Publié le : 07 janvier 2015
Source : lepoint.fr
Le ministre de l’Économie devait incarner le renouveau de la gauche. Il est devenu le symbole de son égarement. Le coup de gueule de Charles Consigny.
Emmanuel Macron, qu’on disait si maîtrisé, si intelligent, si propre, si jeune, sera finalement la Marie-Antoinette de ce gouvernement. Gaffant à loisir sur les ouvrières illettrées, donnant ses interviews depuis des salons dorés alors qu’il a lui-même déjà l’air d’un salon doré, le voilà qui explique, quand tout prouve une incroyable déroute spirituelle, morale et culturelle de notre pays, que les jeunes Français doivent avoir pour rêve de… devenir milliardaires. Et cet étrange voeu a été formulé, par ailleurs en pleine offensive de François Hollande à gauche, depuis… Las Vegas, et ce n’est pas fini, car c’est un triplé gagnant, c’est dans Les Échos, grand quotidien économique de droite propriété du groupe de luxe LVMH, que M. Macron a choisi de décocher cette idée lumineuse. Le président Chirac aurait dit de ce gars-là qu’il a « le sens politique d’une huître ».
Diplômé de Sciences Po et de l’Ena, ces écoles qui forment les gens qui portent la dette de la France à 2 000 milliards d’euros et lui font perdre des places dans les classements des grandes puissances mondiales, Emmanuel Macron a été, on l’a répété un millier de fois, l’assistant du philosophe Paul Ricoeur, l’un des intellectuels majeurs du XXe siècle. Le ministre de l’Économie a été aussi banquier d’affaires chez Rothschild : il avait donc tout pour marcher sur ses deux jambes. On nous a vendu un surdoué qui pense et qui agit, qui connaît le public et le privé, la culture et l’argent, bref, un Frankenstein de cette nouvelle gauche à la fois ouverte sur le monde et bien arrimée à ses origines. Las, comme l’avait prophétisé François Mitterrand, c’est l’argent qui gagne à tous les coups et M. Macron s’est laissé griser par le carton-pâte de Las Vegas, symbole fascinant, kitsch et un peu cauchemardesque du grand vide capitaliste qui conduit certains jeunes Occidentaux en mal d’immatériel à faire leur service militaire en Irak ou en Syrie dans les rangs islamistes.
Régis Debray a pourtant mis sa gauche en garde, dans sa très bonne Erreur de calcul (éditions du Cerf, 5 euros – pas cher pour qui rêve d’être milliardaire), expliquant qu’elle se fourvoyait dans l’illusion économique, et qu’à ne parler que de chômage et de taux de calcul des pensions de retraite on diluait la nation, qui ne peut pas exister si elle n’est perçue et gouvernée que comme une compagnie d’assurances.
De Malraux à Jacques Attali
Hélas, nous avons en France des intellectuels dont la qualité est devenue inversement proportionnelle à l’audience qu’ils rencontrent auprès des gouvernants. Lesquels ne savent plus s’abreuver qu’auprès d’économistes semblables aux Pythies romaines, crus sur parole, alors que toutes leurs prédictions se révèlent régulièrement fausses. Jadis, c’était Malraux qui conseillait le roi ; aujourd’hui, c’est Jacques Attali. Naguère, c’était un écrivain immense, un aventurier, un poète ; désormais, c’est un businessman hors sol qui passe le plus clair de son temps dans des aéroports et ne semble pas comprendre pourquoi la populace n’en fait pas autant. C’est par son entremise que François Hollande a rencontré Emmanuel Macron – la boucle est bouclée.
On pourra quand même se faire l’avocat du diable une seconde, car, s’il est désespérant de constater, comme Alain Finkielkraut, que » le vide insondable de la jet-set est devenu plus attrayant que la culture de Jacqueline de Romilly « , on ne peut pas occulter la névrose qu’entretiennent les Français vis-à-vis de l’argent, encore que c’était déjà vrai à l’époque de Tocqueville et qu’une telle persistance à travers les siècles semble devoir nous conduire à conclure que c’est là un caractère de notre peuple qu’il est vain d’essayer de changer.
Enfin, si la France est effectivement minée par la jalousie générale, la haine des riches, l’obsession fiscale et le découragement de quiconque essaie d’entreprendre, elle connaît un autre problème autrement plus inquiétant, qui est l’inculture générale. Les jeunes d’aujourd’hui ne lisent plus. Ils entrent dans le monde vierges de toute connaissance du passé, comme d’éternels nouveau-nés. Ils se moquent de leur professeur parce qu’il gagne mal sa vie. Ils boivent pour remplir leurs âmes vides. Supposés enrayer cette déroute, nous avons une ministre de l’Éducation nationale qui passe un concours permanent de langue de bois, une ministre de la Culture qui se vante de ne rien lire et un philosophe qui présente la thune comme un horizon pour les générations à venir. Vivement que ça s’arrête !
Charles de Consigny