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Crise syrienne : Tous éprouvent le besoin de se rendre en Arabie saoudite

9 novembre 20120
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Publié le : 09 novembre 2012

Source : alterinfo.net

Présenter Monsieur Nasser Kandil n’est pas chose aisée tellement son expérience semble riche en combats, activités, engagements, et publications hautement appréciées par les lecteurs et auditeurs arabophones d’ici ou d’ailleurs. Alors, nous nous contenterons de dire qu’il est libanais, ancien député et Directeur de la chaîne TopNews. Le 5 Novembre il a répondu à l’invitation de la chaîne libanaise Al-Manar et s’est exprimé sur les situations libanaise et syrienne; situations interdépendantes depuis des siècles et qui vraisemblablement le resteront, quelles que soient les déclarations de certaines petites ou grandes puissances prétendant protéger l’un des deux pays en agressant l’autre !

Que pensez-vous de la situation politique au Liban et de la visite du président français François Hollande ?

R. Avant de rentrer dans une analyse détaillée de la situation, la lecture des données internationales et régionales de la guerre menée contre la Syrie, par l’Arabie saoudite, les USA, le Qatar, la France, la Grande Bretagne, etc., impose une première déduction qui est, à l’évidence, que le Liban est le « flanc mou » extrêmement sensible et délicat de cette guerre et qu’il est interdit d’y jouer sans un maximum de précautions. Il est clair que le président français est venu dans la région pour délivrer ce message. Il n’est certes pas particulièrement amoureux du groupe du « 8 mars » [pro-syrien et majorité gouvernementale, NdT] et, s’il pouvait choisir entre MM. Mikati, Hariri et Siniora, sans compromettre les résultats escomptés par le bloc coalisé « USA-Occident-Alliés régionaux », il ne choisirait pas M. Mikati !

Par conséquent, le choix du président Hollande indique que les coalisés contre la Syrie sont aujourd’hui convaincus que si la boîte de Pandore libanaise laissait échapper ses serpents, nul ne saurait comment les contenir et éviter que le Liban ne devienne la mèche incandescente et le coup de tonnerre qui ferait exploser la région, beaucoup plus vite que ne le ferait la « crise syrienne ».

Q. L’Arabie saoudite partagerait donc cette optique, bien que plusieurs rapports indiquent qu’en ce qui concerne l’arène libanaise son point de vue serait différent de celui des Européens ? Quant à ces derniers, auraient-ils modifié leur position à l’égard du Liban après avoir travaillé à le compromettre ? De plus, étant donné les remarques de certains disant qu’il est rare qu’une personnalité étrangère de ce rang visite le Liban sans rencontrer les « trois présidents », pour quelle raison le président français s’est-il contenté de rencontrer le président de la République Michel Sleiman, à l’exclusion des présidents Berri et Mikati [respectivement président du Parlement libanais et président du Conseil des ministres, NdT] ?

R. Ceux qui disent cela font semblant d’ignorer que c’est la première fois qu’un visiteur étranger de ce rang ne rencontre aucune personnalité du « Mouvement du 14 Mars » [anti-syrien et dans l’opposition, NdT]. D’autant plus que jusqu’ici, les rencontres avec MM. Berri et Mikati, ou l’un de ses prédécesseurs, n’étaient qu’une sorte de laisser passer servant à justifier celles prévues avec les « 14 marsistes ». Autrement dit, ce qui se disait publiquement en présence de MM. Berri, Mikati ou équivalent était, en quelque sorte, destiné à éviter les critiques pendant que les véritables pourparlers se passaient en coulisse avec les dirigeants du « 14 Mars ». De plus, si le président Hollande avait dû rencontrer MM. Berri et Mikati au palais présidentiel, le protocole aurait exigé la présence de MM. Gemayel et Siniora… Dans ce cas, il est probable que M. Hollande aurait eu à se dépêtrer d’une situation où il n’avait rien à offrir avant de rencontrer les dirigeants saoudiens !

