Publié le : 30 avril 2015
Source : bernardlugan.blogspot.fr
Depuis les années 2000, en Afrique du Sud, les émeutes xénophobes constituent un phénomène récurrent[1], inscrit dans un contexte de crise économique, de chômage, d’insécurité, de crise sociale et de flux migratoires incontrôlés.
Les actuelles émeutes débutèrent fin mars 2015 dans la région du Natal, encouragées par le roi des Zulu. Elles s’étendirent ensuite aux townships (zones urbaines réservées aux non-Blancs) de la région de Johannesburg, où les immigrés africains, Malawites, Mozambicains, Somaliens, Zimbabwéens, Soudanais ou encore Nigérians, furent pris pour cible, lynchés ou forcés à se réfugier dans les camps militaires, pendant que leurs maigres biens étaient pillés. Pour tenter de mettre un terme à ces violences, l’armée fut déployée dans les townships, comme dans les années 1980-1990, aux pires moments de la lutte contre le régime blanc.
Au début du mois d’avril, ces violences « xénophobes » prirent une telle ampleur que le Malawi décida d’évacuer ses ressortissants, pendant que le Mozambique demandait fermement aux autorités sud-africaines d’assurer la protection de ses nationaux.
Les Zulu, une des principales ethnies d’Afrique du Sud, apparaissent en pointe dans ces tragiques événements pour trois grandes raisons :
1) C’est par le port de Durban que débarquent nombre de clandestins. Et, la région du Natal a une frontière commune avec le Mozambique, pays d’origine de nombreux immigrés et relais pour ceux venus d’autres régions d’Afrique.
2) Nombreux dans les mines et les industries de la région de Johannesburg, les Zulu dénoncent la concurrence à l’embauche exercée par les immigrés.
3) Dans la perspective des prochaines élections présidentielles auxquelles le président zulu, Jacob Zuma, ne pourra pas se représenter car la Constitution interdit de briguer un 3e mandat. Certains extrémistes zulu craignent des naturalisations massives qui feraient pencher le vote vers un non Zulu.
La xénophobie n’est cependant pas l’apanage des Zulu puisque la région du Cap, où la population zulu est quasiment inexistante, est également touchée.
L’émigration vers l’Afrique du Sud s’explique car le pays a longtemps fait figure d’eldorado. De plus, après 1994, année qui vit l’accession d’une majorité noire au pouvoir, l’idéologie de la nouvelle Afrique du Sud post-raciale fut l’ouverture et le multiculturalisme. Il est également important de rappeler qu’ayant très largement participé à la lutte contre le régime blanc, le Zimbabwe et le Mozambique estimaient qu’en retour, leurs propres ressortissants avaient, en quelque sorte, droit aux fruits de la libération.
Selon les chiffres officiels, les immigrés légaux et illégaux vivant en Afrique du Sud seraient plus ou moins 5 millions pour une population de 45 millions de citoyens. Ces chiffres sont cependant à la fois invérifiables et peu fiables; d’autant plus qu’en 2008, les étrangers vivant dans le pays étaient alors estimés à 8 millions au moins dont 3 à 4 millions de clandestins. Cependant, que ces chiffres soient réels ou fantasmés, la réalité est que la population sud-africaine ressent une forte pression étrangère et comme la machine économique est en panne, des tensions éclatent car le pays est incapable de donner à la fois du travail à ses chômeurs et aux immigrés. Nous sommes là au coeur du problème.
Bien que totalisant un quart du PIB de tout le continent, l’Afrique du Sud est en effet en crise. L’état des lieux de son économie a été dressé dans le Rapport économique sur l’Afrique pour l’année 2013, rédigé par la Commission économique de l’Afrique (ONU) et l’Union africaine. Pour la période 2008-2012, l’Afrique du Sud a ainsi été classée parmi les 5 pays « les moins performants » du continent, devançant à peine les Comores, Madagascar, le Soudan et le Swaziland, quatre pays en faillite…
Alors qu’en 2000, il avait été acté par 189 Etats signataires que les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ne pourraient être atteints sans un minimum de croissance annuelle de 7% durant plusieurs années, pour l’année 2014, la croissance du PIB sud-africain ne fut que de 1,8% (1,9% en 2013, 2,6% en 2012 et 3,5% en 2011).
