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Il n’y aura pas de victoire électorale sans alliance des conservateurs et des populistes – Entretien avec François Bousquet

3 février 20170
Il n’y aura pas de victoire électorale sans alliance des conservateurs et des populistes – Entretien avec François Bousquet 5.00/5 3 votes

Publié le : 02 février 2017

Source : lesalonbeige.blogs.com

A l’occasion de la sortie de son ouvrage, La Droite buissonnière, François Bousquet a bien voulu répondre à nos questions.

1) Vous venez de publier « La droite buissonnière ». Mais, avec la défaite de 2012, la « ligne Buisson » n’est-elle pas définitivement enterrée ?

Les circonstances et le choix des hommes font que cette « ligne Buisson » n’est plus aujourd’hui à l’ordre du jour, du moins si on ne retient d’elle que son efficience électorale. Cette ligne reposait sur une stratégie de désenclavement sociologique de la droite, en faisant le pari d’agréger au bloc conservateur traditionnel, principalement catholique, le vote populaire, celui de la France périphérique décrite par le géographe Christophe Guilluy. Les précédents historiques ? La création du RPF en 1947 et de Gaulle en 1958. François Fillon a fait un autre choix, ce qui n’est sans poser problème sur la crédibilité de sa candidature, dont il n’est pas dit qu’elle aille à son terme, et sur ses chances de succès. Il fut un bon candidat à la primaire, il est d’ores et déjà ce mauvais candidat à la présidentielle qui menace de ramener la droite de gouvernement à son étiage chiraquien, autour de 20 %, là où la « ligne Buisson » avait porté Sarkozy en 2007 à plus de 30 %. On verra ce qu’il adviendra au printemps 2017. Mais il est probable qu’il n’y aura pas à l’avenir de victoire électorale sans alliance des conservateurs et des populistes, ce dont Sarkozy avait fini par se laisser convaincre pour des raisons d’opportunité (ou d’opportunisme) électorale, sans jamais songer à donner à cette ligne la moindre réalité politique. La Cause des peuples est suffisamment éloquente sur le sujet.

2) La droite française semble orpheline. En 2017, elle semble devoir choisir entre un vote populaire FN, qui rejette de nombreux fondamentaux de droite, et un vote LR, assez éloigné des préoccupations populaires. Dans ce contexte, comment comprendre la permanence de la « ligne Buisson » ?

Il faut croire que cette ligne est majoritaire dans le pays et c’est tout le paradoxe de la présidentielle de 2017 : rarement l’offre politique aura aussi peu coïncidé avec la demande du corps électoral. À lire les enquêtes d’opinion, dont le baromètre annuel Kantar TNS-Sofres sur l’image du FN, près de deux tiers des Français plébiscitent les questions culturelles, identitaires et sécuritaires, mais sans le FN pour presque deux tiers d’entre eux. Autrement dit, les Français veulent bien du message, pas du médium. C’est dans ce hiatus que s’est glissée la « ligne Buisson ». Jusqu’à quand un électorat orphelin acceptera-t-il de ne pas être représenté ou sous-représenté ? Ou inversement jusqu’à quand des partis politiques pourront-ils survivre sans s’adresser à une majorité susceptible de les porter au pouvoir et de les y reconduire ? Révolte des élites contre le peuple d’un côté, révolte du peuple contre les élites de l’autre. Ce fossé, dont le populisme n’est qu’une des traductions, se retrouve au sein même des partis politiques, entre des appareils recentrés et des bases radicalisées. Une telle situation n’est pas appelée à perdurer, la nature politique ayant elle aussi horreur du vide, mais c’est présentement la nôtre. Il n’y a pas à l’heure actuelle d’homme ou de femme politique en situation d’incarner cette France à la fois conservatrice et populiste.

3) Le quinquennat Hollande a notamment été marqué par les grandes manifestations contre la loi Taubira, dont Patrick Buisson a pu dire qu’il s’agissait d’un mouvement « populiste chrétien ». Les deux termes ne sont-ils pas antinomiques ?