Ceci dit, ce qu’il faudrait plutôt souligner c’est tout le remue ménage auquel nous assistons… toutes ces visites symboliques qui n’ont rien à voir avec la situation politique du moment. Voilà que, tout à coup, tous éprouvent le besoin de se rendre en Arabie saoudite : là où se trouve la monnaie sonnante et trébuchante ! Hier même, Hollande a déclaré qu’il y retournerait début 2013 accompagné des représentants de plusieurs sociétés françaises. La presse anglaise rapporte que Cameron doit s’y rendre aussi pour vendre ses avions de combat Eurofighter-Typhoon, après une rapide visite aux Émirats Arabes Unis. Donc, Cameron fait un détour par les Émirats pour marquer sa part du butin, Hollande fait un détour par le Liban pour marquer la sienne. En clair, nous sommes aux premières loges pour assister à l’esquisse de la dernière « nouvelle carte » souhaitée pour la région !

Il est vrai que depuis bientôt une année, l’Occident, les Pays du Golfe et la Turquie étaient bien partis pour faire exploser le Liban. M. Oglou nous a rendu visite, suivi de M. Feltman et de bien d’autres… Nul n’a manqué à la liste des visiteurs pour dire et répéter : « Allons, cette guerre est celle de toute la région, celle de nous tous, le Liban est destiné à y jouer un rôle de premier ordre, il n’est pas concevable que vous restiez à l’écart ! ». Ils sont allés jusqu’à exercer des pressions sur le député Walid Joumblat pour qu’il se prononce au-delà des limites exigées par la situation politique. Souvenez-vous, il était même question d’accueillir les dirigeants de l’opposition syrienne du « Conseil d’Istanbul » au Liban… Tout a été fait et tout a été épuisé pour exploiter le Liban dans cette guerre contre la Syrie : trafic d’armes, de combattants et de djihadistes ; installation de bases pour les salafistes dans le Nord et dans le Bekaa ; tribunes et propagandes médiatiques sans précédent ; zizanies entre les différents partis politiques ; menaces de guerre ; et pour couronner le tout, implication de la Turquie à la manière d’un nouveau Pakistan avec la Syrie comme nouvel Afghanistan ! Mais cette période d’escalade dans la déstabilisation et la violence est maintenant dépassée.

Nous sommes désormais dans l’avant dernière étape préparant la nouvelle donne. Car, si la coalition « atlanto-turco-golfiste » s’était dirigée vers une victoire en Syrie, elle aurait remis ses arrangements concernant les zones d’influence des uns et des autres à plus tard pour profiter de son succès, même strictement politique, et se partager le butin dans les pays limitrophes ou l’ensemble des pays concernés et déstabilisés par le conflit. Il est donc clair, et je m’appuie sur des informations, que le monde occidental mené par les États-Unis a trouvé un terrain d’entente sur une nouvelle équation. Elle se résume à dire que le retrait d’Afghanistan étant programmé pour 2014, l’année 2014 sera celle de la concrétisation des ententes, et l’année 2013 sera celle de la politique.

Q. Selon vous, l’année 2013 sera celle de la politique ou du règlement définitif?

R. L’année 2013 sera celle de la politique dans le sens où faire tomber le régime syrien à la manière, désormais traditionnelle, de la Libye ou de la Tunisie et de l’Égypte est caduque. Il en est de même du procédé yéménite enterré par M. Oglou en personne. C’est le terrain qui décidera si le règlement se fera en faveur ou contre la Syrie, et il est évident que les négociations politiques n’empêcheront pas toutes sortes d’opérations militaires et l’escalade dans les agressions contre la Syrie. Est-ce qu’ils décideront de l’attaquer sur tous les fronts ou bien de l’encercler pour en obtenir davantage sur la table des négociations ? Ce qui est certain est que, mise à part l’Arabie Saoudite, ils en sont tous arrivés à la décision qu’une guerre contre la Syrie les mettrait dans une situation pire que celle qui est la leur aujourd’hui. C’est pour cette raison qu’ils gonflent au maximum les opposants syriens en leur promettant toutes les armes nécessaires au cas où ils réussiraient à s’unir !

