Publié le : 27 janvier 2016
Source : lesakerfrancophone.fr
Un des rares bénéfices du bombardement de la Libye va tomber dans la poche des habituels gagnants de cette alliance public-privé que constitue la machine du militarisme sans fin, en lui fournissant un nouveau prétexte pour un nouveau bombardement.
Les jours suivant le bombardement de la Libye par l’Otan ont été une période de grandes congratulations. Tout comme les avocats de la guerre contre l’Irak ont utilisé la capture et l’assassinat de Saddam Hussein comme preuve que leur guerre avait été un succès, les avocats de la guerre contre la Libye ont utilisé la capture et le meurtre brutal de Kadhafi comme une justification de leur décision.
Les fauteurs de guerre comme Anne Marie Slaughter et Nicholas Kristof remplissaient les colonnes des journaux en vantant leur finesse d’analyse tout en se moquant des opposants à la guerre. Le New York Times publiait un article en première page déclarant : « La tactique américaine en Libye pourrait être un modèle pour d’autres actions du genre ». Tout le monde s’attendait à ce qu’Hillary Clinton, une des avocates les plus ferventes et une architecte de la campagne de bombardement, soit vue comme un génie en politique étrangère grâce à son grand succès en Libye : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort », a-t-elle déclamé en riant telle une hystérique à propos du meurtre collectif de Kadhafi, au cours de l’émission télévisée 60 Minutes.
Depuis lors, la Libye, de manière totalement prévisible, s’est complètement écroulée et se trouve pour des années dans un état d’instabilité, d’anarchie, sous la coupe de milices, de conflits sectaires et de l’extrémisme. L’exécution de Saddam Hussein n’a pas justifié la guerre d’Irak ni amélioré la vie des Irakiens, il en va de même pour Kadhafi. Comme je l’ai écrit le lendemain du jour où Kadhafi fuyait Tripoli et où les loyalistes du Parti démocratique fêtaient la victoire en dansant dans les rues : « Je suis franchement étonné de la volonté omniprésente à voir ce qui s’est passé en Libye comme une sorte de triomphe, alors que nous ne savons encore rien des informations nécessaires pour confirmer ce triomphe, c’est-à-dire le nombre de civils tués, si le sang a fini de couler, comment stabiliser le pays et, par-dessus tout, quel genre de régime va remplacer celui de Kadhafi… Quand une puissance étrangère utilise la force militaire pour renverser un régime tyrannique en place depuis des dizaines d’années, toutes sortes de chaos, de violence, d’instabilité et de souffrances, avec encore bien d’autres conséquences totalement imprévisibles, sont inévitables ».
Mais la grande question était de savoir quand (pas si, mais quand) l’instabilité et l’extrémisme qui s’ensuivraient inévitablement, seraient utilisés comme justification à une nouvelle guerre dirigée par les États-Unis, exactement comme cela s’est passé en Irak. En 2012, j’avais déjà posé la question de cette manière :
Encore combien de temps avant que nous n’entendions qu’une intervention militaire est (encore) nécessaire, cette fois pour contrôler les extrémistes anti-américains qui sont maintenant armés et plus puissants grâce à la première intervention ? Les interventions militaires américaines sont très utiles pour s’assurer qu’à l’avenir d’autres interventions militaires soient toujours nécessaires.
Nous avons maintenant la réponse grâce au New York Times :
Inquiets de la menace croissante que représente État islamique en Libye, les États-Unis et leurs alliés augmentent les vols de reconnaissance et la récolte de renseignements pour préparer d’éventuels frappes et raids commandos, ont annoncé cette semaine des politiciens américains et des membres des renseignements… « Il est exact que nous cherchions des actions militaires décisives contre EI parallèlement au processus politique » en Libye, a déclaré Dunford, le général du Joint Chiefs of Staff. « Le président a été clair, nous avons le droit d’utiliser les forces armées ».
Tout comme il n’y avait ni Al-Qaida ni État islamique à attaquer en Irak avant que les États-Unis ne bombardent le pays, il n’y avait pas EI en Libye avant que l’Otan ne la bombarde. Et maintenant, les États-Unis vont utiliser les conséquences de leurs propres bombardements pour justifier une nouvelle campagne de bombardements sur le même pays. La page éditoriale du New York Times, journal qui a soutenu la première campagne de bombardement sur la Libye, a, dans son édition d’hier, considéré le projet de nouveau bombardement du pays comme très troublant et expliqué : « Une nouvelle intervention militaire en Libye représenterait une avancée significative pour une guerre qui pourrait facilement s’étendre aux autres pays du continent ». En particulier, « cette escalade importante est prévue sans débat au Congrès sur les mérites et les risques d’une campagne militaire qui doit utiliser des frappes aériennes et des raids par les troupes d’élites américaines ». (Le premier bombardement contre la Libye s’est aussi fait non seulement sans l’accord du Congrès mais a été ordonné par Obama alors que le Congrès avait rejeté une telle autorisation).
Voici ce qui a été présenté comme le modèle ultime de l’intervention humanitaire. Celle ci n’a engendré aucun bénéfice humanitaire mais a par contre causé de grandes souffrances humaines car, comme d’habitude, les gens qui ont ordonné cette guerre humanitaire (et la plupart de ceux l’ayant soutenue), ne s’y sont intéressés que dans la période où les bombes pleuvaient et les morts mouraient, mais se sont totalement désintéressés des conséquences humanitaires (comme l’a montrée leur totale indifférence aux conséquences des bombardements). Comme prévu, un des rares bénéfices de cette campagne de bombardement sur la Libye va tomber dans la poche des habituels gagnants de cette alliance public-privé que constitue la machine du militarisme sans fin, en lui fournissant un nouveau prétexte pour une nouvelle guerre.
Glenn Greenwald
Article original paru dans The Intercept.
Traduit par Wayan, relu par Hervé, Diane et Nadine pour le Saker Francophone