L’expression est en effet venue dans la bouche de Buisson à l’occasion de la Manif pour tous. Il s’agissait à ses yeux de donner un prolongement politique au mouvement – Buisson évoquait une « phase que décrivait Lénine de politisation de catégories jusque-là réfractaires ou indifférentes à l’égard de la chose publique » – de façon à ce qu’il ne reste pas cantonné aux seules manifestations, comme le mouvement en faveur de l’école libre en 1984. À l’époque, la « rue » catholique avait certes eu raison de la loi Savary, mais sans droit de suite ni donner lieu à une réflexion de fond sur le type de société à envisager. C’est tout l’inverse qui s’est produit avec la Manif pour tous. Gaël Brustier a pu parler de Mai 68 conservateur. Défaits au Parlement, les manifestants ont peut-être enclenché un processus au long cours, en ouvrant une réflexion sur l’écologie humaine, le principe de la limite, la durabilité de notre modèle économique, la marchandisation des rapports humains. Tel est du moins le vœu de Buisson, qui guette le retour d’une droite porteuse d’une critique de l’anthropologie du libéralisme, anthropologie qui repose sur l’octroi quasi indéfini de droits aux uns et aux autres, du mariage gay à l’homoparentalité. Cela dit, l’expression « populisme chrétien » peut surprendre. Buisson semble y avoir renoncé depuis. Du populisme, la Manif pour tous avait surtout le spontanéisme initial, en mouvement issu de la société civile, rejoint par un épiscopat en ordre dispersé et des politiques qui n’avaient pas l’imprimatur de leur parti. Dans La Cause du peuple, Buisson préfère plutôt parler d’une politique de civilisation adossée au christianisme, élément central de l’identité européenne.

4) Patrick Buisson est l’un des penseurs de la fameuse droite HLM (hors les murs). Mais, depuis les primaires LR, on peine à voir l’espace politique de cette droite HLM. N’est-elle qu’un concept culturel ou peut-elle aussi avoir une existence politique et même électorale ?

Sur le papier, le scénario était séduisant, manquait seulement une tête d’affiche électorale pour lui donner corps dans cet espace politiquement inoccupé qui va de Laurent Wauquiez à Marion Maréchal Le Pen. La droite hors les murs a vécu, faute de personnalité susceptible d’en porter le projet. Il s’agissait dans l’esprit de Buisson de conjurer le spectre du régime des partis et de créer les conditions d’une candidature hors les murs. Lui et d’autres ont pu imaginer un temps qu’une initiative portée par les réseaux sociaux pourrait accoucher de ce candidat. Mais si l’initiative populaire ne manque pas de vertus, elle n’a pas celle de créer ex nihilo un homme providentiel. Si politiquement parlant la droite hors les murs a été un échec, il en va différemment métapolitiquement. La troïka, Zemmour, Villiers, Buisson, collectionne les succès de librairie et les « unes » de magazine. Faute de mieux, tous les trois œuvrent seulement dans le champ culturel, mais avec une force de frappe médiatique et éditoriale redoutable.

5) Le positionnement de Patrick Buisson est étrange : il semble plongé dans la politique électorale et déclare, dans le même temps, que le seul combat qui l’intéresse est le combat culturel. Comment concilier ces deux axes stratégiques ?

Les deux ne sont pas incompatibles. Une des singularités de Buisson, c’est d’être à la croisée de plusieurs disciplines habituellement étanches les unes aux autres : le monde des idées, le journalisme, le conseil politique, l’ingénierie des sondages. Cette rencontre, à l’interface de la pratique et de la théorie, fait son originalité. Il aurait pu se contenter d’être un spécialiste de la carte électorale, mais il y ajoute sa connaissance du temps long et l’éclairage de l’histoire des mentalités, ce qui donne à ses analyses une profondeur de champ qui fait généralement défaut aux commentateurs de la vie politique. Cela étant dit, l’essentiel demeure pour lui le combat culturel. Il a repris à la Nouvelle Droite et à Alain de Benoist l’idée d’un gramscisme de droite, du nom du théoricien italien marxiste qui a théorisé le concept d’hégémonie culturelle, préalable à la prise du pouvoir politique. C’est cette perspective du combat des idées qui est prédominante chez lui et c’est dans une dynamique typiquement gramscienne qu’il a inscrit son action auprès de Sarkozy. Si d’un mot on doit résumer les enjeux de la ligne Buisson, c’est de s’être donné pour mission de réduire le périmètre de l’interdit. En clair : est souverain celui qui maîtrise le champ symbolique des interdits, celui qui a le pouvoir de dire le licite et l’illicite. La souveraineté politique procède de cette souveraineté symbolique, pour l’heure propriété exclusive de la gauche morale, culturelle et institutionnelle. Tout le travail de Buisson auprès de Sarkozy aura consisté à réduire cet avantage moral et à délester la droite de son « surmoi » gauchiste.

