Publié le : 30 mars 2015
Source : polemia.com
Les élections qui viennent de s’achever marquent un tournant dans la vie politique nationale. Nous pouvons d’ores et déjà en tirer quelques leçons qui pèseront sur les échéances politiques des prochaines années.
La première leçon, qui s’impose aujourd’hui comme une évidence, est la fin du bipartisme. Tous les commentateurs évoquent désormais l’existence d’un tripartisme.
Il était temps, tout de même, d’entériner une réalité manifeste depuis des années, réalité que nous avions analysée ici-même (1) avant les présidentielles de 2012. Le tripartisme, auquel s’accrochent maintenant les commentateurs et les acteurs politiques, n’est qu’une première étape vers un quadripartisme qui scellera définitivement la fin du règne absolu du duo UMPS.
Union, vous avez-dit union ?
La gauche radicale – qui comprend le Front de Gauche, une part non négligeable des Verts et plus ou moins 1/3 du PS, sans oublier les mouvances groupusculaires trotskystes – au fur et à mesure du naufrage annoncé du Parti Socialiste aura tout intérêt à se constituer en force autonome pour continuer d’exister. Les vieilles antiennes sur l’union de toutes les gauches rabâchées hier sur les plateaux de télé apparaissaient comme d’obscurs mantras que les fidèles doivent rituellement réciter, sans plus vraiment en comprendre le sens : La gauche a perdu parce qu’elle est désunie, mais l’union ramènera la victoire !
Certes, le slogan est émouvant, mais au-delà de la tautologie, sur quelle base construire l’union ? Quand la dynamique de la victoire fait défaut, le rétrécissement du gâteau, qui ne permet plus la distribution des places et des prébendes, ravive les vieilles querelles. L’heure à gauche est plus au règlement de comptes et au sauve-qui-peut qu’à l’union. Pour autant, tout n’est pas encore joué, et bien malin qui aujourd’hui peut écrire le scénario de 2017 !
Sarko : vainqueur, mais ligoté !
De fait, l’incontestable victoire de l’UMP est moins monolithique qu’il n’y paraît de prime abord. Nicolas Sarkozy s’impose, à l’issue du scrutin, comme le chef légitimé de la droite. Toutefois, il ne peut masquer que sa victoire, et celle de l’UMP, est largement tributaire de l’apport des centres. Il est donc vainqueur et ligoté à la fois.
La problématique qui mine l’UMP depuis tant d’années, entre les aspirations d’une base électorale et militante qui regarde majoritairement à droite et un encadrement qui cherche sa victoire vers les centres, est plus que jamais à l’œuvre. L’euphorie de la victoire ne masquera pas longtemps la férocité des appétits et les divisions de fond qui font de l’UMP une cocotte-minute toujours prête à exploser.
L’œil satisfait et gourmand du patron de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, en disait long sur les appétits qui se réveillent au centre. Le regard morne d’un François Bayrou, qui traîne encore au front la flétrissure de sa trahison de 2012, en dit long également sur les arrière-pensées d’un centre qui peut, potentiellement, s’ouvrir une deuxième voie en rejoignant une gauche officiellement recentrée.
Là aussi, les litanies sur l’union de la droite et du centre moulinées tout au long de la soirée électorale cachent tant bien que mal la violence des ambitions personnelles, des rancœurs inextinguibles et des choix politiques opposés. Nicolas Sarkozy, très probable vainqueur des primaires à droite, n’est pas à l’abri, en 2017, d’une candidature centriste qui rebattrait les cartes du duel entre le candidat de la droite et celui de la gauche, même avec une gauche désunie ou mal unie. Le réflexe unitaire dans l’électorat de gauche n’est pas totalement éteint : il semblerait que plusieurs départements aient été sauvés pour le PS par un bon report des voix du Front de Gauche. La gauche est sévèrement battue, mais elle n’est pas encore écrasée ; elle garde quelques petites marges de manœuvre.
Par ailleurs, l’installation du Front National dans le paysage politique à un niveau supérieur à la barre des 25% pose toujours un sérieux problème à l’UMP. Il est bien loin le temps de la campagne 2007 où le candidat Sarkozy pouvait moissonner dans les champs du FN avec quelques petites phrases musclées, opportunément lâchées.
La ligne de crête où le chef de l’UMP doit tracer son chemin est particulièrement étroite et on peut toujours s’amuser à spéculer sur les pensées intimes d’un Alain Juppé, contraint de suivre le chant de victoire qui porte son rival, à la fois méprisé et redouté. Jusqu’où la tentation du grand recentrage social-libéral peut-elle le conduire ?
Le FN et l’enjeu économique
Le Front National, pour sa part, réalise une belle performance. Il confirme et renforce sa place de force politique majeure sur l’ensemble du territoire français. Pour autant, sa capacité à franchir l’obstacle du deuxième tour reste toujours problématique. Son isolement est un handicap qui nuit à sa progression. Il est faux de dire, comme pour se rassurer, que les anathèmes n’ont plus de prise sur les électorats : le « théâtre » de l’ « antifascisme » garde un certain pouvoir mobilisateur à gauche, et, bien plus grave, l’électorat « traditionnel » de droite est sensible aux attaques sur les risques que représenterait le programme économique du parti de Marine Le Pen. La question est désormais un enjeu capital pour l’avenir du FN : où sont ses marges de progression pour franchir les prochains paliers qui le rapprocheront de manière décisive du pouvoir ?
Le discours social, souverainiste et étatiste qui marque la ligne actuelle a certainement permis au FN de conforter sa place de premier parti politique parmi les couches populaires. Toutefois, nous l’avions déjà souligné (cf. article du 9/12/2014), ce vote était déjà largement acquis par les thématiques de sécurité et d’immigration qui restent, de loin, la motivation la plus puissante du vote Front national (2).
Les classes moyennes et moyennes supérieures (cadres, cadres supérieurs, professions libérales et chefs d’entreprise), en revanche, désormais largement sensibilisées aux enjeux de sécurité et d’identité, notamment par les questions qui touchent à la place de l’islam, butent très largement sur la sortie de l’euro, la retraite à 60 ans, le Smic à 1500 euros ou le contenu précis et les implications réelles du « protectionnisme intelligent ». Les résistances sont sérieuses et force est de constater que les élections départementales ont montré que l’électorat UMP ne s’était pas reporté majoritairement sur les candidats FN dans leurs duels avec le PS.
Le Front National est confronté là à un choix stratégique redoutable : doit-il aller à la bataille de 2017 avec un programme économique qui polarisera toutes les attaques adverses, avec des chances bien faibles de convaincre un électorat qui se juge – à tort ou à raison, qu’importe – réaliste et compétent en terme d’enjeux économiques, ou doit-il assouplir son approche, au risque de brouiller son message et de prêter le flanc aux accusations d’incohérence et d’opportunisme ?
En tout état de cause, l’existence perceptible d’un courant plus libéral et entrepreneurial au sein du FN aurait permis un débat, voire une confrontation, capable d’ouvrir la voie à une approche plus diversifiée et complexe. Après tout, toutes les forces politiques de gouvernement ne sont-elles pas traversées par des courants plus ou moins étatistes ou libéraux et, suivant les circonstances, jouent plus ou moins habilement de l’une ou l’autre approche ?
Didier Beauregard
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1) Vers un big-bang politique (19/04/2012).
2) Le Front national et l’islam : un sujet à risque pour le parti de Marine Le Pen (9/12/2014).