Publié le : 24 août 2015
Source : horizons-et-debats.ch
Le 29 juillet 2015, le représentant de la Fédération russe, Vitali Tchourkine, a mis son véto au Conseil de sécurité de l’ONU à une résolution réclamant un tribunal international chargé de l’enquête sur le crash du vol MH-17 du Boeing malaisien abattu au-dessus de l’Ukraine. La plupart des médias occidentaux ont vivement critiqué ce véto sans pour autant présenter l’argumentation du gouvernement russe. Pour informer nos lecteurs, nous allons publier une prise de position du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, mettant en lumière les éléments-clés de la position du gouvernement russe, que diverses ambassades russes avaient déjà publiée quelques jours avant le 29 juillet.
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Nous présentons nos sincères condoléances aux proches des 283 passagers et des 15 membres d’équipage, victimes de cette tragédie terrible.
Nous condamnons la destruction du vol MH-17 du Boeing malaisien par des personnes inconnues et soulignons notre position réclamant un jugement indispensable des actes criminels quand les enquêtes seront complètement effectuées.
Nous considérons la question sur la création d’un tribunal international concernant la catastrophe du vol MH-17 prématurée et contreproductive. Nous sommes convaincus que la résolution 2166 du Conseil de sécurité de l’ONU présente la seule base – acceptable pour tous – de la coopération internationale dans l’intérêt d’une enquête indépendante et transparente concernant la destruction de l’appareil malaisien. Nous réclamons le retour au cadre juridique de cette résolution et la mise en place complète des mécanismes d’enquête prévus dans ce document.
La Russie est intéressée par une enquête internationale, intégrale et objective de la catastrophe du vol MH-17 du Boeing malaisien. Ce n’est pas le cas pour le moment. En partie, c’est dû au fait que la Russie est exclue de toute participation essentielle à l’enquête (la participation du représentant russe n’était qu’un acte symbolique ne menant pas à ce que son opinion et les données présentées par la Russie fussent retenues). Les enquêteurs ont exclu intentionnellement la Russie des standards objectifs de «transparence» stipulés – des spécialistes russes se sont vus refuser un accès égal et intégral aux documents dont dispose l’équipe internationale d’enquêteurs. Le côté ukrainien, jusqu’à nos jours, refuse la publication des données de la radiocommunication des aiguilleurs du ciel avec le pilote du vol MH-17.
La Russie a insisté sur une enquête la plus transparente sous la surveillance du Conseil de sécurité de l’ONU. Nous avons proposé de débattre du cours de l’enquête au sein du Conseil afin de trouver des réponses aux questions les plus évidentes (la Russie avait soumis un tel questionnaire au Conseil en 2014). Les membres du Conseil n’ont pas réagi à ces propositions.
Nous nous voyons contraints à en tirer la conséquence que la résolution 2166 du Conseil de sécurité de l’ONU, ordonnant des exigences claires et professionnelles pour l’enquête de la catastrophe du vol MH-17 n’a pas été exécutée.
De sérieuses questions concernant l’organisation et l’exécution de l’enquête restent à éclaircir. Les nombreuses demandes de la Russie, d’investir le Conseil de sécurité de l’ONU afin de surveiller l’exécution de la résolution 2166 du Conseil de sécurité de l’ONU ont été ignorées. L’enquête a été exécutée sans respect des normes internationales de l’aéronautique et sans respecter le rôle clé de l’OACI, Organisation internationale de l’aviation civile, dans ces questions.
Nous nous étonnons du fait que les membres de l’équipe commune de l’enquête n’aient ni effectué des travaux préliminaires sur la base de la résolution 2166 du Conseil de sécurité de l’ONU ni discuté leur projet concernant la procédure à suivre. Cependant, ils ont mis à l’agenda un projet de résolution selon le chapitre VII de la Charte de l’ONU. La résolution 2166 du Conseil de sécurité de l’ONU ne qualifie pas la destruction d’un avion de menace à la paix et à la sécurité internationale. La tragédie, aussi horrible et grave qu’elle soit, était une action criminelle isolée. Il s’ensuit qu’un procès basé soit sur le droit national, international ou mixte puisse être entamé. En tout cas, ce n’est pas du ressort du Conseil de sécurité.
La Russie est surprise de la proposition d’adopter une telle décision fondamentale dans un délai de quelques jours seulement sans discuter une quelconque alternative possible.
Malgré les dispositions de la résolution 2166 du Conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire général de l’ONU n’a ni dénommé ni présenté des possibilités de l’ONU pour venir en aide à l’enquête.
Depuis le jour de la tragédie, nous subissons une agression au niveau de l’information d’une grande ampleur dans les médias internationaux et les forums Internet (y inclus le Conseil de sécurité de l’ONU). Sans aucune preuve on a prétendu que la Russie ou «des séparatistes contrôlés par la Russie» seraient responsables de la destruction du vol MH-17. Jusqu’à présent on continue de diffuser de telles prises de position irresponsables et dépourvues de preuves pour influencer de façon négative l’arrière-plan médiatique de l’enquête. Nous qualifions de telles prises de position et de telles accusations non fondées dans le but de cacher les véritables faits concernant la tragédie et de camoufler l’identité des acteurs du crime.
La pratique du Conseil de sécurité de l’ONU montre que seul le principe de la création d’un instrument international juridique à travers une décision du Conseil de sécurité est devenu l’objet de critique sérieuse et vigoureuse de la part de beaucoup de pays et de la communauté des experts internationaux en droit. La pratique des tribunaux internationaux déjà existants – le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal international pour le Rwanda – renforcent le bien fondé de ce scepticisme. Les activités de ces deux organes juridiques coûtent cher, sont inefficaces et de longue durée. Leurs sentences sont hautement politisées. Depuis plus de deux décennies, ils n’ont pas été capables de conclure leurs travaux par des résultats acceptables.
A ce jour, il n’y a pas d’exemple de création d’un tribunal international afin de juger ceux qui sont accusés d’un acte de violence contre un avion civil : cela n’avait pas été le cas du vol 1812 de la Siberian Airlines abattu par l’armée ukrainienne au-dessus de la mer Noire, ni lorsqu’un navire américain a abattu le vol IR-655 d’Iran Air au-dessus du golfe de Perse, ni quand le vol PA-103 de Pan American Flight fut détruit lors d’un acte terroriste au-dessus de Lockerbie en 1988, ni quand le vol CU-455 de Cubana Aviacon fut abattu 1976 au-dessus de Barbados, ni quand le vol LN-114 de la Lybian Arab Airlines fut abattu par un manœuvre de l’aviation israélienne en 1973. Jamais, cela n’a provoqué la création de tribunaux internationaux dans des cas comparables.
L’adoption hâtive de cette résolution et son domaine d’application élargi créent le soupçon que le Conseil de sécurité de l’ONU est abusé afin de trouver un prétexte pour organiser «une procédure juridique» au sujet de la Russie et le dossier ukrainien à l’aide de la tragédie du vol MH-17.
En conséquence de ce qui a été dit ci-dessus, la Russie ne participera pas à l’élaboration d’une résolution visant la création d’un tribunal international ni à celle d’une Charte pour ce dernier. En même temps, nous espérons que nos partenaires comprendront notre position et aideront à terminer l’enquête de façon transparente pour créer une base solide pour la composition suivante du tribunal.
Source : Prise de position du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie du 29/7/15. (Traduction Horizons et débats)