » ont une tendance à adhérer aux « vieilles » valeurs, ne nous leurrons pas, il ne constituent pas le début d’un quelconque retour en arrière. Ils sont les foyers d’une civilisation post-industrielle, démondialisée ou « démondialiste ». Ils sont l’avenir bien plus que le passé. Ils seront les bâtisseurs des grands travaux à venir, car ils n’ont pas trouvé d’intérêt à l’économie individualiste en cycles courts. La mentalité d’un Sarkozy ou d’un Tapie produit en fait à une pratique contraire à la construction civilisationnelle. L’homme qui ne désire que l’augmentation de son confort personnel et de sa petite famille, voire de sa petite tribu, n’est pas radicalement éloigné de l’homme préhistorique ou pré-civilisationnel. L’homme civilisé, lui, est justement celui qui est capable d’inscrire son action, sa pensée dans un sens historique, donné par une nation, une religion, ou une communauté.
Construire vite, démolir rapidement et reconstruire par-dessus pour rentabiliser, voilà qui n’a jamais rapporté que précarité aux perdants de la mondialisation. Car ces perdants du mondialisme le savent déjà, le problème fatal de l’ère industrielle, c’est ce qu’il se passe lorsque la croissance s’essouffle, et que le temps cesse d’être rémunérateur… Dans cette situation, qui désormais peut investir ? Pas l’individu. Aucun intérêt d’investir dans un projet long et couteux qui risque de ne pas rapporter. Même si nous n’en comprenons pas forcément les mécanismes en détail, nous sommes tous capables de saisir ce que signifie le nec plus ultra de l’action capitaliste individuelle : le pari à la baisse sur des valeurs boursières.
Le temps long, le temps de la civilisation, lui, aura bientôt cessé d’être rémunérateur. La croissance globale de l’économie était ce qui maintenait une cohérence entre l’individualisme prédateur et le progrès général de l’Occident (puis de l’Occident mondialisé). Désormais et (sauf miracle énergétique) pour les décennies à venir, la seule instance à même de supporter le risque d’une perte importante et les coûts d’investissement inhérents aux grands travaux, même en situation de décroissance, ce sera la nation, ce sera la communauté. Avec la rareté énergétique, les solutions socio-économiques viendront de ceux qui par la force des choses préfèrent réparer que renouveler, bricoler soi-même que demander un devis à une société, échanger des services plutôt que des prestations tarifées, développer l’entraide, la coopération (le don et le contre-don), en un mot la solidarité, plutôt que l’augmentation d’un pouvoir d’achat fragilisé.
Politique et civilisation
Sortir par le haut de l’anti-civilisation occidentale-mondialiste suppose de relever deux défis majeurs, qui affectent notre être et notre état, notre substance et notre prédicat, notre peuple et notre niveau de vie.
Nous sommes une civilisation de l’énergie bon marché. La raréfaction des combustibles fossiles risque probablement de faire s’effondrer nos modes de vies. En l’état actuel de la technologie, sans pétrole ni charbon, c’est plus de la moitié de la population française qui devra retourner cultiver la terre, et avec un rendement probablement deux fois moindre. Ce serait une véritable contre révolution industrielle, avec des effets politiques que je ne me risquerai même pas à prédire. Est-ce que cela se produira ? Il est en tout cas facile d’imaginer un écroulement par paliers successifs de notre société et de nos modes de vies si des énergies de substitutions bon marché ne sont pas trouvées rapidement.
La seconde menace est bien connue de nos milieux. Cela fait des années que nous la dénonçons. Il s’agit de l’immigration de masse, qui change la substance même de nos peuples. On ne fait pas la même civilisation lorsque l’on est en minorité sur sa terre, et si vous ne le croyez pas, demandez aux chrétiens d’Irak ou aux Kabyles d’Algérie.
Seulement, ces deux graves menaces ne peuvent pas être traitées par nos politiques. Observons les deux partis qui sont les plus à même de répondre à ces deux menaces. D’un côté, les Verts n’envisagent pas assez sérieusement les problèmes de viabilité de notre modèle énergétique. De l’autre côté, le FN ne parle pas assez franchement des problèmes de substitution de population. Ce n’est pas forcément une preuve de malhonnêteté, mais un signe d’adaptation de ces partis au temps politique et aux cycles courts des rythmes électoraux. En effet, relancer la natalité européenne et faire remigrer dignement une partie conséquente des extra-européens dont la présence bouleverse, quelles que soient leurs intentions, la substance de nos nations, est un projet sur 20 à 30 ans. Il en est de même pour une vraie transition énergétique qui nécessiterait d’investir sur des projets de recherche à long terme. Voilà deux vrais objectifs de civilisation.
La seule question à se poser est : quels moyens politiques peut on mettre en œuvre pour atteindre nos objectifs de civilisation ? À mon avis ces objectifs ne pourront être réalisés que par l’élite réelle de notre pays. Celle qui porte en elle la force communautaire nécessaire à la construction de projets en cycles longs. Cette élite existe, c’est le peuple. C’est lui qui travaille, croit, espère. C’est lui encore qui est à prêt à se battre, à lutter, à manifester pour son bonheur et pour son honneur. Alors c’est à eux qu’il faut directement confier le pouvoir.
C’est avec le peuple que nous pouvons relancer notre civilisation, instaurer des institutions basées sur la démocratie la plus directe possible, et des mandats impératifs et révocables. C’est ainsi que nous inscrirons l’action politique dans des projets de civilisation. Il faut rendre sa souveraineté au peuple. Il faut inscrire les objectifs de civilisation dans une constitution votée par référendum et modifiable uniquement par référendum. Cela veut dire aussi mettre en place un système de contrôle populaire sur le pouvoir politique. Voilà les bases de tout projet sérieux et ambitieux pour notre nation, garant de notre civilisation : un pays gouverné par le peuple et pour le peuple.
Serge Ayoub
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1) La pression communautaire s’exerçait différemment sur l’élite, à savoir la noblesse féodale. Comme l’a décrit Michel Drac dans La question raciale la brique de base des sociétés féodales est la lignée, non le village communautaire. Mais la pression éthique ne s’exerce pas de manière moins forte sur les lignées nobles, elle s’exerce de manière différente : l’important est d’être fidèle à une tradition et à un héritage familial, et de s’en montrer digne.