Publié le : 29 mars 2013
Source : observatoiredeleurope.com
De plus en plus souvent, la fin de l’euro est évoquée comme une éventualité crédible. Certains de ses partisans, prévoyant un avenir difficile, commencent à rejeter la responsabilité de l’échec sur autrui. La monnaie unique, disent-ils, ne pouvait fonctionner sans fédéralisme, et si ce dernier n’est pas venu, ce n’est pas notre faute, c’est la faute des politiques qui n’ont pas fait leur travail. Le dernier livre de Patrick Artus semble s’inscrire dans cette tendance. Il a inspiré à Georges Berthu, ancien député européen, quelques réflexions sur la fin de l’euro.
Réflexions sur la fin de l’euro
L’économiste Patrick Artus, directeur des études économiques de la banque Natixis, celui-là même qui annonçait en 2008 la fin de la crise,[1] vient de publier un nouveau livre, dans lequel il démontre – d’ailleurs brillamment – ce que tout le monde a maintenant compris : l’unification monétaire européenne ne tiendra pas si elle n’est pas rapidement complétée par des institutions fédérales. Le fédéralisme est nécessaire « pour éviter la croissance déprimée et l’explosion de l’euro ».[2]
L’ennui, c’est qu’il ne parvient à exposer de manière convaincante ni comment on pourra passer au fédéralisme, ni en quoi cette formule consisterait le cas échéant. Ce livre débouche sur un gouffre sans fond.
Nous connaissons déjà la démonstration de base : les pays de l’euro sont depuis l’origine trop hétérogènes pour constituer une « zone monétaire optimale », et en plus, au lieu d’harmoniser les économies, comme certains l’avaient espéré au départ, l’unification monétaire ne fait qu’engendrer une hétérogénéité encore plus grande. En effet les taux directeurs uniques de la BCE comme le taux de change extérieur unique ne conviennent vraiment bien aucun pays (quoique un peu moins mal à l’Allemagne), et finalement font du tort à tout le monde. Les parités internes fixées « irrévocablement » empêchent les rééquilibrages en souplesse entre les États membres de la zone. Enfin les pays réagissent différemment aux chocs extérieurs – comme celui de la concurrence internationale devant laquelle l’Union européenne s’est déclarée zone ouverte. Bref, les divergences s’accroissent, elles deviennent intenables, jusqu’au moment où elles feront exploser le système euro.
Peut-on échapper à cette fatalité ? Trois types de solutions sont imaginables.
1 – Tenir l’euro à bout de bras en essayant de créer de l’homogénéité par une sévère coordination économique, financière, budgétaire.
C’est la politique actuelle de l’Europe. Elle est impossible à soutenir dans le temps car il faudrait des instruments beaucoup plus forts que l’Union n’en possède – à la limite des instruments dictatoriaux – pour s’opposer aux tendances naturelles de la zone à diverger.
De plus, la divergence majeure vient de la désindustrialisation dont les États essaient d’effacer les effets négatifs par des budgets en déficits. Or vouloir réduire ces déficits pour aligner les pays sur la « règle d’or » budgétaire, c’est livrer les sociétés aux ravages de la concurrence internationale inéquitable sans rien leur donner en échange pour alléger leurs souffrances. En même temps, on dresse les peuples les uns contre les autres. C’est une politique suicidaire pour l’Union Européenne.
2 – Passer à l’étape fédérale.
C’est la solution préconisée par Patrick Artus. Apparemment (ce n’est pas très clair), elle n’annule pas dans son esprit la solution précédente, mais s’y superpose : on allègera les souffrances de l’unification en organisant des transferts financiers depuis les pays les moins malades vers les pays les plus malades, toujours dans le cadre d’une surveillance centralisée. C’est ce que les Allemands appellent « l’Union de transferts ». Comme nous l’avons déjà vu cent fois, tout l’attirail des techniques de transfert nous est alors présenté : euro-bonds, transferts budgétaires, politique industrielle européenne, système européen d’indemnisation du chômage, fonds européen pour le rachat de la dette souveraine des canards boîteux. Tout y passe. Et comme d’habitude, tout est irréalisable, du moins à la grande échelle qui serait nécessaire pour sauver l’euro.