Toutes les branches du secteur industriel sont en crise, à commencer par les industries de main d’œuvre (textile, vêtement, chaussures), qui n’ont pu résister aux importations chinoises. Quant aux secteurs de la mécanique dans lesquels, avant 1994, l’Afrique du Sud produisait la majeure partie des pièces dont ses industries avaient besoin, ils sont aujourd’hui frappés de plein fouet, car ils ne sont plus compétitifs en économie ouverte.
Les mines qui représentent 10% du PIB sud africain, qui emploient 8% de la population active et qui sont le premier employeur du pays avec 500 000 emplois directs, traversent elles aussi une très grave crise. Elles ont ainsi perdu prés de 300.000 emplois au cours des dix dernières années. Les pertes de production et de revenus, qui se conjuguent avec des coûts d’exploitation en hausse constants, ont pour conséquence la fermeture des puits secondaires et la mise à pied de milliers de mineurs. Or, dans les zones d’extraction, toute l’économie dépend des mines. Pour relancer la production, il est urgent d’investir des sommes colossales, mais le climat social décourage les investisseurs au point que la question se pose désormais d’un glissement d’activité vers les pays émergents dans lesquels le monde syndical est inexistant. Le chômage va donc encore augmenter. L’agriculture a elle aussi perdu plusieurs centaines de milliers d’emplois, car les interventions et les contraintes de l’Etat-ANC au sujet de la main d’oeuvre ont eu pour résultat d’inciter les fermiers blancs à mécaniser, ce qui a amplifié le mouvement de migration des zones rurales vers les villes, essentiellement vers les régions de Johannesburg et du Cap.
Le climat social est donc lourd car, au lieu de se combler, comme l’ANC le promettait en 1994, les inégalités se sont au contraire davantage creusées, nourrissant les sentiments hostiles à l’égard des étrangers. En 2014, 65% des familles noires vivaient ainsi en dessous du seuil de pauvreté. Quant au chômage, il était officiellement de 25% de la population active alors que les agences indépendantes parlaient de plus de 40% avec des pointes à 80% dans certaines régions.
Tout cela a fait dire à Julius Malema, le bouillant leader noir qu’« en Afrique du Sud, la situation est pire que sous l’apartheid. La seule chose qui a changé, c’est qu’un gouvernement blanc a été remplacé par un gouvernement de Noirs ». En dépit de ses outrances, Julius Malema dit, en partie vrai, car économiquement et socialement, un abîme s’est en effet creusé entre une minorité de privilégiés noirs les Blacks Diamonds, et des millions de chômeurs, d’assistés [2] et de travailleurs sous-payés qui paralysent le pays avec de continuels mouvements de revendication. N’étant pas entendus par les dirigeants, ces derniers n’ont que la violence pour s’exprimer. L’Afrique du Sud est ainsi quotidiennement secouée par des mouvements sociaux de plus en plus fréquents, qui prennent régulièrement un tour quasi insurrectionnel [3]. Les immigrés en sont les premières victimes.
Bernard Lugan
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Afrique du Sud : boule de feu dans l’arc-en-ciel
Publié le : 18 avril 2015
Source : bernardlugan.blogspot.fr
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[1] Au mois de mai 2008, le township d’Alexandra près de Johannesburg a connu de véritables scènes de chasse à l’étranger et 62 personnes y furent tuées. Parmi les victimes: 21 Sud-africains appartenant aux ethnies Shangaan et Venda et qui avaient été pris pour des étrangers, car ils ne parlaient pas l’isiZulu, la langue des Zulu. Les grandes cités noires de Pretoria et de Durban s’embrasèrent ensuite ainsi que le township de Milnerton au nord du Cap. Le 22 mai 2008, le bilan des violences était de plusieurs dizaines de morts et de 15 à 20.000 déplacés réfugiés dans les commissariats de police ou dans des zones sécurisées par l’armée. En 2010, les mêmes régions furent touchées par de nouvelles flambées xénophobes.
[2] Environ 17 millions de Sud-africains reçoivent des prestations, cependant que plus 13 millions ne survivent que grâce au versement d’une allocation (Social Grant) qui leur assure le minimum vital.
[3] Pour les années 2011-2013, le Ministre de la Police Nathi Mthetwa, a donné les chiffres suivants :
2010/2011 : protestations pacifiques 11.843 contre 974 protestations violentes
2011/2012 : protestations pacifiques 10.832 contre 1226 protestations violentes