6) Il est beaucoup question de « droitisation » de la vie politique ou de mouvement « dextrogyre ». Pourtant, la gauche paraît toujours très forte et la droite très éloignée de ses valeurs traditionnelles (même François Fillon qui a manifestement séduit l’électorat « conservateur » tient à manifester qu’il est prudemment éloigné…). Cette droitisation n’est-elle pas un fantasme ?

La droitisation est agitée comme un épouvantail par la gauche pour dénoncer les « paniques morales » qui affecteraient les droites. Il n’empêche : difficile de contester ce mouvement dextrogyre. C’est Guillaume Bernard qui a lancé l’expression. Buisson préfère parler de dextrisme, image renversée du fameux sinistrisme observé par Albert Thibaudet et qui, depuis la Révolution, décrit le glissement à gauche de la vie intellectuelle. À la droite, le style (et lui seul), disait Thibaudet. À la gauche, tout le reste, qui se réduit aujourd’hui à peau de chagrin. De toute évidence, la gauche touche à la fin d’un cycle historique. Dans tous les cas, la promesse d’égalité dont elle était porteuse n’a plus lieu d’être. La gauche articulait l’idée de justice sociale et celle de progrès. Deux mythes, celui de l’égalité et celui du progrès, l’un et l’autre en crise. Il s’est peut-être produit en politique ce qui se produit à intervalles réguliers, mais très lointains, au niveau du champ magnétique terrestre : une inversion des pôles. On n’en voit pas les effets immédiats, sinon à travers la poussée des populismes, parce que ses effets se déploient dans le temps long et se heurtent à une fin de non-recevoir de la part du pays légal, où l’emprise de la gauche et sa rente de monopole dans les médias, la culture et l’enseignement sont pour ainsi dire totales. C’est elle qui sermonne et qui exclut suivant un processus de raidissement idéologique connu. Quand le temps des théologiens est révolu, vient inévitablement celui des exorcistes. D’où les rituels de conjuration collective, les procédés d’hystérisation, les épurations sémantiques.

7) À beaucoup d’égards, le phénomène Macron est une sorte d’antithèse de la « ligne Buisson ». Comment interpréter ce phénomène qui, d’une part récuse le clivage droite-gauche si important dans les analyses de Patrick Buisson, et d’autre part semble totalement « hors-sol », aussi éloigné que possible du peuple français ?

Macron apparaît comme la réponse du système à la montée des populismes, sur le modèle des coalitions à l’allemande, dont il aimerait incarner la version hexagonale, renvoyant les populismes dos à dos dans un isolement sans issue. Ce à quoi on assiste, bien plus qu’au dépassement du clivage droite-gauche, c’est à la reconstitution de l’unité philosophique des deux libéralismes, l’économique et le culturel, dont l’œuvre de Michéa retrace depuis vingt ans la généalogie. Macron en est incontestablement la déclinaison française. Il répond à la nouvelle sociologie électorale des grandes métropoles, une population intégrée à la mondialisation, qui a tourné le dos à la France déclassée et majoritaire pour épouser la cause des minorités et imposer son agenda politique sorti tout droit des Femmes savantes et des Précieuses ridicules, où Bélise, Philaminte et Trissotin (le trois fois sot) dissertent du sexe des genres. Il ne faut pas désespérer : si Molière a triomphé des pédants, le sens commun devrait pouvoir retrouver droit de cité dans les années qui viennent.

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