Parce que, diront les mauvaises langues, l’Allemagne refuse de payer pour des gens qui ne veulent pas consentir aux sacrifices qu’elle s’est elle-même imposés. Mais surtout, dirons-nous, parce que la situation créée par l’euro et par les politiques européennes est devenue tellement désastreuse que, même si l’Allemagne voulait soutenir tout le monde en distribuant des crédits, elle s’y ruinerait sans parvenir à sauver personne.
Et ce n’est pas tout. Car Patrick Artus fait complètement l’impasse sur le vice principal du fédéralisme européen : dans la mesure où celui-ci capte les souverainetés nationales sur les affaires financières essentielles, il a impérativement besoin d’être contrôlé par une démocratie parlementaire au niveau européen. Or celle-ci n’existe pas, et ses conditions de réalisation, espace politique commun, solidarités puissantes, etc, n’existent pas non plus. Il n’y a pas en Europe une zone monétaire optimale, mais il n’y a pas non plus de zone fédérale optimale. Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe ni solidarités, ni sentiments politiques communs. Mais qui doivent s’exprimer autrement que par l’unification fédérale.
Comment Patrick Artus peut-il omettre une question si importante ? Sans doute parce qu’il voulait terminer son livre sans avouer que l’euro n’est pas viable.
3 – Mettre fin à l’euro, pour tous les membres ou une partie d’entre eux.
La fin de l’euro n’est pas une solution, c’est un échec incontestablement. Echec pour ceux qui croyaient qu’il allait ouvrir une ère nouvelle « de croissance et d’emploi ». Echec pour les opposants qui se sont trouvés face à des promoteurs supérieurement organisés.
La fin de l’euro pourra difficilement se passer en douceur, même si des scénarios alternatifs commencent à être préparés dans certains milieux financiers. Elle risque de s’imposer brutalement à nous tous, sans demander l’avis de personne, avec, c’est bien évident, un coût très élevé. Notamment un coût patrimonial pour tous les détenteurs d’actifs relevant de pays dont les nouvelles monnaies nationales seront dévaluées.[3]
Mais en regard de ce coût énorme qui nous sera imposé, il faut mettre le coût énorme du maintien de l’euro : sa contribution à la désindustrialisation, la régression issue de la politique d’austérité centralisée, et surtout le coût encore plus énorme de la perte de la démocratie.
Car c’est finalement la question essentielle : l’euro nous a-t-il distribué tant de bienfaits qu’il vaille la peine, pour le maintenir, d’établir en Europe une surveillance centralisée des pays par les eurocrates, un fédéralisme autoritaire, contrebalancés seulement par la démocratie artificielle du Parlement européen ? La réponse est « non », bien sûr. Il est seulement infiniment regrettable qu’il ait fallu tant de souffrances pour en arriver à une conclusion qui, finalement, était prévisible dès le début.
Parmi ceux qui se sont battus vaillamment dès le début pour éviter la catastrophe de l’euro, figure le Professeur Jean-Pierre Vespérini. Celui-ci vient de publier un livre de synthèse « L’euro – Origines, vertus et vices, crises et avenir » [4] qui est une merveille de pédagogie.
Jean-Pierre Vespérini démontre clairement les vertus et les vices de l’euro, les seconds s’avérant aujourd’hui très supérieurs aux premières. Pour contrebalancer les vices, des petites améliorations techniques seraient imaginables, mais insuffisantes. Il faudrait ajouter du fédéralisme politique, mais malheureusement celui-ci apporte avec lui ses propres vices, et la balance reste déséquilibrée.
Ce livre constitue un antidote à celui de Patrick Artus.
Georges Berthu (ancien député européen)
[4] Jean-Pierre Vespérini, L’euro – Origines, vertus et vices, crises et avenir, Dalloz, 2013.