Publié le : 13 février 2014
Source : bvoltaire.fr
Selon Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, Jean-François Copé « s’est ridiculisé » par ses attaques, dimanche, contre le livre Tous à poil.
Parce qu’elle, naturellement, elle ne s’est pas ridiculisée ? Elle ne s’est pas ridiculisée par son communiqué grave et solennel, mardi, sonnant le tocsin à travers toute la France pour une trentaine de bibliothèques publiques qui auraient fait l’objet, ces derniers jours, « de pressions croissantes de la part de groupuscules fédérés sur Internet par des mouvements extrémistes », des groupuscules qui « exercent des pressions sur les personnels, les somment de se justifier sur leur politique d’acquisition, fouillent dans les rayonnages avec une obsession particulière pour les sections jeunesse ».
Ah oui, on imagine ça très bien. Deux mères de famille qui entrent avec leur poussette respective, cela fait déjà quatre individus, soit un petit groupe, donc un groupuscule. Quand elles « fouillent dans les rayonnages » — parce qu’évidemment, c’est bien connu, dans une bibliothèque, personne ne fouille dans les rayonnages, on prend au hasard le premier bouquin venu —, le personnel commence vraiment à se sentir « sous pression ». Et si, en plus, elles se permettent de donner leur avis sur un livre, avec une « obsession particulière pour les sections jeunesse » – parce qu’il faut le savoir, ces femmes-là sont de vraies obsédées -, là, c’est la cata.
La cata, parce que les parents n’ont pas à avoir un avis sur les lectures de leurs enfants. Peuvent avoir un avis sur la cantine, lire les menus sur la porte de l’école, être informés de la présence de porc ou de gluten, mais pour la nourriture intellectuelle, pas question de lire la quatrième de couverture et d’émettre une objection. Interdit de chercher à savoir ce que l’on refilera à leur dernier la prochaine fois que la maîtresse emmènera les maternelles en rang d’oignon à la bibliothèque du quartier. Même si ces bouquins, ce sont eux qui les financent. Même si c’est avec leurs impôts que l’on achète de jolis albums illustrés comme Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ?, Mehdi met du rouge à lèvres, Papa porte une robe, ou encore Tango a deux papas et pourquoi pas ?
Mais Filippetti a dit. N’ont que le droit de signer le chèque, fermer leur gueule et en plus dire merci. Tout le reste serait assimilé à des « pressions croissantes de la part de groupuscules fédérés sur Internet par des mouvements extrémistes ».
La dame a cependant raison sur un point. Internet. Car quiconque fréquente un peu le coin jeunesse des bibliothèques municipales sait, depuis longtemps, ce qu’il en est. Comme l’écrivait, en 2011, le site LGBT Yagg : « Ces dernières années, les éditeurs jeunesse n’ont pas hésité à publier régulièrement des livres pour enfant abordant les thèmes de l’homosexualité, de l’homoparentalité ou de l’homophobie […]. Ainsi a-t-on vu s’installer dans les rayons des librairies, des bibliothèques municipales et des écoles, des ouvrages adaptés à toutes les catégories d’âge. »
Mais avant les réseaux mis en place à la faveur de la Manif pour tous, la protestation d’un parent isolé était la voix qui crie dans le désert, qui fait hausser les épaules de la bibliothécaire et sourire en coin les profs. Cause toujours. Cette époque-là est révolue. Des liens se sont tissés. Certains qui se croyaient seuls et qui baissaient les bras se sont raffermis. D’autres qui ne savaient pas ont découvert. Et si Aurélie Filippetti doit accuser un responsable, ce n’est pas Jean-François Copé mais François Hollande. Dont l’ubuesque gestion des opposants au mariage gay a tricoté un maillage de résistance sur la Toile devenue porte-voix, corne de brume. Ben trop tard, hein ? Fallait réfléchir avant.
Gabrielle Cluzel