Publié le : 08 janvier 2016
Source : comite-valmy.org
Pour qui veut connaître Mme Maria Saadeh, députée indépendante au Parlement syrien, le mieux serait de revenir à ses réponses recueillies par M. Arthur Herlin, publiées sur le site « aleteia.org » le 28 septembre 2015, desquelles nous retenons : « En tant que citoyenne et femme syrienne j’estime que vos gouvernements n’ont pas le droit de sélectionner qui peut représenter ou non la Syrie ».
Ce 4 Janvier elle s’est expliquée, à la télévision nationale syrienne, sur cette vaste fumisterie qui fait que les ennemis de la Syrie travaillent à sélectionner des opposants censés leur accorder sous la table des négociations internationales ce qu’ils n’ont pu obtenir par le feu et le sang. Nous résumerons son intervention sur ce sujet avant de chercher à comprendre certains de ses propos probablement obscurs pour l’opinion publique en Occident, quelque part victime, elle aussi, d’une sale guerre qui n’aurait pu durer cinq longues années si elle n’était, avant tout, médiatique.
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Madame Saadeh, comment décririez-vous la situation de la Syrie au seuil d’une sixième année de guerre ?
La Syrie fait face à une guerre internationale menée par l’OTAN au moyen d’organisations terroristes, mais la couverture aérienne accordée par la Russie à l’Armée syrienne a inversé nombre d’équations sur le terrain, si bien que ce sont les opérations militaires en cours qui orienteront le processus politique ; un processus qui n’a pas encore mûri, car les forces en présence n’abandonneront pas leurs cartes politiques tant que les victoires militaires n’auront pas tranché. Et aujourd’hui, malgré la guerre déclarée au terrorisme, les États-Unis et leurs alliés tentent de prendre sur la table des négociations ce qu’ils n’ont pu obtenir sur le terrain.
Et cela malgré les initiatives internationales suggérant qu’une solution à la crise syrienne serait proche ?
Ce que je crois, c’est que nous sommes en train de passer d’une étape à une autre étape de la guerre contre la Syrie, ce qui ne m’empêche pas de croire que les atouts sont en notre faveur vu les victoires de l’Armée syrienne sur plusieurs fronts.
Vous avez déclaré qu’ « une opposition fabriquée en temps de crise est en elle-même une crise ». Que pensez-vous de tous les adjectifs qu’on lui attribue ?
Certes, nous devons encourager le pluralisme politique et je respecte évidemment tout opposant « patriote ». Mais, il se trouve que jusqu’ici nous n’avons toujours pas constaté le moindre projet soutenu par une structure que nous pourrions qualifier d’opposition patriote. De plus, il ne peut y avoir d’opposition « modérée » ou « modérée armée ». Ce ne sont là que des adjectifs retentissants pour dissimuler les crimes, le terrorisme et tout le reste.
Oui, une opposition fabriquée en temps de crise est en elle-même une crise lorsqu’elle est instrumentalisée par l’étranger pour obéir à des agendas étrangers. Par conséquent, lorsque l’Occident n’admet à la table des négociations internationales face aux représentants de l’État que les représentants de cette opposition « fabriquée », il ne cherche qu’à pérenniser le conflit.
Pour revenir à votre question sur les initiatives internationales, le processus politique préconisé lors des futures négociations sur la Syrie [sous l’égide de l’ONU, le 25 janvier 2016, NdT] concerne ce que l’on a désigné par la « Commission des consultations ». Qui représente-t-elle ? Qui sont ses membres ? D’où viennent-ils ? Pourquoi serait-t-elle choisie à l’exclusion de toute autre pour représenter l’opposition syrienne ?
Aujourd’hui, nous avons pris connaissance de la lettre de Haytham Manaa adressée au Conseil de sécurité de l’ONU – NDT (1) – par laquelle il se dit disposé à participer à la délégation représentant l’opposition syrienne, sans tenir compte de qui décide de la composition des membres ou des groupes qui se réclament de cette opposition et alors qu’il est malheureusement évident que le scénario retenu est similaire à une « libanisation » de la Syrie ; certains États étrangers désignant « leurs » opposants parmi des personnalités de l’opposition « fabriquée » en fonction de leurs propres agendas, puisqu’à leur avis il faudrait que la table des négociations réunisse une délégation soutenue par les États-Unis, une autre soutenue par l’Arabie saoudite, une autre encore soutenue par la Turquie et ainsi de suite…
De plus, abstraction faite des personnalités retenues au sein de ladite commission et de l’étiquette affichée par ces délégations, ils auraient la volonté d’aboutir à un « gouvernement de transition patriote », en sachant qu’il s’agira d’un gouvernement incluant des agents de l’étranger. Dès lors, qui représentera la société syrienne ?
