Publié le : 07 septembre 2015
Source : bvoltaire.fr
Il est des mots que notre presse, notre monde politique, atteints de psittacisme, affectionnent tout spécialement. Ainsi, le mot « indigne ».
« Indigne ! », « indigne ! », « indigne ! »
Tous les matins, nous découvrons la charrette des « indignes » du jour et, telles des tricoteuses, nous observons leur tête sur le billot, impuissants, fascinés, vaguement soulagés de ne pas être à leur place. Ces choses-là arrivent si vite.
Aujourd’huuuuuuuiiiii, roulements de tambour… Arno Klarsfeld et Olivier Mazerolle.
« Migrants : un tweet d’Arno Klarsfeld n’en finit pas d’indigner » (Huffington Post). Les questions d’Olivier Mazerolle à Myriam El Khomri « ont indigné les internautes » (Metronews).
Mais de quelle « conduite avilissante, honteuse, déshonorante, méprisable », pour reprendre les termes du dictionnaire, se sont-ils donc rendus coupables ? Leur forfait se résume pour chacun à une question.
Arno Klarsfeld s’est demandé, au sujet de « l’enfant syrien », s’il était « raisonnable de partir de Turquie avec deux enfants en bas âge sur une mer agitée dans un frêle esquif » ; Olivier Mazerolle a interrogé le nouveau ministre du Travail sur ses origines : « Vous dites “Je suis marocaine par mon père”, ça donne quel trait de caractère ? »
Comme c’est avilissant, honteux, déshonorant, méprisable ! Apportez-moi mes sels, c’est tellement insoutenable, je sens que je vais défaillir.
Pour le socialiste Jérôme Guedj, Arno Klarsfeld a « la palme d’or du tweet le plus indigne », rien de moins. En revanche, le journaliste Bruno Masure, qui traite Arno Karsfeld de « pauvre con » avec toute la mesure et la neutralité requises par sa profession, tweete, lui, sans doute très dignement ? Comme son confrère de RTL à la retraite, Jérôme Godefroy, qui accuse Arno Klarsfeld de « braconner les conneries » ?
Et pourtant, est-ce attenter à la mémoire de ces petits, est-ce remettre en cause le chagrin du pauvre père que de juger cet embarquement d’enfants en bas âge par gros temps et sans qu’ils soient équipés de gilets de sauvetage « déraisonnable », alors que la Turquie, où la famille était installée depuis quelque temps, est un pays « tranquille » qui ne nécessite pas de fuir dans l’urgence et au mépris de toute règle de sécurité ?
Pour Jérôme Godefroy (toujours lui) – il y a des retraités qui tuent le temps en pêchant à la ligne, lui n’aime rien tant que dénoncer l’indignité de son prochain sur Twitter avec des mines de rombière victorienne -, « l’interview d’Olivier Mazerolle était indigne, surtout qu’il n’est pas un débutant ».
C’est vrai, Olivier Mazerolle n’est plus un galopin, il devrait avoir compris depuis longtemps qu’il est des terrains casse-gueule. Évoquer les origines marocaines du père d’un ministre en est un. Et peu importe qu’il ait ensuite interrogé la dame de la même façon sur les origines bretonnes de sa mère.
La casuistique politiquement correcte est devenue si complexe, si imprévisible, si implacable et fantasque à la fois, qu’elle tourne à dire vrai à la roulette russe, à un jeu de « ni oui ni non » dont on ne donnerait pas à l’avance les règles, à un trou de loup bien planqué qui vous fait vous casser la binette au moment où vous vous y attendez le moins.
Arno Klarsfeld et Olivier Mazerolle sont éberlués, n’y comprennent que couic. Impossible de se justifier, les sanglots bruyants dans les mouchoirs couvrent leur voix. Cela s’appelle une dictature lacrymale, mes chéris, et quand on s’y frotte, cela fait mal.
Gabrielle Cluzel