Publié le : 03 septembre 2013
Source : lefigaro.fr
Obtenant visas et changeant d’identité, ces bandes montent en puissance et commettent plus de 30 % des vols.
À la manière de criquets s’abattant sur la récolte, un boulimique gang de voleurs de l’Est a écumé cet été à un rythme effréné la Vienne, les Deux-Sèvres, l’Indre-et-Loire ou encore le Loir-et-Cher en jetant en particulier son dévolu sur les campings. Ciblant les touristes étrangers, ces adeptes du cutter ont lacéré avec méthode les toiles de tente et éventré les auvents pour amasser un colossal butin. Ces stakhanovistes du cambriolage étaient culottés au point de passer à l’action pendant le sommeil des occupants. «Après des attaques sporadiques au début de l’été, le rythme s’est emballé pour atteindre jusqu’à quinze ou vingt vols par jour, rappelle le capitaine Sylvain Soula, de la compagnie de Châtellerault, qui a mené l’enquête. Ces raids nocturnes ont vite viré au cauchemar pour les Hollandais, Anglais et Allemands qui voyagent volontiers avec du matériel high-tech.» Aiguillonné par une déferlante de plaintes, les gendarmes ont mis sur pieds une équipe de lutte anti-cambriolages (Elac) qui, grâce à des «tuyaux» assez précis, a permis de remonter la piste jusqu’à un couple de Tsiganes retranché avec ses trois enfants dans un appartement de Châtellerault. En perquisition, les gendarmes ont mis la main sur un stock hétéroclite où se mêlent des tablettes numériques, une large gamme de smartphones dernier cri, mais aussi des ordinateurs, des appareils photo ou encore des liasses de dollars et de livres sterling. Un butin estimé à des dizaines de milliers d’euros. «Aujourd’hui, notre brigade ressemble un peu à un entrepôt d’Amazon», concède le capitaine Soula. Au total, le couple serait impliqué pour recel dans 200 vols encore non élucidés, sachant que les gendarmes ont déjà retrouvé une centaine de victimes ayant quitté la France après leur mésaventure. Le Tsigane appréhendé, âgé d’une trentaine d’années et jusqu’alors inconnu de la justice, a été écroué, alors que sa compagne a été placée sous contrôle judiciaire strict afin de subvenir aux besoins d’un nourrisson.
De plus amples investigations permettront de dessiner les contours de ce commando de pilleurs, qui, comme de nombreux autres, façonnent le visage d’une criminalité organisée qui donne le tournis aux forces de l’ordre. « Tout le pays est miné par ces bandes venues de l’Est qui s’adonnent au cambriolage avec la même frénésie que le vol d’or, de cuivre ou de pots catalytiques recelant des métaux rares… » constate un officier spécialisé.
Sur le terrain, les forçats du pied-de-biche n’ont jamais été aussi actifs. Chiffres à l’appui, l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) révèle que le nombre des vols commis aux domiciles des particuliers et dans les entrepôts a une nouvelle fois augmenté, de 7,2 %, en zone police en un an. Et que les cambriolages de résidences principales ont bondi de 11,3 % dans la même période dans les secteurs ruraux et périurbains contrôlés par la gendarmerie nationale. Soit, à l’échelon du territoire, 23.300 cambriolages de plus en douze mois!
Selon nos informations, les grandes razzias signées par les gangs balkaniques ou caucasiens sont désormais à l’origine de plus de 30 % du total des cambriolages. Outre quelques forceurs de coffres et casseurs de haute volée qui font équipe en fonction des circonstances et les redoutables « voleurs dans la loi » qui gangrènent le pays depuis quelques années (voir ci-dessous), cette forme spécifique de délinquance est le fait de clans familiaux roumains, croates ou serbes circulant sous couvert de visas européens obtenus sans peine et changeant d’identité par une simple demande en mairie de leur pays d’origine.
Achetant parfois de petites voleuses professionnelles jusqu’à 80.000 euros au mercato du banditisme international, ils font souvent appel à des adolescents de 13 à 16 ans pour mener de calamiteux raids nocturnes. « Au volant de voitures en bout de course achetées une bouchée de pain, ils couvrent des centaines de kilomètres en une journée pour cibler les zones pavillonnaires croisées en chemin, explique le colonel Patrice Bayard, chef de l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI). Ces jeunes voleurs raflent en priorité l’argent et les bijoux, délaissent les objets encombrants pour pas ne perdre de temps. La vitesse d’exécution est primordiale pour ces bandes furtives et très difficiles à remonter… »
Au printemps dernier, vingt-deux membres d’un réseau de cambrioleurs originaires de Serbie et de Roumanie avaient été interpellés lors d’un vaste coup de filet mené dans l’est et le sud-est de la France, ainsi qu’en Belgique et en région parisienne. Soupçonnés de 55 cambriolages commis en un temps record, les auteurs, dont le statut de mineurs offre une relative impunité, rayonnaient jusqu’en Allemagne. Les adultes donneurs d’ordre ont quant à eux été mis en examen pour vols en bande organisée mais aussi traite des êtres humains. Ils encourent vingt ans de réclusion criminelle. À la pointe de la lutte contre ce fléau, les experts de l’OCLDI ont noté la flambée des affaires de pillages en série. Entre 2010 et l’année dernière, celles-ci ont tout simplement doublé pour constituer 52 % de leur activité, avec une centaine d’affaires d’envergure mises au jour. À elle seule, cette unité a arrêté 324 gros délinquants itinérants en 2012, dont 60 % de cambrioleurs multirécidivistes.
215 «voleurs dans la loi» géorgiens derrière les barreaux
Les « Vory v zakone », les « voleurs dans la loi » géorgiens forment une nébuleuse criminelle parmi les plus venimeuses d’Europe et prenant racine dans l’Hexagone. Un bilan porté à la connaissance du Figaro révèle que 215 d’entre eux étaient incarcérés en France en juin dernier, contre « seulement » 80 en septembre 2010. Recrutant des cohortes entières de têtes brûlées venues de Tchétchénie, de Moldavie ou du Caucase, cette confrérie fermée, dont les rituels initiatiques remontent au régime tsariste, a longtemps prospéré à Tbilissi et ses environs jusqu’en 2007.
Les « Vor » y ont ensuite été chassés lors d’un changement de régime. « Ils ont essayé de s’installer en Russie, où ils se sont cognés à la mafia locale et à une impitoyable répression policière, explique un spécialiste. Ils se sont alors installés en Europe de l’Ouest, et notamment en France où les richesses sont plus accessibles et la riposte pénale fait sourire…» Exportant leurs « soldats » dans des régions où ils s’enracinent dans la plus grande discrétion, parfois avec le statut de demandeurs d’asile, ces bandes amassent jusqu’à 200.000 euros de butin par semaine.
Christophe Cornevin