Publié le : 12 mai 2014
Source : numerama.com
Note de La Plume : cet article date certes un peu, et je viens seulement d’en apprendre l’existence, mais vous allez voir qu’il vaut encore sacrément la lecture : il n’est jamais trop tard pour dénoncer un abruti, dégonfler une baudruche médiatique. « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » disait Lino Ventura dans Les tontons flingueurs… tu l’as dit, l’ami !
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Lors d’une rencontre avec « Les Amis du CRIF », l’ancien patron de Charlie Hebdo et actuel dirigeant de France Inter a fustigé Edward Snowden, estimant que le lanceur d’alerte était un « traître à la démocratie ». Une saillie à rapprocher d’un édito de 2001, dans lequel Val s’énervait contre Internet et la prétendue impunité qu’il offrait.
On peut avoir dirigé Charlie Hebdo en se prétendant adversaire des élites et du politiquement correct, et voir d’un très mauvais oeil que la population soit correctement informée du fait que tous les citoyens sont désormais traités comme des terroristes en puissance qu’il convient de surveiller étroitement.
Patron très contesté (sur le départ) de France Inter, Philippe Val était la semaine dernière invité de l’association Les Amis du CRIF, pour y mener une discussions sur le thème « Peut-on critiquer les journalistes ? ». La réunion ne semble pas avoir été filmée mais comme le note Rue89, le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) en a publié une synthèse.
Celle-ci ne manque pas d’humour involontaire. Le CRIF commence à en effet par dire que Philippe Val a rappelé devant plus de 200 personnes que « les lois sur la presse de 1881 avaient été décisives pour la démocratie française car elles ont permis de dire la réalité au citoyen, sans avoir nécessairement l’aval des dirigeants, comme c’était le cas précédemment ». Puis il attribue à Philippe Val une série d’explications sur les raisons de la crise de la presse, dont celle-ci, inattendue : « le fait que le prix Pulitzer ait été attribué aux journalistes qui ont révélé l’affaire Snowden est le symbole de la crise de la presse car Snowden est un traître à la démocratie ».
Rien que ça. Ainsi, quand Edward Snowden dit la réalité aux citoyens sur les programmes de surveillance qui les concernent au premier chef, sans avoir évidemment l’aval des dirigeants de la NSA ou du gouvernement américain, c’est être un « traître à la démocratie ». Et l’on croit deviner que les journalistes qui ont reçu le Prix Pulitzer pour avoir osé publier les documents de Snowden seraient complices de haute trahison.
Accordons tout de même à Philippe Val une certaine cohérence dans la volonté de pouvoir surveiller qui fait quoi sur Internet. Voici en effet ce qu’il déclarait dès 2001, dans un éditorial à Charlie Hebdo :
« A part ceux qui ne l’utilisent (Internet) que pour bander, gagner en bourse et échanger du courrier électronique, qui est prêt à dépenser de l’argent à fonds perdus pour avoir son petit site personnel ? Des tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs, qui trouvent là un moyen de diffuser mondialement leurs délires, leurs haines, ou leurs obsessions. Internet, c’est la Kommandantur du monde ultra-libéral. C’est là où, sans preuve, anonymement, sous pseudonyme, on diffame, on fait naître des rumeurs, on dénonce sans aucun contrôle et en toute impunité. Vivre sous l’Occupation devait être un cauchemar. On pouvait se faire arrêter à tout moment sur dénonciation d’un voisin qui avait envoyé une lettre anonyme à la Gestapo. Internet offre à tous les collabos de la planète la jouissance impunie de faire payer aux autres leur impuissance et leur médiocrité. C’est la réalité inespérée d’un rêve pour toutes les dictatures de l’avenir ».
« Internet reste une jungle dans laquelle la vérité peut être loin derrière le mensonge. La circulation des informations n’est pas toujours maîtrisée. On retrouve le pire d’internet dans des « vrais » journaux », aurait aussi ajouté Philippe Val, lors de la rencontre du CRIF.
Guillaume Champeau