Mais, il est clair qu’actuellement la balance penche en faveur de la Syrie militairement et politiquement. La preuve en est une déclaration importante de M. Sergueï Lavrov publiée ce matin par le quotidien égyptien « Al-Ahram ». Il a fait savoir que la Russie avait fini de livrer à la Syrie des armes portant sur des moyens de défense contre une menace extérieure en application de contrats anciens. Nous savons qu’il s’agit, entre autres, des fameux S-300 qui avaient soulevé l’indignation des USA et d’Israël. Ce qui signifie que s’il y a un an on se contentait de dire que la Syrie pouvait déclencher une guerre régionale qui menacerait la sécurité d’Israël, aujourd’hui on se dit qu’en cas de guerre contre la Syrie c’est l’OTAN qui pourrait perdre des centaines d’avions de combat !

Q. Plus personne ne parle d’intervention militaire de l’OTAN en Syrie, mais le camp adverse ne manque pas d’alternatives. Tout le monde sait qu’il est question de fournir des armes anti-aériennes aux rebelles. Hier à Doha, où des représentants de l’opposition syrienne préparent la rencontre du Jeudi 8 Novembre censée les unifier au sein d’un gouvernement provisoire, l’opposant Riad Seif qui est proche des autorités américaines a fait une déclaration qui va dans ce sens…

R. Certes, mais avec l’exigence des USA que ces opposants arrivent à nettoyer les régions, considérées comme conquises, de tous les djihadistes qui les encombrent ! C’est là une exigence de notoriété publique, publiée par l’ensemble de la presse occidentale et clairement explicitée par Me Hilary Clinton avouant qu’il est impossible d’envoyer des armes vers l’inconnu. […] tandis que sur la BBC Georges Sabra, figure chrétienne du « Conseil d’Istanbul », avoue que le noyau dur de ceux qui combattent le « régime » syrien sont des djihadistes […].

J’en déduis que tout ce qu’ils font pour tenter d’unifier l’opposition anti-gouvernementale, à Doha ou ailleurs, n’est pas là pour faire tomber le régime, mais pour se préparer à aller aux négociations en position de force et autant que faire se peut ! D’où les escalades verbales, les promesses d’armement…

Q. M. Lavrov s’est d’ailleurs prononcé là-dessus au Caire. C’est bien ce qu’il a dit ?

R. M. Lavrov a déclaré en substance que si les pays de l’axe anti-syrien persistaient à pousser aux extrêmes, à torpiller toute solution politique, à armer l’opposition… ils finiraient par faire exploser la région, car la guerre ne restera pas confinée à la frontière syrienne. Ce qu’il faut comprendre de l’ensemble de ses déclarations est que si la Syrie entre dans un conflit ouvert, le deuxième pays qui aura à en pâtir sera la Turquie où la situation pourrait exploser à tout moment. Et M. Brahimi est allé encore plus loin en estimant que d’autres pays proches et plus lointains en subiraient les néfastes conséquences.

Tout ce qui précède indique que l’année prochaine sera autant marquée par les tractations politiques, les opérations militaires et les négociations. Pour ne parler que de L’Iran, rappelez-vous qu’en Août dernier les discussions étaient déclarées closes, M. Obama ayant prévenu que la table des négociations ne serait pas éternellement dressée. Mais voilà qu’il y a 2 jours, l’administration américaine annonce la reprise des négociations à [5+1] alors qu’elle avait formellement démenti, deux à trois semaines plus tôt, l’existence d’un accord sur des négociations bilatérales concernant le nucléaire iranien. Démenti compréhensible, lorsqu’on imagine l’impact d’un tel accord sur les alliés des USA qui ont suivi aveuglément l’intransigeance américaine. D’ailleurs si M. Jeffrey Feltman a été nommé Secrétaire général adjoint aux affaires politiques à l’ONU, ce n’est certainement pas pour assister le formidable cerveau stratégique qu’est Ban Ki-moon, mais plutôt parce que les USA ont besoin de la couverture de cette instance pour agir. C’est M. Feltman qui devra négocier en leur nom avec l’Iran. C’est lui qui devra négocier en leur nom pour la Syrie… Bref, l’année prochaine sera marquée par des négociations sur et sous la table, selon les exigences concrètes imposées par les circonstances !

Q. Où en est le Liban dans tout cela ? Comment voyez vous sa situation face à un Occident qui persiste à l’utiliser pour aller plus loin dans l’escalade militaire contre la Syrie, tout en cherchant à négocier et à vouloir le protéger des retombées négatives du conflit ?

