Publié le : 12 mai 2014
Source : ndf.fr
Le maître du Kremlin agace. Il réussit avec insolence et brio alors que nos politiques échouent avec fracas et pathétisme. Autoritaire ? Oui. Dictateur ? Non. Plus complexe. Trop complexe pour des observateurs qui préfèrent éluder la question par l’application d’une grille de lecture parisiano-centrée. « La Russie ne va pas si bien. » peut-on lire. Certes, elle pourrait aller mieux. Mais ce n’est pas en quinze ans de présidence « impériale » qu’on réussit à combler l’héritage délabré et vétuste de soixante-quatorze années de communisme. Par ailleurs, le système vicieux mettant dos à dos l’ancienne nomenklatura communiste, les oligarques financiers et la pègre, demande la conjugaison entre souplesse et poigne de fer. Au regard de son action, Vladimir Poutine ne fait que répondre à la première vertu de l’adversité en politique : on ne contourne pas un obstacle, mais l’on s’appuie dessus. Posture cynique si l’en est, elle n’en demeure pas moins consubstantielle à toutes les formes de régime. Et cependant, son bilan se révèle jusqu’ici globalement positif. Le pouvoir d’achat des Russes a doublé. De 90% du PIB à son arrivée au pouvoir, la dette publique est aujourd’hui estimée à 10%. La balance commerciale affiche de forts excédents et la dépendance envers l’étranger s’avère bien inférieure à ce qu’elle fut par le passé. Quel désastre !
Mais pourquoi autant de fascination pour ce personnage ? Premièrement, il dégage une audace virile. Il est vu comme réel détenteur du pouvoir. En mesure de protéger le peuple russe, de préserver et de cultiver son originalité. Il représente tout ce dont les Français sont nostalgiques, l’inverse de ceux qui les gouvernent. Combattant le politiquement correct et les lobbys, respectueux de la consultation populaire, Vladimir Poutine raisonne d’abord et avant-tout à partir de la Russie. En d’autres termes, il est patriote ! Ça commence mal… À une époque où la pensée globalisée domine, le Président refuse d’être le porte-parole d’un quelconque universalisme kantien qui prétend forger un ordre international idéal, et faisant toujours violence à la Différence. Là où certains veulent forger l’empire du droit à partir d’un néant principiel, où le sentimentalisme démocratique procrée à souhait, celui-ci agit à partir des réalités ; dans le souci de maintenir l’unité. Le dirigeant et le sur-moi du peuple ne font qu’un. Le calcul de gloire rejoint l’« orgueil de la race ». Contrairement à d’autres dirigeants et nombre d’intellectuels occidentaux, il sait que la politique réelle n’obéit pas uniquement à un système de normes idéales. Nous ne nions pas le caractère autoritaire du pouvoir. Quoique, pour un pays ne s’étant jamais réellement acclimaté à la démocratie, la situation mérite une approche plus lucide. Pourtant, il a eu l’« indécence » de respecter le système institutionnel de son propre pays. Pas de coup d’État ? C’est tellement plus simple en Afrique…Et comme cela ne suffisait pas, le grand méchant loup a osé s’en remettre à une arme qu’aucun autre dictateur digne de ce nom ne saurait utiliser : le référendum ! On imagine le scandale suscité chez les caciques européens pour qui un tel recours est une absurdité, un obstacle au progrès. Consulter le peuple ? Quel drôle d’idée ! Qui plus est sur un territoire historiquement russe, composé à majorité de russes, et dont l’Assemblée a respecté scrupuleusement la démarche institutionnelle qui lui était conférée.
Les commentaires exaltés dont le président russe fait l’objet à l’étranger n’embrassent nullement les contours d’un quelconque « parti de l’étranger ». Les admirateurs de Poutine sont loin d’être des idolâtres post-staliniens. Le jugement à son endroit est à la fois historique et politique. Certes, le personnage ne suscite pas toujours la sympathie. En revanche, on sait reconnaître en lui un grand homme qui laissera durablement son empreinte dans l’histoire de la Russie. Un homme qui, quoi qu’on en dise, demeure un homme de paix. Eh oui ! Selon le degré zéro de la pensée lucide, le pacifiste se voudrait nécessairement le corollaire de l’homme de paix. Faux ! Si vis pacem para bellum. Si la paix est la première des fins, la guerre le premier des moyens. À cet égard, les professionnels du pacifisme lacrymal ont la fâcheuse habitude de confondre pacification et ingérence criminelle dès lors que leur diffusionnisme messianique s’en trouve conforté. Ceux-ci vous ressortiront à souhait la crise géorgienne pour montrer, à l’instar d’Hillary Clinton, que notre cher Vladimir marche avec détermination sur les traces d’Hitler.
Quand on observe les épisodes en Libye ou en Irak, nous n’avons aucune leçon à donner en la matière. Ces pays ont plongé dans une situation de semi-guerre civile, dû à l’inconséquence de leurs sauveurs autoproclamés. Durant la crise syrienne, on a reproché – les États-Unis notamment – le soutien inconditionnel du tsar au sanguinaire Bachar el-Assad, coupable (ou pas…) d’avoir eu recours au gaz toxique contre les rebelles. Plutôt culotté ! Surtout pour un État qui n’a pas hésité à vendre des armes chimiques dont l’ami Saddam s’est largement prévalu lors de sa guerre contre l’Iran. Et on ne s’attardera pas sur les multiples violations du droit international perpétrées par l’OTAN lors des bombardements en Serbie…
Exception faite de ces informations, est-il objectivement pensable de reprocher à notre ami russe d’avoir agi dans un sens plus conforme à la sauvegarde des intérêts de son pays et, au-delà, à la protection de son peuple ? Pourrait-on imaginer la Russie laisser émerger à plusieurs kilomètres de chez elle une potentielle République islamiste ? Un peu de sérieux. Dans cette affaire, il fut en plus le seul à faire prévaloir le dialogue quand les autres secouaient le spectre d’une intervention qui aurait pu, pour le coup, transformer le pays en Irak-bis. C’est à son initiative que l’on proposa le démantèlement de l’arsenal chimique du dictateur syrien. Irions-nous jusqu’à demander le Prix Nobel de la paix pour son action ? Le donner à Barack Obama, qui à l’époque se révélait être le grand va-t-en-guerre des chefs d’État, a su en tout cas conforter un sens inné du quiproquo. Rien de mieux pour peindre l’hypocrisie en costume cravate. Mais la paix est démocrate, n’est-ce pas ! Et aujourd’hui, à plusieurs semaines de la commémoration annuelle du débarquement, la venue de Vladimir Poutine en terre normande demeure incertaine. Une chose, en revanche, ne l’est pas. Éloigner la Russie de l’Europe à coups de bien-pensance pérennisera notre vassalisation aux États-Unis d’Amérique.
Quentin Jacquet