M. de Mistura rencontrerait des difficultés pour composer la délégation de l’opposition, certaines personnalités proposées par la Syrie et la Russie étant contestées par les États soutenant le terrorisme en Syrie, notamment l’Arabie saoudite et la Turquie, en plus du fait que le gouvernement syrien ainsi que la Russie, contestent la participation des chefs des factions armées à ces négociations. Où en est, selon vous, le processus politique ?
Je pense que le processus politique est en marche car des consensus existent. Reste que certaines équations sur le terrain ne sont pas encore établies ; ce qui me fait dire que ce processus n’est pas mûr. Je pense aussi que si le gouvernement syrien accepte encore de négocier avec l’opposition « fabriquée » à l’étranger, comme il l’a déjà fait par le passé, c’est pour lire les agendas des États soutenant le terrorisme. Ainsi, je suis au regret de vous dire que lorsque j’ai lu hier et que je relis aujourd’hui sur quoi surenchérissent des partis considérés représentatifs d’une opposition syrienne prétendument « patriote et démocrate », je ne peux m’empêcher de rappeler que la démocratie commence par l’acceptation de l’autre et non son éviction juste pour se saisir du pouvoir.
Des surenchères qui consistent, par exemple, à ce que certains de ces partis s’attribuent des surfaces géographiques syriennes contrôlées par des groupes armés qualifiés de « Forces de l’opposition armée », ce qui signifie qu’ils ont commencé par découper le territoire syrien avant de se partager le pouvoir. Dans ce cas, où est le patriotisme ?
C’est pourquoi je dis et répète que, pour ma part, je parie sur la société syrienne et considère que l’opposant patriote est celui qui défend son État, ainsi que l’unité de la Syrie et du tissu social syrien, car c’est là que résident la force et l’avenir de la Syrie. Nous défions donc tous ceux qui voudraient la diviser à leur profit et, en tant que société syrienne, nous sommes nombreux à travailler à l’intérieur du pays sans avoir jamais attendu les tables de négociations dressées à l’étranger. La preuve en est le document issu de nos ateliers de travail ayant réuni des représentants des différentes composantes de notre société sous le vocable « Kalimatouna » [signifiant « Notre parole »] publié en août 2015 (5). Travail que nous poursuivons, sans nous soucier de l’appartenance politique des uns et des autres.
Cette dernière guerre contre la Syrie a été quasi-universelle avec pour objectif, hier comme aujourd’hui, le démantèlement de l’Armée et de la société syriennes. Elle fait partie de ces guerres étatsuniennes menées pour désarticuler les sociétés en s’appuyant sur les gangs armés et le terrorisme, lequel ne se restreint pas aux seules organisations terroristes. Et c’est à la fois notre État, notre Armée et notre société qui ont eu à l’affronter. Dans ces conditions, se précipiter vers les tables des négociations étrangères en prétendant posséder tel ou tel pourcentage de la terre patrie ne peut en aucun cas être qualifié de comportement patriote.
Pourtant, les médias étrangers affirment que l’État syrien ne contrôle que 20% de notre territoire…
C’est l’une des questions à laquelle j’ai dû répondre lors de mon dernier voyage en Italie quand un membre du Sénat italien -lequel m’avait invitée à m’exprimer sur la situation en Syrie- m’a demandé s’il y avait une guerre entre sunnites et chiites en Syrie. Devant une telle question posée par un étranger, un(e) citoyen(ne) syrien(ne) ne peut justement répondre que par le fait que toutes les composantes de la société syrienne, qu’elles soient musulmanes, chrétiennes, sunnites, chiites, arméniennes, assyriennes, kurdes, etc… se sont déplacées dans les zones contrôlées par l’État ; alors que Daech contrôlent des zones quasi-inhabitées. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, pour parier sur la société syrienne qu’elle soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Ceci, car nous savons qu’un grand nombre de Syriens qui ont quitté, pour des raisons qui leur appartiennent, sont des ambassadeurs de la Syrie à l’étranger. Nous espérons leur retour parmi nous et ferons de notre mieux pour qu’ils regagnent leur terre et pour la stabilité de la Syrie.