R. Tant que l’axe anti-syrien a cherché à envenimer la situation en Syrie pour la forcer à plier, il a utilisé le Liban. Mais il se trouve que tous les moyens déstabilisateurs qu’il a accumulés, dans sa guerre non déclarée contre la Syrie, n’ont pas empêché sa ligne directrice d’aller en s’infléchissant. Par conséquent, il est désormais évident qu’il fait ce qu’il peut et non ce qu’il veut en tentant de contenir les pertes qu’il subirait au Liban, en cas de victoire syrienne. Notamment, en évitant que les forces libanaises favorables à la Syrie n’en tirent bénéfice en cas d’une nouvelle équation interne au Liban. […]

Si nous considérons les conséquences des violences, du comportement des « 14 marsistes » et même de l’assassinat du Général Wissam al-Hassan, nous pouvons dire que nous assistons à la « fin politique » du Mouvement du 14 Mars. Certes, il survivra en tant que parti pour de multiples raisons de représentativité locale. Mais il a perdu sa dynamique, puisqu’il s’est mis en situation de devoir remporter une victoire contre la Syrie pour survivre. Il avait besoin de ce crédit qui aurait été équivalent à celui gagné par le Hezbollah suite à sa victoire sur Israël en 2006. Au lieu de cela, il n’a fait que pousser ses partisans sunnites dans les bras des salafistes, tandis que ses partisans chrétiens se retrouvent plus confiants au coté du Patriarche Al-Raï, à défaut de se rallier au Général Michel Aoun.

Pendant ce temps l’Arabie saoudite, qui dit ne pas souhaiter voir « le vide » s’installer au Liban, s’entête à faire pression sur le député Walid Joumblat pour le pousser à démissionner du gouvernement, espérant ainsi atteindre ses objectifs premiers partagés avec les USA, la France, le Qatar… À mon avis, il ne le fera pas maintenant qu’il a déclaré que le Président syrien ne sera pas renversé de sitôt, et qu’il a compris que tel est le but de la manœuvre de la part de ceux qui voudraient l’utiliser pour réussir là où ils ont échoué.

Q. Qu’en est-il de la situation militaire en Syrie ?

R. Le Président syrien s’est préparé économiquement et militairement à cinq années de guerre ! Actuellement la force militaire mobile de l’Armée syrienne qui se bat sur tous les fronts est constituée de 100 000 soldats, ce qui signifie que les trois quarts des forces n’ont pas bougé ni en hommes, ni en matériels. Les 100 000 soldats engagés dans le combat font face à environ 250 000 combattants armés, dont 70 000 sont entrés en Syrie par la frontière turque, 17 000 sont entrés par la frontière libanaise, 30 000 sont entrés par la frontière jordanienne, 94 000 sont des fugitifs de la justice syrienne, 8000 sont des déserteurs de l’Armée syrienne, 12 000 sont des militants de l’opposition armée syrienne. Au total 120 000 ne sont pas syriens, et il existe 56 organisations et 160 groupes différents qui n’ont rien à voir ni avec le « Conseil d’Istanbul », ni avec le groupe qui tente de s’unifier à Doha !

Par ailleurs, le financement de toutes ces mouvances armées est surtout assuré par des moyens extra-gouvernementaux provenant essentiellement de quêtes dans les mosquées wahhabites, auprès d’hommes et de cheiks fortunés du même bord, avec évidemment l’approbation de leur gouvernement ; les différents conseils de la révolution assurant à peine 10 % du financement total. De toute façon et au point où nous en sommes, si demain l’Émir qatari donnait l’ordre d’interdire ces donations, il serait accusé de « lâcher la révolution ». Le roi de Jordanie a bien essayé de concentrer les sommes destinées aux soi-disant révolutionnaires entre les mains de son gouvernement, mais il a vite fait de se raviser !

Permettez-moi une parenthèse à l’intention de ceux qui disent qu’il suffirait d’unifier l’opposition pour tout régler. En réalité, seule l’Armée syrienne est capable d’en finir au plus vite avec les djihadistes sévissant en Syrie. Il faudrait pour cela que Bachar Al-Assad accepte de sacrifier un demi-million de personnes, ce qu’il ne fera pas !

Article transcrit partiellement et traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Texte original : Émission Al-Hadath de 1’08 / Al-Manar TV (vidéo)

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