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Les élections en Ethiopie sont une mascarade sponsorisée par l’Occident – Entretien avec Mohamed Hassan

26 mai 20150
Les élections en Ethiopie sont une mascarade sponsorisée par l’Occident – Entretien avec Mohamed Hassan 5.00/5 3 votes

Publié le : 22 mai 2015

Source : michelcollon.info

Dimanche, les Ethiopiens sont invités à voter pour les élections législatives. Entre répression et boycott, l’opposition sera la grande absente de ce scrutin. Les observateurs européens ont même refusé de se rendre sur place. Si la presse occidentale ne fait pas de mystères sur l’irrégularité de ces élections, elle souligne la stabilité de l’Ethiopie et sa remarquable croissance économique. Mohamed Hassan, lui, se demande si c’est bien de son pays dont on parle.

Ce dimanche, les Ethiopiens sont appelés aux urnes. Quel est l’enjeu de ces élections législatives dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique ?

Il n’y a pas d’enjeu. Ce scrutin n’est qu’une formalité pour valider officiellement le prolongement de ce qui prévaut depuis plus de vingt ans : la domination du Front de libération des peuples du Tigray (FLPT) sur toute l’Ethiopie. Ce mouvement a participé au renversement de la dictature militaire en 1991 en revendiquant l’indépendance de la région du Tigray. Mais après la chute de Mengistu, le FLPT a pris le contrôle du pays tout entier. Son leader emblématique, Meles Zenawi, a mené une politique ethnique et développé un régime corrompu jusqu’à sa mort en 2012.

Vous parlez du FLPT, mais c’est bien le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE) qui est au pouvoir. Ce mouvement regroupe d’autres ethnies que les Tigréens…

Là encore, c’est une mascarade. Les autres mouvements présents au sein de cette coalition sont là pour donner une légitimité au FLPT qui dans les faits, contrôle tout. Zenawi a distribué tous les postes-clés de l’appareil politique et de l’armée à ses proches du FLPT. Cependant, tous les Tigréens sont loin de profiter de l’action du gouvernement. Seule une petite minorité monopolise les richesses et le pouvoir. Dans leur grande majorité, les Tigréens sont victimes de la répression et de la corruption au même titre que les autres Ethiopiens.

N’y a-t-il pas d’opposition en Ethiopie ?

En 2005, le FLPT avait tenté d’organiser des élections démocratiques sous la pression de ses sponsors occidentaux. Les Etats-Unis et l’Europe étaient sans doute gênés de voir leur poulain réaliser des scores dictatoriaux flirtant autour des 90 %.

Pour les législatives de 2005, le FLPT a donc légèrement ouvert la fenêtre. Mais le vent s’est engouffré dans la maison et a failli tout démolir. Dès les premiers résultats, l’opposition était donnée largement gagnante. Des observateurs européens avaient même validé la défaite du FLPT. Invoquant des mesures sécuritaires et la réconciliation nationale, Meles Zenawi s’est alors lancé dans une terrible campagne de répression. De nombreux opposants ont été tués, emprisonnés ou contraints à l’exil.

Un nouveau parti s’est ainsi constitué à l’étranger, Ginbot 7. Il regroupe des victimes malheureuses du scrutin de 2005. Ce parti est actif sur le plan politique, mais, conscient qu’un changement par les urnes n’est plus possible en Ethiopie à cause de la répression du régime, il s’est associé avec le Front Patriotique du Peuple Ethiopien, un groupe armé.

De son côté, le FLPT au pouvoir avait tiré les leçons du scrutin de 2005. Si bien qu’en 2010, les partis d’opposition n’étaient plus autorisés à se présenter. Zenawi a couru le marathon tout seul et sans surprise, il a gagné. Dimanche, sans Zenawi, le FLPT s’apprête à reproduire la même farce. Mais cette fois, l’Union européenne a annoncé qu’elle n’enverrait pas d’observateurs.

Cela veut-il dire que l’Union européenne pourrait lâcher l’Ethiopie qu’elle a toujours soutenue jusqu’ici ?

En fait, la position de l’Union européenne est très hypocrite. D’un côté, elle boycotte l’observation des élections. Mais de l’autre, elle finance le scrutin. Ces élections législatives sont en effet organisées par un comité éthiopien financé par des donateurs étrangers, c’est-à-dire les impérialistes. C’est totalement aberrant ! Un pays doit pouvoir organiser ses élections avec son propre argent. Imaginez si l’Iran finançait les élections en France ou si la Russie faisait la même chose en Allemagne !

