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Pierre Péan : « Dans la guerre du Kosovo, il n’y a pas de bons, ni de méchants »

1 juin 20130
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Publié le : 01 juin 2013

Source : atlantico.fr

Adepte des pavés dans la marre, Pierre Péan en lance un nouveau avec son ouvrage Kosovo. Une guerre « juste » pour un État mafieux. Quatorze ans après, il lève le voile sur la vérité de cette guerre menée par l’OTAN au nom d’une morale qui a largement profité aux mafieux albanais.

Atlantico : Votre nouveau livre, Kosovo. Une guerre « juste » pour un État mafieux, met en évidence le fait que les preuves ayant incité certains pays de l’UE, dont la France, à intervenir ont été fabriquées. Cette guerre du Kosovo ne constitue-t-elle pas un Irak avant l’heure ? 

Pierre Péan : Absolument. Plus généralement, ce qui m’a intéressé dans cette affaire, c’est le remodelage du monde depuis la chute du mur de Berlin. La guerre du Kosovo constitue l’aboutissement du démembrement de la Yougoslavie. Ce qui est fascinant est de voir les méthodes utilisées pour parvenir à écarter le Kosovo de la Serbie. On a alors dit qu’un génocide était en préparation, une allégation qui a le même effet qu’une arme de destruction massive. Qui pourrait résister à de telles affirmations ? Personne au monde n’est favorable aux génocides ! On retrouve donc là le même type d’argumentation que celle utilisée au sujet de l’Irak. La comparaison ne s’arrête pas là, et remonte même jusqu’aux événements de la Seconde Guerre mondiale, avec des Serbes transformés en nazis grâce à une propagande très forte. On s’est ainsi retrouvé, sans ambiguïté, avec des bons et des méchants. La comparaison est telle que les forces de l’OTAN se sont même appelées « Forces alliées ».

Au sujet de la guerre du Kosovo, vous rappelez souvent la phrase lancée par Lionel Jospin pour qui cette guerre « n’est pas une guerre mais des frappes menées au nom du droit ». En effet, la protection des droits de l’homme a largement été brandie comme motif d’intervention, comme il le fut également pour d’autres conflits post-Guerre froide. Quelle réalité se cache derrière cette notion ?

Le problème réside surtout dans les motifs qui ont ici été invoqués, c’est à dire la prévention d’un génocide. L’opération « Fer à cheval » est très clairement une opération montée de toutes pièces, lancée par Joschka Fischer. Il y avait alors d’autant plus d’impératifs à brandir des principes tels que la morale. A cela s’ajoute le fait qu’il s’agit d’une guerre menée en toute illégalité. C’est pour cela qu’on a voulu en faire une guerre juste. Cette phrase de Jospin est formidable, tout comme celles de Tony Blair et de Vaclav Havel. La morale ainsi brandie a permis de compenser le caractère illégal de leur entreprise. Désormais, les guerres sont faites au nom de la morale, de la défense des valeurs. Ceci explique la nécessité d’avoir une propagande très forte, à l’instar de celle ayant ayant accompagné l’opération « Fer à cheval ». Rappelons-nous également de la communication autour du massacre de Ratchak, qui a été le déclic de la conférence de Rambouillet, alors que l’on sait que ce massacre n’a rien à voir avec ce que l’on nous a raconté.

Le 22 juillet 2010, la CIJ (Cour Internationale de Justice) reconnaissait la conformité au droit international de la déclaration d’indépendance du Kosovo. On a souvent accusé la CIJ d’être une justice internationale au service de l’Occident. Le verdict aurait-il été différent si la justice internationale était conçue différemment ?

On voit très bien dans ce cas précis que le fonctionnement de la justice internationale pose problème. Je m’appuie d’ailleurs pour le dire sur une grande personnalité de cette justice internationale, Carla del Ponte. Elle raconte bien dans La traque que tant qu’elle œuvrait en faveur de la justice des vainqueurs dans le cadre des crimes commis au Rwanda et en ex-Yougoslavie, tout allait bien. Mais dès qu’elle s’est mise à enquêter sur les crimes commis par ce camp des vainqueurs, à l’exemple de ceux perpétrés par le clan Kagamé, elle s’est purement et simplement faite renvoyée du TPIR (Tribunal Pénal International pour le Rwanda). Il s’est passé la même chose lorsqu’elle a voulu s’attaquer aux crimes commis par les Kosovars : on l’en a empêché. On voit donc bien là la limite de ces juridictions internationales, et plus largement du droit international. Ce système fait partie d’une mécanique qui, volontairement ou non, est à l’œuvre depuis la chute du mur de Berlin.

Quel intérêt pour les occidentaux, et notamment la France, d’avoir été aussi permissifs à l’égard des chefs mafieux albanais ?

C’est une grande question qui est désormais plus simple à aborder, quatorze ans après. Le cas du trafic d’organes au Kosovo, qui est d’une certaine manière le fil rouge de mon nouveau livre, révèle bien que ceux qui étaient en mesure de savoir savaient, et qu’en dépit de cela, rien n’a été fait. Ceci s’explique de façon évidente: à partir du moment où l’on aurait reconnu tout ce que les services secrets ramenaient sur la table, il aurait été alors très difficile de justifier la guerre et d’aller jusqu’au bout de l’indépendance du Kosovo. Les politiques ont donc préféré faire comme s’ils ne voyaient rien afin d’éviter que tout leur système ne soit remis en cause.

Le fléau mafieux du Kosovo constitue-t-il la principale raison expliquant que près de la moitié des États de l’ONU, dont cinq pays membres de l’UE, ne reconnaissent toujours pas le Kosovo ?

Il y a un certain nombre d’États inquiets de cette remise en cause des frontières. Beaucoup d’États ont des problèmes avec une province ou une région. L’indépendance du Kosovo met le doigt dans une mécanique qui sera difficile à maîtriser. On peut donc comprendre aisément la non-reconnaissance du Kosovo par la Russie et la Chine, au-delà du caractère mafieux de l’Etat albanais. C’est cette nouvelle définition de la légitimité qui fait que de nombreux États n’ont pas reconnu l’indépendance du Kosovo, celle de la légitimité démocratique par opposition à la légitimité historique.

En insistant sur le caractère mafieux de cet État kosovar ainsi que sur les atrocités commises par l’UCK, ne contribuez-vous pas, d’une certaine manière, à réhabiliter le grand méchant Serbe ?  

Oui, mais de façon mécanique. Il n’y a rien d’intentionnel dans cette entreprise. Tout le monde y a été de son couplet sur les Serbes nazis. Ce que je dis dans le fond, c’est qu’il n’y a pas de bons, ni de méchants, comme dans toutes les guerres. Par conséquent, mon propos allège la responsabilité des Serbes, même si, je le répète, cela n’a rien d’intentionnel. Je pense que les Serbes seront quelque peu contents que l’on puisse les présenter sous une forme dénazifiée.

Pour en savoir plus, retrouvez le livre de Pierre Péan : Kosovo. Une guerre « juste » pour un Etat mafieux chez Fayard.

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