Publié le : 19 novembre 2012
Source : marianne.net
La crise espagnole crée un repli nationaliste où Madrid apparaît comme le coupable expiatoire idéal. Historien et professeur de sciences politiques à Madrid, Antonio Elorza répond aux questions de Marianne.
Marianne : Pourquoi un tel appel avant les élections régionales catalanes du 25 novembre ?
Antonio Elorza : Nous voulons mettre en garde contre les dérives souverainistes du président catalan, Artur Mas. Son pari indépendantiste est dangereux pour la stabilité du pays, car il ne respecte pas l’un des piliers de notre jeune démocratie, à savoir la Constitution. En outre, il utilise les outils de la démocratie, comme les élections régionales, pour imposer un modèle totalitaire et xénophobe. Sa campagne électorale va au-delà du scrutin du 25 novembre, il y a en toile de fond la tenue d’un référendum sur l’indépendance. Or, son combat est fondé sur le rejet de l’Espagne et exclut toutes les voix discordantes. D’ailleurs, on peut voir comment il a réussi à imposer dans la presse un unique message. Il a à sa botte toute la presse catalane, du journal conservateur La Vanguardia au quotidien de gauche El Periodico de Catalunya. Avec ce manifeste, on défend l’idée d’un modèle national, où toutes les sensibilités régionales sont prises en compte, on défend aussi l’idée d’un Etat plus fédéral et on refuse les stéréotypes sur lesquels Artur Mas fonde sa campagne de propagande du type «les Espagnols haïssent les Catalans», ou encore «la Catalogne est soumise à une spoliation». Ce sont des messages faux, et on ne peut pas le laisser dire n’importe quoi.
Et pourtant, selon les sondages, Artur Mas bénéficie de l’appui de 52 % de la population catalane, il est difficile de nier l’existence d’un désir indépendantiste…
A.E. : En effet, les derniers sondages montrent que les thèses indépendantistes ont gagné du terrain auprès de la population, notamment depuis la Diada, la fête nationale catalane du 11 septembre. Or, les véritables raisons de cette radicalisation ne proviennent pas d’un sentiment nationaliste mais d’un ras-le-bol quant à la situation économique du pays. La crise a pour effet un repli nationaliste, comme en Grèce ; or, ici, cela se traduit par un réveil régional. Et, puisqu’il faut trouver un responsable à la mauvaise gestion financière, Madrid est le coupable expiatoire idéal, même s’il est en partie vrai que le gouvernement central est redevable à la Catalogne. Il y a en effet un déséquilibre financier qui doit se résoudre par un réajustement du pacte fiscal.
Quel est le risque de ce pari indépendantiste ?
A.E. : Il y a un risque d’escalade qu’il ne faut pas négliger. Artur Mas a, certes, lancé son message indépendantiste par démagogie politique, mais il existe une frange de la population qui est prête à «aller au carton» avec Madrid. Cela peut se traduire par une déclaration unilatérale d’indépendance. Dans les faits, cela revient à une insoumission fiscale, commerciale, etc. La Catalogne sortirait de l’Espagne et, donc, de l’Union européenne. Sans parler des risques totalitaires, l’installation d’un gouvernement régional dictatorial, où toute voix contraire au catalanisme est rejetée du pays. C’est déjà le cas dans les institutions publiques catalanes. En cette période de crise, les dérives populistes totalitaires sont à craindre, et la trajectoire vers l’indépendance de la Catalogne n’est pas à prendre à la légère.