Pourquoi l’Union européenne n’envoie-t-elle pas d’observateurs alors ?

Sans doute pour ne pas se trouver trop exposée en cas de pépins après les élections. En effet, le FLPT n’aura aucun mal à remporter le scrutin, mais comment pourra-t-il gouverner après ? Ce parti a beau écarter ses opposants, il a oublié qu’il n’avait aucune base sociale, même au sien de la communauté tigréenne. En avril dernier par exemple, le régime avait organisé un grand rassemblement à Addis Abeba au terme de trois jours de deuil national pour les vingt migrants éthiopiens tués par Daesh en Libye. Mais l’événement s’est rapidement transformé en une manifestation contre le gouvernement. Les slogans pointaient le FLPT et appelaient à un changement. Finalement, la police a dû intervenir pour disperser la foule.

L’Union européenne sait que ce régime est sur la sellette. Si des révoltes éclatent après les élections, elle ne veut certainement pas être associée aux malversations du gouvernement. D’autant plus que d’une certaine manière, le contexte est plutôt favorable aux Européens. En effet, de récents sondages ont révélé que les Ethiopiens n’appréciaient pas beaucoup ni les Etats-Unis, ni la Chine. Les premiers parce qu’ils apportent des millions de dollars d’aide militaire au FLPT qui réprime son peuple. Quant aux Chinois, ils appliquent le principe de non-ingérence à la lettre en commerçant avec n’importe quel gouvernement. Les Ethiopiens ont dès lors perçu les investissements récents des Chinois comme la mise sous perfusion d’un régime à l’agonie.

Dans la presse occidentale, on ne fait pas beaucoup de mystères sur l’irrégularité des élections à venir. En revanche, on souligne la stabilité de l’Ethiopie et sa croissance économique qui frise les 10 %.

Je me demande si on parle du même pays. L’Ethiopie a attaqué l’Erythrée en 1998 et la Somalie en 2006. Les tensions restent vives avec ces voisins. De plus, le FLPT n’embrase pas seulement la Corne de l’Afrique. À l’intérieur de ses propres frontières, il apporte une réponse militariste à toute forme de contestation. Dans la province de Gambella par exemple, l’armée a massacré les Anuak. L’Ogaden a connu le même sort. On parle même de génocides. Où est la stabilité dans tout ça ? Quand la presse occidentale parle de stabilité, elle parle de la stabilité des investisseurs étrangers qui peuvent faire tranquillement de gros profits en Ethiopie. Le FLPT brade les ressources du pays et massacre les communautés qui refusent le vol de leurs terres. La presse occidentale peut bien écrire que l’Ethiopie est stable, mais elle l’écrit avec le sang de milliers d’innocents.

Quant à la croissance économique, elle ne profite pas à beaucoup de monde. Prenez l’exemple des terres agricoles. Le gouvernement a lancé un programme pour créer des villages dans les campagnes où l’habitat est dispersé. Concrètement, ce programme de villagisation a débouché sur le déplacement forcé de paysans, contraints d’abandonner des terres que le gouvernement a revendues à bas prix à de grosses multinationales de l’agrobusiness. Une véritable catastrophe ! Les terres que les paysans cultivaient pour se nourrir sont aujourd’hui accaparées par des compagnies étrangères qui exportent leur production. À côté de ça, l’Ethiopie vend ses propres enfants. Dans des conditions proches de l’esclavage, de nombreuses jeunes filles sont vendues comme domestiques dans les pays du Golfe. En réalité, ce qui connait une croissance importante en Ethiopie, c’est la misère.

Comment l’Ethiopie pourrait-elle sortir de l’impasse ?

Je vous l’ai dit, le TPLF va gagner les élections, mais je ne vois pas comment il va pouvoir continuer à gouverner. Il n’a pas de base sociale et les mouvements de contestation se multiplient. Je pense que l’Ethiopie, mon pays, est à la croisée des chemins. Les différents dictateurs qui se sont succédé à sa tête en ont fait une véritable poudrière. Dès lors, soit les mouvements de résistance campent sur des bases ethniques et on court droit à la « somalisation » de l’Ethiopie, c’est-à-dire à la division du pays en petits Etats artificiels. Soit les différentes forces d’opposition s’unissent autour d’une base commune pour faire de l’Ethiopie une véritable nation démocratique où la justice sociale sera assurée et où chaque citoyen sera mis sur un même pied d’égalité, quelles que soient ses origines.

Entretien mené par Grégoire Lalieu

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