Publié le : 30 janvier 2015
Source : cercledesvolontaires.fr
Mon pays est malade. Je ne reconnais plus ma patrie, dite « des droits-de-l’homme ». Suite aux attentats de Charlie Hebdo, et à la récupération à la fois politique et médiatique de cet événement dramatique, une sorte de folie collective a pris bon nombre de mes concitoyens, transformés par millions en « Charlie », quand bien même la plupart n’avaient jamais acheté un seul exemplaire de ce journal satirique de leur vie… Ne voient-ils pas la supercherie dont ils sont à la fois les victimes, et les acteurs ?
Alors qu’ils étaient appelés à venir manifester en masse le 11 janvier dernier, notamment pour soutenir la liberté d’expression, dès le lendemain une chape de censure sans précédent s’était abattue sur la France. A tel point qu’Amnesty International s’en est inquiété : arrestations abusives, y compris de jeunes adolescents, restrictions des libertés, y compris d’expression, y compris de la caricature, stigmatisation de l’Islam… Bref, nous assistons à un triomphe de la pensée unique, avec ses tribunaux inquisitoires, et ses grands prêtres de la Morale. Les plus attentifs n’auront pas manqué d’observer une liberté d’expression à géométrie variable, et des tentatives de récupérations politiques plutôt grossières, afin de servir des agendas politiques ; Benjamin Netanyahou s’est particulièrement illustré dans cet « exercice » cynique au possible.
« Nous devons repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie »
Dans ce contexte, la première journaliste à m’avoir donné des frissons dans le dos (des frissons d’effroi, je précise), c’est Nathalie Saint Cricq, qui répondait sur France 2 à la journaliste Elise Lucet. Je vous relaie l’extrait, d’autant plus que les français qui ne regardent plus la télévision sont de plus en plus nombreux, paraît-il…
Elise Lucet : « Comment les politiques peuvent-ils être à la hauteur des attentes qui sont immenses ? »
Nathalie Saint Cricq : « Et bien, Elise, en travaillant ensemble, afin de déterminer sans hystérie ce qui n’a pas marché dans notre système de renseignement, sans se renvoyer à la figure la responsabilité des erreurs et des faillites policières (et il y en a eues). En réfléchissant aussi en commun sur tout ce qui doit être amélioré, et on l’a vu ; améliorer d’urgence les écoutes, la surveillance en prison, la surveillance policière sur le terrain… Autant de choses qui coûtent cher ; et enfin que toute la gauche assume son véritable tournant sécuritaire, et que la droite prenne le risque de la soutenir sans jouer la sur-enchère et les moulinets. »
EL : « On parle de beaucoup, Nathalie, ces derniers jours d’Unité Nationale. Mais attention : toute la France n’était pas dans la rue hier [dimanche 11 janvier, ndj] ».
NSC : « Non Elise, il ne faut pas faire preuve d’angélisme. C’est justement ceux qui ne sont pas Charlie qu’il faut repérer. Dans certains établissements scolaires, on refusait la minute de silence ; ceux qui balancent sur les réseaux sociaux ; et ceux qui ne voient pas en quoi ce combat est le leur. Et bien ce sont eux que nous devons repérer, traiter, intégrer ou ré-intégrer dans la communauté nationale. Et là, l’école et les politiques ont une lourde responsabilité. »
Le décors est planté… Et nous ne sommes alors que le 12 janvier !
« Je veux mon Charlie » : hystérie collective dans les kiosques à journaux
Le mercredi 14 janvier, jour de sortie du premier numéro de l’hebdomadaire depuis les attentats, c’est une véritable hystérie collective. Très vite, les vendeurs manquent de numéros, et il faudra plusieurs retirage. D’ordinaire vendu à 60 000 exemplaires, il en faut cette fois-ci des millions. Ici à Toulouse, une cliente, excédée de ne pouvoir se le procurer, vandalise le bureau de tabac-presse, avant de tenter d’en voler un exemplaire..
En Israël, c’est sur Internet que les stocks de journal sont vendus en quelques minutes seulement. Bien entendu, le nouveau numéro met en Une une nouvelle caricature du Prophète, particulièrement provocante : le trait du turban et du nez sont composés de deux sexes masculins schématisés ; surtout, il vient d’y avoir 12 morts, et cette nouvelle provocation semble inopportune aux yeux de beaucoup d’observateurs.
Au nom de la défense de la liberté d’expression pour Charlie Hebdo, et de la lutte contre « l’apologie du terrorisme », la liberté d’expression est complètement bafouée
Le cas de Thierry Noirtault est très symptomatique. Ce citoyen est allée spontanément à la manifestation de soutien le 11 janvier, muni d’une pancarte avec l’inscription : « Je suis CHARLIE. Je suis HUMAIN. Je suis KOUACHI. Je suis LA VIE » (l’inscription était accompagnée d’un dessin en forme de cœur). Il écope de 22 heures de garde à vue, à l’issue de laquelle on lui délivre une convocation devant le Tribunal correctionnel. Il est prévenu d’apologie de terrorisme et encourt une peine de cinq ans d’emprisonnement.