Vous pariez sur la société syrienne alors qu’elle est aujourd’hui exténuée. Que reste-t-il au citoyen syrien saigné à mort, privé de ses enfants et de son patrimoine, meurtri par les sanctions économiques et les conséquences de cette guerre qui dure depuis cinq ans ? Comment miser sur une société qui endure tant de souffrances ?
J’ai déjà dit que le terrorisme ne se restreint pas aux seules organisations terroristes. La société syrienne fait face à tous les terrorismes et je dis que les sanctions imposées à la société syrienne ne sont rien d’autre que du « terrorisme économique ». J’ai fait une étude comparative entre les retombées des destructions matérielles et humaines et les retombées des sanctions économiques, les chiffres sont les mêmes. Par conséquent, il y a bien connivence ou complicité entre les États qui soutiennent les organisations terroristes et ceux qui imposent les sanctions économiques, lesquelles affectent directement la société syrienne en créant chômage, pauvreté, augmentation du coût de la vie…
Mais la souffrance engendre des créateurs et toute guerre a une fin. La Syrie renaîtra, car ces terribles épreuves qui durent depuis cinq années ont engendré une société consciente et digne de respect. L’État en a besoin et qu’elle soit à l’intérieur ou à l’étranger, cette société peut et doit trouver un espace commun pour participer au renforcement de l’État.
Source : Vidéo Al-Fadaiya ; Mme Saadeh est interrogée par Mme Racha al-Kassar
[*]Une semaine à Damas. Rencontre avec la députée syrienne Maria Saadeh
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Notes de la traductrice : Que reproche donc Mme Saadeh à Haytham Manna (ou Manaa) et qui représente-t-il pour ceux qui n’auraient pas avalé ses plaidoyers révolutionnaires notamment sur France 24 contre l’État syrien et, dernièrement, sur Al-Mayadeen contre l’Armée syrienne dont le patriotisme laisserait à désirer selon lui ?
Des articles dithyrambiques, parus dans la presse francophone, nous le décrivent comme la crème des opposants : un pacifique nanti d’un CV droit-de-l’hommiste impressionnant. Nous nous contenterons des faits en rappelant brièvement qu’il vit en France depuis plus de 35 ans et que jusqu’en mars 2015, il était le président et le représentant à l’étranger du « Comité National de Coordination pour le Changement Démocratique » (CNCD) fondé en 2011, donc en pleine crise syrienne, par le regroupement de plusieurs partis syriens de gauche, dont des partis kurdes, et des personnalités indépendantes affirmant que leur révolution était pacifique et contre toute intervention étrangère en Syrie. Ce qui n’a pas empêché nombre d’entre eux de se précipiter à la réunion de l’opposition syrienne « au régime de Bachar Al-Assad » le mercredi 9 décembre à Riyad, en Arabie saoudite et nulle part ailleurs, en réaction aux pourparlers de Vienne II, aux côtés de représentants des factions armées et des organisations terroristes ; alors qu’une réunion de l’opposition interne syrienne se tenait à Damas, ainsi qu’une troisième dans le nord de la Syrie…
Mais pour M. Manna le vent avait tourné. Il s’était séparé du CNCD en mars 2015 pour créer son propre courant « Al-Qamh » présenté comme civil et pacifique, avant de se faire élire le 11 décembre 2015, à la faveur de cette troisième réunion des opposants du nord, co-président d’une opposition étiquetée « Opposition Démocratique Laïque Syrienne », soutenu en cela, nous dit-on, par l’Union Démocratique Kurde, des mouvements arabes laïcs et assyriens.
