Publié le : 21 mai 2013
Source : lexpress.fr
L’Express est en mesure de le révéler: les maires de La Rochelle, de Rochefort, de Châtelaillon-Plage et de Montendre sont francs-maçons. Et, derrière eux, nombre d’élus. De quoi éclairer la vie politique locale d’un nouveau jour.
« J’aime laisser planer le doute. » La formule, sibylline, est signée Maxime Bono. Le maire (PS) de La Rochelle se plaît à l’employer quand, en privé, il est questionné sur son appartenance maçonnique. Il n’aura désormais plus besoin de louvoyer – contacté à maintes reprises, Maxime Bono n’a pas jugé utile de répondre à nos demandes. L’Express est en mesure de révéler que le premier magistrat est membre de l’atelier rochelais République et laïcité du Grand Orient de France (GODF), réputé pour accueillir des frères de gauche. « Une loge 100% socialiste, jure un ancien vénérable de la Grande Loge nationale française (GLNF). On n’y entre pas sans avoir sa carte flanquée du poing et de la rose. » L’affirmation est excessive: lors des tenues, l’atelier s’ouvre à d’autres obédiences et n’exclut pas les frères marqués à droite.
Jean-Louis Léonard pourrait en témoigner… s’il acceptait de se dévoiler. L’ancien député (UMP) de la Charente-Maritime, actuel maire de Châtelaillon-Plage, était en effet présent le jour de l’initiation de Maxime Bono. Maçon assidu depuis vingt ans, il est membre de L’Accord parfait (GLF) de Rochefort. Le couple Bono-Léonard? Adversaires politiques à la ville, frères de sang dans le secret des loges… Qui l’eût cru ! Pourtant, leurs liens secrets ont pu transparaître hors des temples. Il y a une dizaine d’années, les deux élus se sont retrouvés côté à côte, invités à la table d’un maçon rochelais de la GLNF, dont les ambitions politiques étaient contrariées. « Il avait souhaité les réunir pour évaluer comment il pourrait tirer profit de leur influence », raconte un frère témoin de la scène. Quand Maxime Bono et Jean-Louis Léonard ont compris qu’ils étaient tombés dans un traquenard, ils se sont levés comme un seul homme et ont poliment pris congé.
Une autre anecdote, impliquant des politiques initiés, illustre encore mieux le fameux adage « En maçonnerie, on laisse les métaux à la porte du temple » [NDLR: comprendre: on met de côté les attributs du pouvoir]. Au pied des barres HLM de la cité du Petit-Marseille, à Rochefort, l’atelier la Démocratie, du GODF, inaugure ce 16 juin 2011 son nouveau « saint des saints ». Devant un parterre de frères trois-points médusés, deux hommes se donnent spontanément l’accolade (le baiser maçonnique) : Jean-Louis Léonard, déjà cité, et le maire… socialiste de Rochefort, Bernard Grasset. Tous les deux ont été députés de la Charente-Maritime dans la même circonscription (Léonard a succédé à Grasset). Adversaires implacables devant les électeurs, les voilà comme les deux doigts de la main en coulisse… « Ce qui nous rassemble dans la franc-maçonnerie, c’est l’esprit républicain. Il va au-delà des clivages », justifie Bernard Grasset.
Un autre élu local de poids consent, lui aussi -et pour la première fois -à jouer cartes sur tables: Bernard Lalande. Le maire socialiste de Montendre, chef de file de l’opposition au conseil général de la Charente-Maritime, a été initié il y a trente-trois ans devant les frères des Pionniers du progrès (GODF), la loge de sa commune. Il n’a jamais quitté son atelier et aime se décrire comme « un indéfectible frangin de base ». Les hautes sphères de la maçonnerie ne l’intéressent pas, assure-t-il. Si ce proche de Ségolène Royal accepte de se dévoiler, c’est pour minimiser l’influence et le pouvoir des frères. « Le réseau socialiste au conseil général est beaucoup plus puissant, assure-t-il. Se déclarer franc-maçon fait, en outre, plus figure de tache dans le curriculum vitae qu’il n’est un moyen de prendre l’ascenseur social. »
Omniprésents à la mairie de Royan
Dès lors, pourquoi Bernard Lalande juge-t-il utile de préciser qu’il est « loin d’être le seul frère dans la collectivité départementale »? Sans révéler de noms ni de nombre. Pourquoi les maires profanes cherchent-ils tant à savoir ce qui se trame dans les temples?
A Royan, le maire non maçon Didier Quentin (UMP) a l’habitude d’apostropher Gérard Filoche, son adjoint au tourisme, d’un: « Alors, quoi de neuf dans les loges? » Filoche, qui fut aussi son directeur de campagne aux municipales de 2008, fréquente l’atelier le Phare de Saintonge, de la GLF, et a présidé le Club 50 de la Charente-Maritime. Les maçons sont aussi présents sur les bancs de l’opposition royannaise : Geneviève Dumas (MoDem) est la vénérable de l’Alliance océane, de la Grande Loge féminine de France (GLFF). Jean-Bernard Prudencio (Nouveau Centre), l’un des concurrents déclarés de Didier Quentin pour les municipales, a été initié au GODF.
François Drageon, le neveu d’Alain Juppé, rêve, lui, de s’emparer de l’hôtel de ville de La Rochelle sous l’étendard UDI. « Encore un maçon! » entend-on sur tous les tons dans le microcosme local. Initié serait plus juste. Car cet ancien bâtonnier au barreau de la ville, ex-président du Medef en Charente-Maritime et candidat oublié des législatives (1), n’a plus porté le tablier depuis des lustres. « J’avais 27 ans quand je suis entré en maçonnerie, mais j’ai vite renoncé, confie-t-il. A l’époque, mon père était un responsable influent du GODF, et j’ai cherché de cette façon à me rapprocher de lui. Mais je n’ai pas trouvé mon compte en loge. » Aujourd’hui, François Drageon affirme qu’il n’a plus aucun ami maçon et plus de contact avec eux ». Un sérieux handicap pour espérer devenir un jour maire de La Rochelle.
Stéphane Urbajtel
(1) Candidat aux législatives de juin 2012 sous l’étiquette du Parti radical, il a obtenu 1,88 % des voix. Tous les projecteurs étaient alors braqués sur le duel opposant Ségolène Royal à Olivier Falorni.