Publié le : 19 août 2017
Source : blog.causeur.fr/lavoixdenosmaitres
Presque coupée du monde, sans radio, télévision ni internet durant quelques semaines, je me demande aujourd’hui si cela valait la peine de rentrer de vacances. A peine suis-je revenue que je me fais traiter de malade.
J’avais, il y a quelques mois, consacré un post à la psychiatrisation du mal : les fameux « radicalisés » qu’il ne fallait surtout pas confondre avec des « déséquilibrés » mais à qui l’on voulait néanmoins offrir un « suivi thérapeutique », en vertu d’un curieux paradoxe. Depuis, les méthodes de déradicalisation sont devenues l’objet de maints sarcasmes et les journalistes qui ne juraient que par cette notion magique affichent aujourd’hui, avec le même aplomb que naguère, le plus grand scepticisme. Certains experts ont d’ailleurs disparu des plateaux, leur compétence et même leur moralité étant fortement écornées. Et nos médias, qui se sont rendus complices de leurs juteuses stratégies d’enfumage, jamais ne s’excuseront.
Aujourd’hui, les malades ne sont plus les méchants, mais nous.
C’est du moins ce qui ressort du traitement médiatique de l’attentat de Barcelone. Cette tendance à la pathologisation des émotions se dessinait déjà au fil des précédents attentats mais j’ai eu le sentiment qu’avec ce dernier événement, on atteignait un sommet. Choqués, tristes, révoltés, nous ne sommes plus que malades.
Que l’on se comprenne, je ne suis pas en train de nier la réalité de ce qu’est un traumatisme, encore moins de remettre en cause la nécessité d’une prise en charge psychologique pour les victimes et leurs proches. Je dis seulement qu’il y a quelque chose de malsain dans l’angle médiatique choisi pour aborder les émotions populaires après un attentat. En clair, j’ai remarqué que, justement, on les traitait de moins en moins comme des émotions légitimes et de plus en plus comme des problèmes médicaux : il faudrait se guérir de la peur, de la colère, de la haine, de la méfiance, etc., bref annihiler en nous tout ce que l’on nous désigne comme des émotions négatives, donc mauvaises.
Le vocabulaire technique permet de propulser des évidences au rang de titres :
En gros, ça leur rappelle de mauvais souvenirs.
Comme souvent, il est intéressant de voir comment est utilisée la parole des experts. D’abord, c’est évidemment un choix journalistique que de donner autant de place à la question de la prise en charge psychologique. Cela revient à considérer que parler de nos émotions est aussi important que parler des faits eux-mêmes. Nous regardons une « édition spéciale » pour savoir ce qui s’est passé et voilà qu’on nous renvoie à nous-mêmes, que nos propres sentiments deviennent l’objet de l’information. Or, en matière d’émotions, parler de, c’est aussi influer sur, suggérer. Quand on vous dit que vous avez besoin d’une prise en charge psychologique pour ne pas céder à la peur, on vous laisse entendre clairement que vous ne devez pas avoir peur. Si vous avez peur, faites-vous soigner.
Cela m’amène au second point : la résilience. La résilience, c’est un mot que les journalistes aiment beaucoup. Rappelons que ce terme désigne (pour un matériau puis, par métaphore, pour le psychisme) le fait de résister à un choc ou, plus exactement, de retrouver son état initial après ce choc. Or, à chaque fois qu’un psychologue vient rappeler à quel point il est « normal d’avoir peur » ou que « la répétition des attentats produit une forme d’anesthésie émotionnelle inquiétante », les questions du journaliste l’aiguillent systématiquement vers un discours chewing-gum sur la nécessité de continuer à vivre comme avant et donc d’atteindre… (roulement de tambour) la résilience. C’est ainsi que la chaîne LCI invente un concept intéressant, le cri de résilience. Mais si, mais si. Et ce cri, vous l’avez deviné, c’est :
A priori, s’ils crient, c’est que la résilience n’est pas tout à fait acquise. On a plutôt affaire à une méthode coué à grande échelle, une autopersuasion collective à visée analgésique. Ils découvrent qu’il y a des fanatiques sanguinaires parmi eux et ils crient « même pas peur ». Mais tout va bien, ces gens sont en pleine résilience, ils ne sont pas malades, non non. C’est vous, avec vos mauvaises pensées, qui devriez consulter un spécialiste.
On se croirait dans le film Invasion (tiré du roman The Body Snatchers, de Jack Finney) : les personnages contaminés par la mystérieuse substance extraterrestre tentent de convaincre les autres de se la laisser inoculer, en leur expliquant qu’elle va les libérer de cette chose pénible que sont les émotions. Et l’on nous montre des espèces de zombies aux yeux fixes déambulant dans les rues sans plus rien éprouver, pas même quand ils voient quelqu’un se faire jeter d’un pont. Même pas peur, la zénitude totale. A bas le stress-post-traumatique.
Enfin, cette approche médicale accentue le caractère irrationnel de la réaction émotionnelle : c’est bien quelque chose qui nous échappe puisqu’il s’agit là d’un état qu’il faut soigner. Or, la peur, la colère, la méfiance puisent aussi à la source de la raison. Si je peux, n’importe où, n’importe quand, être victime d’un attentat, alors j’ai des raisons d’avoir peur. Quand je vois que ces types tuent aveuglément des civils, il est non seulement juste, mais il est même logique que j’éprouve de la colère. Et quand, en plus, on essaie de me faire croire qu’éprouver ces sentiments fait de moi une malade, je sens croître cette colère et je me dis qu’il faudrait être bien malade pour ne pas l’éprouver.
Je lisais récemment que des chercheurs allemands envisagent de combattre la xénophobie par un traitement aux hormones. Le principe consiste à faire inhaler de l’ocytocine à des gens tout en leur montrant des photos de réfugiés. J’espère que c’est une bonne grosse fake news, sinon je perds toute foi en l’humanité.
Mais tant qu’on y est, je propose pour ma part le test suivant : faire inhaler de l’ocytocine aux gens en leur montrant des images d’attentats. Comme ça hop, fini, la colère et la peur. Résilience assurée. 300 morts ? Même pas peur, résilience. 1000 morts ? Même pas peur, résilience. Une bombe ? Même pas peur, résilience. Un camion bélier ? Même pas peur, résilience. Ils pourront nous tuer jusqu’au dernier, ce sera toujours : même pas peur, résilience. A bien réfléchir, je ne suis pas sûre que la dose d’hormones soit si nécessaire : après quelques heures d’« édition spéciale attentats », je me sens admirablement résiliente.
Ingrid Riocreux
« une bonne grosse fake news »
What ?
De la provication dites , hein , c’est une blague de provocation ?
UNE newS ?
Allez je pense que vous galéjez _
on les entend moins protester, ces adeptes de la terminologie adéquate, lorsque des journalistes qui sont nés-avec-un-manche-à-balai dans le derrière parlent de CHANGEMENT, de RENOUVEAU et de RENOUVELLEMENT à propos du nommé Macron et de sa clique…