Publié le : 15 mai 2013
Source : russeurope.hypotheses.org
Et voilà. L’INSEE vient de reconnaître que la France est en récession. Le temps n’est plus ou les mésanges du PS nous sifflotaient, avec toute l’assurance de ces polytechniciens qui ne connaissent rien à la réalité, que la croissance en 2013 serait de +0,8% (n’est-ce pas Madame Karine Berger….). C’était à l’automne dernier, mais qui s’en souvient ? Cette nouvelle est en train de déclencher une polémique tout à fait inutile sur la « responsabilité » de la politique de François Hollande. Le graphique ci-dessous indique bien que le mouvement a commencé en 2011 (donc sous Sarkozy) mais qu’il s’est accentué avec François Hollande. À cela, pas de mystère. Ce dernier mène exactement la même politique que son prédécesseur.
Graphique 1
Source: INSEE
Il y a un point cependant qui apparaît comme plus inquiétant encore que la récession : c’est la chute de l’investissement et de la demande. En fait les deux sont liés. Une entreprise n’investira que si elle a des perspectives de profit (sauf si elle fait de la philanthropie). Quand la demande se contracte, les occasions de faire du profit diminuent. Or la demande, quelle que soit la manière dont on la calcule, se contracte depuis plusieurs mois.
Graphique 2
Source: INSEE
Bien entendu, on pourrait imaginer que la contraction de la demande intérieure en France serait compensée par une forte demande extérieure. Mais ceci pose deux problèmes. D’une part, les principales économies de la Zone Euro (sauf l’Allemagne) sont elles-mêmes en récession, et la demande y décroît même plus vite qu’en France. D’autre part, pour pouvoir gagner sur l’extérieur un espace de profit, il faut être compétitif. Hors, depuis 2003, la compétitivité française s’est détériorée, et l’Euro n’est pas pour rien dans ce processus.
Graphique 3
Source: INSEE
On voit par ailleurs que ce n’est pas la réforme des 35h qui a dégradé la compétitivité, mais la mise en œuvre des politiques allemandes de transfert du poids des charges des entreprises vers les ménages, politiques qui sont l’équivalent d’une dévaluation masquée et qui sont la démonstration que le gouvernement allemand a mené une politique d’exploitation de ses voisins. Le fait que l’excédent commercial de l’Allemagne soit passé de 66% à 72% pour sa part réalisé DANS la zone Euro en est une autre preuve.
Graphique 4
Source: INSEE et CEMI-EHESS
On constate la dégradation de la balance commerciale à partir du début de 2004, le déficit commercial atteignant son maximum au 1er trimestre 2011. Par la suite, la réduction de la demande intérieure a limité l’ampleur de ce déficit, mais ce fut au détriment du taux de croissance qui, dès la fin de 2011 a commencé a stagner. En réalité, la demande intérieure des ménages reste le déterminant principal de la croissance, ce que montre le graphique suivant.
Graphique 5
Source: INSEE et CEMI-EHESS
On constate d’ailleurs que la demande n’explique qu’une partie de la croissance. C’est tout à fait normal et il faut se tourner, pour le reste, vers l’investissement productif soit celui des entreprises non-financières et des ménages. On constate que, hormis la période de la crise (2ème trimestre 2008-fin 2009 et depuis le 2ème trimestre 2012) les droites d’ajustement sont assez bonnes (ce qui explique le “Z” inversé de la courbe sur le graphique 6a). Les calculs sont réalisés avec un décalage de deux trimestres entre l’investissement et le PIB.
Graphique 6(a)
Graphique 6(b)
Source INSEE et CEMI-EHESS
Cependant, l’investissement productif lui aussi décroît, comme nous l’avons remarqué au début de cette note. Ce qui est plus grave est que toutes ses composantes sont affectées d’un même mouvement, qu’il s’agisse des entreprises (non-financière) ou des ménages, et ceci en dépit de taux d’intérêt très bas.
Graphique 7
Source: INSEE
Quant à la demande, elle est ponctionnée tant par l’impôt que par les entreprises qui veulent reconstituer leur taux de marge. Dans ces conditions, et compte tenue de la politique fiscale et budgétaire du gouvernement, il y a peu de chances que le mouvement s’inverse. Ajoutons à cela l’impact du ralentissement de la croissance en Chine et aux États-Unis, et l’on verra qu’il n’y a rien à attendre de positif pour la seconde moitié de 2013 et même pour 2014.
La solution qui s’impose, devant le blocage institutionnel en Allemagne sur la question de la hausse des salaires, ne peut être qu’une dissolution de la zone Euro et une dévaluation compensant les effets de la politique allemande du début des années 2000. C’est la voie de la raison et de la sagesse. Il ne faut plus tarder à cet égard.
Jacques Sapir