Publié le : 29 mai 2013
Source : bvoltaire.fr
Quels motifs, quelles informations, quels arguments ont bien pu amener l’Union européenne à annoncer que, dès le 1er août, elle s’autoriserait ou au moins autoriserait ceux de ses membres qui le souhaitent à fournir en armements la rébellion, avec le discernement et les résultats que l’on imagine ?
Les Européens ont-ils été séduits par l’aguichante vidéo où le chef d’une des unités du Front Al-Nosra, après avoir éviscéré un soldat loyaliste et dévoré tout cru, avec gourmandise, un morceau choisi du poumon du cadavre encore chaud, promet le même sort aux porcs et aux chiens du camp adverse ?
Les Européens ont-ils été sensibles au reportage tourné dans une « zone libérée » d’Alep sur laquelle flotte le drapeau noir d’Al-Qaida ? Tandis que des milices y arrêtent des suspects aussitôt traduits devant des tribunaux chargés de faire respecter la charia, des prêcheurs fous annoncent le règne sans partage de l’islam, les femmes sont voilées, les sexes séparés, les petits garçons psalmodient des versets du Coran et les petites filles chantent des chansons « patriotiques ». En l’espace de quelques semaines, cette portion du territoire syrien est repassée du XXIe siècle aux ténèbres du Moyen Âge.
Les Européens ont-ils été convaincus par le si opportun et si sensationnel reportage du Monde qui, tout en reconnaissant qu’aucun élément ne lui permet de prouver ce qu’il avance, donne à entendre que le régime utiliserait sans l’ombre d’un doute, ou peut-être pas, de façon massive bien que limitée et sporadique, suivant un dosage indéterminé, des armes chimiques qui contiennent peut-être du gaz sarin, mais peut-être pas, peut-être un autre gaz, mais on ne sait pas lequel, qui sont mortelles, mais pas immédiatement, pas forcément, et pas toujours, ce qui démontre évidemment qu’il a franchi, du moins si la chose est assurée, la fameuse ligne rouge ?
Les Européens se sont-ils tout simplement alarmés des succès que l’armée syrienne semble remporter depuis quelques semaines sur le terrain ?
Était-il urgent, était-il indispensable, était-il sensé de saboter, à quelques jours de son ouverture, la conférence de Genève où, pour la première fois, sous l’égide des États-Unis et de la Russie, se profilait la possibilité d’asseoir autour de la même table et d’amener à composer des envoyés du gouvernement de Damas et des représentants de l’insurrection ?
Le premier résultat tangible de la prise de position européenne est l’engagement pris par le gouvernement russe de fournir au gouvernement syrien des missiles qui rendraient inopérante la zone d’exclusion aérienne prévue par les stratèges de Londres et de Paris.
La seconde conséquence prévisible est l’aggravation et l’extension du conflit quand c’est la paix qu’il faudrait internationaliser.
Nos dirigeants sont-ils en mesure de nous expliquer au nom de quels principes, de quelles valeurs, et disposés à nous révéler en fonction de quelles alliances et de quels intérêts la France devrait se ranger aux côtés de l’Arabie saoudite, du Qatar, d’Israël, d’Al-Qaida, des Frères musulmans et des sunnites du Moyen-Orient, étrange et hétéroclite alliance qui pue le pétrole et la guerre, plutôt que dans le camp de la Russie, de l’Iran, de l’Irak chiite et du Hezbollah ? Que viendrions-nous faire dans cette guerre étrangère, dans cette guerre sauvage ? Faut-il absolument prendre parti pour la peste ou faire le choix du choléra ? Si tant est qu’il faille intervenir, devons-nous favoriser l’instauration d’une dictature obscurantiste au détriment d’une dictature laïque ? À l’époque de la guerre d’Espagne, le gouvernement du Front populaire n’a jamais envisagé d’aider Franco à prendre le pouvoir.
La Syrie brûle et l’Union européenne attise le feu. Au fou, les pompiers !
Dominique Jamet