Publié le : 17 janvier 2013
Source : atlantico.fr
Concernant le débat sur le mariage pour tous, l’hebdomadaire Marianne s’est rangé du côté de la pensée unique
En consacrant pas moins de quatre articles à la Manif pour tous du 13 janvier, Marianne.fr a sans nul doute pris la mesure de l’événement. Mais à lire ces articles, on devine que la rédaction du magazine a fait grise mine devant le succès de la manifestation.
Maurice Szafran, son directeur, donne la ligne éditoriale sur un ton apparemment bienveillant. Cette manifestation, dit-il, a été impressionnante. Elle comprenait, relève-t-il, surtout des catholiques et des gens de droite (c’est vrai, même si le vice-président du Consistoire israélite et quelques imams étaient à la tribune !). François Hollande doit en tenir compte. En changeant ses projets ? Que non : en faisant un « travail pédagogique » à leur égard. Pédagogie, de παιδός, enfant : pour lui, ces gens-là sont de grands enfants. Pédagogie, éducation, rééducation : au moment où les Chinois parlent de fermer le laogai, ils ont peut-être des « éducateurs » à recycler ? Idée. « Elle n’éprouve pas le moindre doute, cette part de France (les manifestants) ». Le directeur de Marianne non plus : ce sont les manifestants qu’il faut rééduquer, pas les promoteurs du projet. Il ne remet pas en cause ses certitudes, pire : il n’envisage même pas qu’on puisse les remettre en cause ; que l’on puisse tenir l’extension du mariage homosexuel pour une aberration anthropologique est une opinion qui , selon lui, mérite certes de la considération (François Hollande ferait bien d’ y être ouvert ) mais apparemment aucun respect intellectuel : ceux qui la partagent, « fermés sur eux-mêmes », sont à instruire, à apprivoiser, rien d’autre.
L’idée que le mariage puisse être institué entre deux personnes, quel qu’en soit le sexe, fait partie pour Maurice Szafran et les siens, de l’avenir radieux de l’humanité, des « hauteurs béantes » où le progrès nous conduit inéluctablement. Ceux qui n’ont pas encore compris comprendront sans doute si on le leur explique gentiment.
Et in cauda venenum : « Il n’y eut apparemment pas de dérapage homophobe tout au long de cet immense cortège. Tant mieux, c’était une exigence et une marque de respect minimum. Et pourtant… » . Tout est dans ce « Et pourtant… », particulièrement odieux. La loi de suspects n’est pas loin : la pointe du soupçon est glissée alors qu’on vient de dire qu’ il n’avait pas le moindre fondement.
« Marque de respect minimum » ? Et qu’aurait été une « marque de respect maximum » ? De se taire et de se rallier sans sourciller aux thèses d’Act Up ? Et oui, même si rien n’en transparait, ces gens pourraient bien être homophobes ! Méfions-nous : si un animal dépourvu du tatouage de la pensée unique se promène dans les rues, c’est que, comme le disait le regretté Philippe Muray, la « cage aux phobes » est encore ouverte. Et pas un peu, cette fois, un million de phobes en divagation ! Que fait la SPA ? Soupçon pour soupçon : que ces gens-là puissent avoir des raisons que la raison n’ignore pas et qui (qui sait ?) sont peut-être de bonnes raisons, en est un qui n’effleure pas une seconde le patron de Marianne !
En consacrant ensuite un long article à Valérie Merle, épouse Telenne, plus connue sous le nom de Frigide Barjot, Marianne.fr ne se trompe pas sur le rôle essentiel que cette personnalité atypique a joué. Si elle n’avait pas été là, il ne se serait sans doute à peu près rien passé. Bon ! L’article n’est pas globalement antipathique. Ce serait d’ailleurs difficile, la connaissant. Que l’on rappelle ses affinités catholiques plus anciennes qu’elle ne le laisse croire, très bien, ses états de service à droite, c’est de bonne guerre. Mais fallait-il aller jusqu’à évoquer son appartement, le montant de son loyer, les origines de la fortune de son père, ses supposées difficultés conjugales ? Que Marianne n’aime pas la Manif’ pour tous, c’est son droit, mais fallait-il pour autant tomber dans le caniveau ? Et M.Szafran, combien de loyer paye-t-il ? Il serait propriétaire ? Alors d’où vient sa fortune ? Et les militants LGBT dont personne ne nous dit qui il sont, de quoi vivent-ils ? Combien payent-ils de loyer ? S’entendent-ils si bien avec leur futur éventuel « conjoint » ? Marianne nous dira-t-il tout cela aussi ? Nous espérons bien que non ! Car l’honneur d’une certaine presse est en jeu. Mais alors, il ne fallait pas commencer avec Frigide Barjot !
D’autant que, de ces ragots, aucune source n’est citée. Les initiés la connaissent : un blog anonyme, écrit par un barjot, un vrai celui-là, un de ces nombreux hystériques que la personnalité charismatique de Frigide Barjot suscite. De qui s’agit-il ? Voilà ce que Marianne.fr aurait pu nous apprendre.
Enfin, l’article que tout le monde attendait : le Front National dans la Manif’ pour tous : en réalité une toute petite composante que l’on avait, après tout, le droit d’étudier. Mais par derrière cette étude, un message subliminal vicelard : sous ces gentils cathos qui défilent, méfiez-vous : c’est en fait le Front national qui avance masqué. Derrière la marée de fanions roses, la gaité, la jeunesse (qu’un autre témoin a trouvée « ennuyeuse »), la créativité extraordinaire de cette manifestation, presque entièrement organisée par des moins de 25 ans, pourrait bien ramper la bête immonde.
C’est sans doute pour cela que Simone Veil s’est mêlée un moment aux manifestants ! Mais ça, Marianne ne le dit pas.
Que n’a-t-on, au lieu de ce mélange de condescendance, de fausse gentillesse et de vraies vacheries, entamé un débat de fond sur la division de la société française entre ceux pour qui le mariage dit « gay » (l’est-il tant que cela ?) est une évidence, et ceux pour qui il est une absurdité, cela sans préjuger de qui a raison. Pourquoi une telle césure ? Le dialogue est-il possible (nous craignons que non !) ? Quels risques fait courir au pays François Hollande à soulever un tel débat (« navrant » en effet, Monsieur Szafran) dont au fond la France aurait pu ( et ça c’est une opinion vraiment majoritaire ! ) se passer ? A voir sans doute au prochain numéro.
Ainsi, Marianne qui, au temps de Jean-François Kahn ou de Philippe Cohen, avait su trouver une place originale dans la presse française, est rentré dans le rang libéral-libertaire. Sur un sujet majeur, ce magazine (à tout le moins son blog) s’aligne sans nuances sur le politiquement correct. Malgré quelques foucades contre les riches ou tel ou tel scandale, qui sont un peu le pendant à gauche, des écarts populistes de Jean-François Copé, sources de mini-remous, qui cachent mal son alignement libéral, Marianne s’ est rangé dans le grand parking des idées convenues du lilisme, quelque part entre Libé et le Nouvel Obs . Imprévisibilité zéro. Dans une presse française qui épouse à 90 % la même ligne, à quoi sert-il encore ?
Roland Hureaux