On touche au summum de l’absurde, avec ce lycéen placé en garde à vue à Nantes pour « apologie du terrorisme ». Il est poursuivi pour un dessin humoristique pourtant très intelligent (peut-être trop pour notre société ?). Il y dénonçait le cynisme absolu de Charlie Hebdo. En effet, Charlie Hebdo avait titré sa Une « Le Coran, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles » pendant les manifestations du Caire réprimées dans le sang. L’adolescent a pastiché cette Une en « Charlie Hebdo, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles ».
Jeudi 15 janvier, c’est un adolescent de 14 ans, qui est placé 24 heures en garde à vue pour avoir prononcé quatre mots… Ce collégien avait pourtant respecté la minute de silence avec sa classe. Le lendemain, le professeur de français propose à ses élèves un débat sur les attentats de Charlie Hebdo. L’adolescent n’a dit que quatre mots : « ils ont eu raison ».
Mercredi 21 janvier, c’est un enseignant de Philosophie au lycée Victor-Hugo de Poitiers, Jean-François Chazerans, qui a été suspendu à titre conservatoire pour 4 mois. Le raison invoquée par le rectorat ? « L’enseignant aurait tenu des propos déplacés pendant la minute de silence. Il fallait l’éloigner de ses élèves » . De son côté, l’enseignant explique : « Je suis sonné, je m’attendais à tout sauf à ça… Je n’étais pas à la minute de silence… J’ai organisé des débats avec mes six classes de terminale. Le but était de comprendre les causes du terrorisme en sortant autant que possible de la passion et de l’émotion du moment ».
Le 28 janvier, on apprenait qu’un strasbourgeois de 30 ans était condamné à 6 mois de prison ferme en comparution immédiat, pour un message laissé sur sa page Facebook : « bons baisers de Syrie, bye bye Charlie ».
Ce même mercredi, le CCIF publiait un communiqué de presse pour dénoncer l’audition d’un enfant de 8 ans au commissariat de Nice !
Festival de déclarations des politiciens ; la dictature de la pensée, c’est pour maintenant…
Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de ce festival de récupérations politiques, et de déclarations de posture. Ainsi, Nicolas Sarkozy déclare sur France 2 : « Qu’est-ce qu’on fait avec ces jeunes qui n’ont pas voulu faire la minute de silence ? Je souhaite qu’on convoque toutes les familles pour demander ‘qu’est-ce qui s’est passé’ ? Est-ce que ce jeune répète ce qui se dit dans sa famille ? La sanction doit être immédiate ».
Nicolas Dupont-Aignan, le président du parti Debout la France, propose ni plus ni moins que de rouvrir le bagne de Cayenne pour les djihadistes français ! Une sorte de Guantanamo à la française : « Je propose qu’on rétablisse à Cayenne un centre de détention qui permette d’isoler ces fous furieux »
Manuel Valls, de son côté, est bien en peine d’expliquer à des collégiens la liberté d’expression sauce PS : quand ça énerve certains musulmans, c’est bien, mais quand ça énerve certains juifs, c’est mal. Dieudonné n’est pas Charlie Hebdo. Il doit pour cela user de tous se « talents » d’orateur et sophiste.
Quant à François Hollande, c’est encore pire. Je ne vous fais pas de retranscription tellement ses propos me semblent incohérents. On se demande d’ailleurs à leurs visages dubitatifs si les plus dépités sont les élèves, ou bien les professeurs…
Voilà, je vous ai brossé un tableau inquiétant de la situation. J’aimerais me dire que c’est un roman d’Orwell que je ne connaissais pas. Mais non, nous sommes bien en 2015, en France. Nombre de mes concitoyens ont complètement absorbé le mantra « Je suis Charlie », à tel point qu’ils n’arrivent plus à distinguer les dérives pourtant graves et évidentes de l’appareil médiatico-politico-judiciaire qui s’est mis en place et qui concerne notamment les plus jeunes*.
Ces concitoyens aveugles ou borgnes sont-il majoritaires, ou minoritaires ? La télé est un prisme déformant. Mais hélas, peu de voix se sont levées pour protester contre l’utilisation de forces militaires pour maintenir la sécurité intérieure. Ce phénomène mériterait pourtant que l’on s’y attarde. Car il peut être dangereux voir funeste de vouloir écraser une fourmi avec un marteau, si vous me passez l’expression. En d’autres termes, l’armée n’est pas faite pour maintenir l’ordre ou la sécurité sur son territoire national.
Je terminerais ma tribune par une petite remarque à l’intention de tous ceux qui se disent « Charlie ». Je voudrais simplement que vous preniez connaissance de Monsieur Charlie, le vrai, j’ai nommé Philippe Val. C’est lui qui avait relancé Charlie Hebdo en 1992, et qui lui a impulsé la ligne éditoriale qu’on lui connaît encore aujourd’hui. Philippe Val déclarait à propos du citoyen américain qui a alerté le monde entier sur les abus des écoutes de la NSA américaine : « Edward Snowden est un traître à la démocratie ».
Sommes-nous amnésiques ?
Raphaël Berland