Il a déclaré haut et fort qu’il avait refusé de participer à la Réunion de Riyad parce que « l’Arabie saoudite n’a pas renoncé à l’option militaire pour le règlement du conflit en Syrie ». Mais voilà que le 2 Janvier 2016, il adressait un courrier au Secrétaire général de l’ONU, diffusé en arabe, en kurde, en syriaque et en turkmène (1). En voici le point culminant :
« Notre aile militaire, les Forces Démocratiques Syriennes, a été la première à combattre le terrorisme, avant même la Coalition internationale… En Syrie, nous avons plus d’un front, l’un pour les djihadistes et les islamistes, l’autre pour les démocrates laïcs. L’ingérence régionale dans notre lutte interne donne à certains petits groupes une position proéminente tout en excluant certains autres. [Or], les groupes armés qui ont assisté au Congrès de Riyad dominent à peine 5% du territoire syrien ! Vraiment, comment serait-il possible de négocier un cessez-le feu en l’absence des Forces Démocratiques Syriennes qui dominent 16% du territoire syrien ? »
Nous comprenons mieux quelle sorte de surenchère déplore Madame Saadeh, d’autant plus que M. Manaa, le pacifiste, se plaint de l’ingérence militaire des pays régionaux alors que lesdites « Forces Démocratiques syriennes », qu’il présente comme l’aile militaire de sa coalition très largement dominée par les Kurdes, sont activement soutenues par les États-Unis dans le nord de la Syrie, sans que l’on comprenne encore ce qu’il en est de la Russie. Vaste programme que les spécialistes ou les événements nous expliqueront bientôt…
S’agissant de patriotisme, le 4 novembre 2015, au cours d’une émission de la Chaîne Al-Mayadeen et en présence d’un autre invité de marque en la personne de M. Georges Malbrunot, M. Manna a exposé sa conception de ce que devrait-être l’Armée arabe syrienne (2) dans le futur État syrien qu’il appelle de ses vœux :
« Il existe un accord qui stipule que l’Armée syrienne ne doit pas dépendre de certains côtés [ce qui, en français, reviendrait à dire : ne soit pas partisane]. Fondamentalement, nous sommes revenus à l’idée de Colin Powell [!!!]. Nous n’avons pas besoin de 200 000 à 300 000 [soldats]. Cette Armée syrienne doit être une armée patriote, non une armée doctrinaire [le terme doctrinaire nous paraît plus indiqué que le terme idéologique, vu le contexte]. Une armée patriote dans le sens où nous réunirions les compétences et les éléments de toutes les orientations qui soutiennent ce projet politique [celui de M. Manna], car alors nous garantirions qu’il n’y aurait plus d’incubateur social de l’extrémisme et du terrorisme, mais uniquement un incubateur social de cette armée patriote au service des gens et de l’avenir… En ce qui me concerne, c’est l’édification d’un État de droit et d’une institution militaire patriote qui donnera une patrie à tous les Syriens, tandis que les élections seront émotionnelles, affectives et irrationnelles pour beaucoup de gens qui sortiront d’un problème de sang, mon frère ».
Cette dépréciation d’une armée qui a héroïquement résisté à une agression internationale, maquillée en terrorisme local, sans jamais cesser de protéger toutes les composantes du peuple syrien au prix de dizaines de milliers de morts dans ses rangs, de l’avis des amis et des ennemis de la Syrie, a de nouveau été mise en ligne sur le site Al-Mayadeen, le 16 décembre 2015 en une seule phrase : « Haytham Manaa : Nous voulons transformer l’armée syrienne d’une armée doctrinaire soumise aux autorités en une armée patriote regroupant toutes les factions syriennes » (3).
Une déclaration qui n’est sans doute pas passée inaperçue, mais que beaucoup ont ignorée pour une raison ou pour une autre. Seul M. Nahed Hattar lui a consacré un article intitulé : « Haytham Manaa veut dissoudre l’Armée syrienne et répéter la tragédie irakienne en Syrie ! » (4). Les Syriens de l’étranger devraient le lire, car ceux de l’intérieur sont très probablement vaccinés.
Quant à la référence à Colin Powell et ses idées sur ce que devrait être l’Armée syrienne et à l’irrationalité des électeurs syriens qui risquent de ne pas élire M. Manna, elles se passent de commentaires.
Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal
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1) Texte de la lettre de Haytham Manna à Ban Ki-moon.
2) Al-Mayadeen vidéo du 04/11/2015 [à 55’30’’]
3) Al-Mayadeen, brève du 16/12/2015
4) Middle East Panorama 20 décembre 2015
5) « Kalimatouna » publie son document final et le soumet à la signature du peuple.