Publié le : 22 mai 2014
Source : comite-valmy.org
Ce n’est pas très drôle d’être à Kiev ces jours-ci. L’excitation révolutionnaire est retombée, et l’espoir de voir arriver de nouveaux visages, la fin de la corruption et une amélioration économique, tout cela s’est flétri. La révolte de la place Maidan et le coup d’État qui s’en est suivi n’ont fait que rebattre le même jeu de cartes biseautées de ceux qui reviennent sans cesse au pouvoir.
Le nouveau président en exercice a été premier ministre et un grand chef du KGB (appelé SBU en ukrainien). Le nouveau premier ministre en exercice a été ministre des Affaires étrangères. L’oligarque le plus susceptible d’être élu dans quelques jours a été ministre des Affaires étrangères, directeur de la banque d’État et trésorier personnel de deux coups d’état : en 2004 (pour installer Iouchtchenko) et en 2014 (pour s’installer lui-même). Sa concurrente principale, Mme Tymochenko, a été premier ministre pendant des années, jusqu’à sa défaite électorale de 2010.
Ce sont ces gens qui ont amené l’Ukraine à son état présent d’abjection. En 1991, l’Ukraine était plus riche que la Russie. Aujourd’hui, elle est trois fois plus pauvre, à cause des vols et de la mauvaise gestion de ces gens-là. Ils se préparent aujourd’hui à jouer un très vieux tour : emprunter au nom de l’Ukraine, empocher l’oseille et laisser le pays se débrouiller avec la dette. Ils vendent tous les actifs de l’État à des compagnies privées occidentales et font appel à l’OTAN pour qu’elle vienne protéger leurs investissements.
Ils jouent à un jeu très dur, avec coups de poings américains et tout. La Garde Noire, la nouvelle force armée de type SS du Secteur Droit, rôde dans tout le pays. Ils arrêtent ou tuent dissidents, militants et journalistes. Des centaines de soudards américains de la compagnie militaire « privée » Academi (précédemment Blackwater) sont déployés dans toute la Novorussie, c’est-à-dire les provinces de l’Est et du Sud-Est. Des réformes exigées par le FMI ont réduit les retraites de moitié et fait doubler le prix des loyers. Sur le marché, les rations de l’armée US ont remplacé les produits alimentaires locaux.
Le nouveau régime de Kiev ne peut plus prétendre à la démocratie après avoir expulsé les communistes du Parlement. Ceci devrait les rendre encore plus chers au cœur des États-Uniens. Expulsez des communistes, faites appel à l’OTAN, condamnez la Russie puis organisez une gay-pride et vous pourrez vous permettre n’importe quoi, même faire griller vifs des douzaines de citoyens. Ce qu’ils ont fait.
Les formes les plus brutales de répression se sont abattues sur la Novorussie industrielle, et sa classe laborieuse déteste la clique des oligarques et des ultra-nationalistes. Après le brasier infernal d’Odessa et les fusillades pour le plaisir dans les rues de Melitopol, les deux provinces de Donetsk et de Lugansk ont pris les armes et déclaré leur indépendance vis-à-vis du régime de Kiev. Elles ont été prises sous le feu mais ne se sont pas rendues. Les six autres provinces russophones de Novorossie ont été rapidement intimidées. Dniepropetrovsk et Odessa ont été plongées dans la terreur par l’armée personnelle de M. Kolomoïsky ; Kharkov a été roulée par son fourbe gouverneur. La Russie n’est pas intervenue et n’a pas soutenu la révolte, à la grande détresse des nationalistes russes d’Ukraine et de Russie, qui parlent de « trahison ». Autant pour la rhétorique va-t-en-guerre de McCain et de Brzezinski.
Le respect de Poutine pour la souveraineté des autres est exaspérant. Je sais que ceci a l’air d’une blague – on en entend tellement sur Poutine « nouvel Hitler »… En réalité, Poutine a eu une formation juridique avant d’entrer dans les Services secrets. C’est un adepte pointilleux de la loi internationale. Sa Russie s’est mêlée des autres États bien moins que la France ou l’Angleterre, ne parlons même pas des États-Unis. J’ai demandé à son conseiller principal, M. Alexei Pushkov, pourquoi la Russie n’a pas essayé d’influencer les esprits des Ukrainiens, pendant que Kiev bourdonnait d’Américains et d’Européens. « Nous pensons qu’on n’a pas le droit d’intervenir » m’a-t-il répondu comme un bon petit écolier. Il est plus probable que les conseillers de Poutine ont mal évalué le sentiment public. « La majorité de la population de Novorossie n’aime pas le nouveau régime de Kiev, mais elle est politiquement passive et conservatrice ; elle se soumlettra à son pouvoir » ont-ils estimé. « Les rebelles ne sont qu’un petit groupe d’exaltés, sans aucun soutien populaire, sur qui on ne peut pas compter » était leur façon de voir. En conséquence, Poutine a demandé aux rebelles de postposer indéfiniment leur réferendum, façon polie de leur dire » laissez tomber ».
Ils ont ignoré sa demande avec un sang-froid considérable et sont allés voter en masse pour la sécession d’avec l’Ukraine. Le taux de participation a été plus élevé qu’on ne s’y attendait. L’adhésion à la mutation a été pratiquement totale. Comme me l’a dit une personne bien informée du Kremlin, ce développement n’avait pas été prévu par les conseillers de Poutine.
Les conseillers ne s’étaient peut-être pas trompés, mais trois événements ont changé la mentalité des électeurs et envoyé ce peuple placide sur les barricades et aux urnes.
1. Le premier a été l’holocauste d’Odessa, où des ouvriers qui manifestaient paisiblement et sans armes ont été sauvagement attaqués par des tueurs du régime (l’équivalent des shabab de Moubarak), qui les ont rabattus sur le Quartier Général des Syndicats. Le bâtiment a été incendié et la Garde Noire a mis en place des snipers, chargés de ne pas rater quiconque aurait tenté de s’échapper de cet enfer. Une cinquantaine d’ouvriers russophones, généralement d’un certain âge, ont été brûlés vivants et abattus dès qu’ils tentaient d’atteindre une porte ou une fenêtre. Cet événement effrayant a été une occasion de joie et de rigolade pour les Ukrainiens « nationalistes » qui se sont moqués de leurs compatriotes suppliciés en les traitant de scarabées grillés ». (On dit que cet autodafé a été organisé par les troupes de choc de l’oligarque juif Kolomoïsky, qui convoitait le port d’Odessa. En dépit de son air de nounours en peluche, c’est quelqu’un de pugnace et de violent, qui a offert dix mille dollars par Russe capturé mort ou vif, et mis froidement un contrat d’un million de dollars sur la tête de M. Tsarev, membre du parlement du Donetsk.)
2. Le deuxième a été l’attaque de Mariupol, le 9 mai 2014. C’est le jour où les Russes commémorent la victoire sur l’Allemagne nazie. En Occident, c’est le 8. Le régime de Kiev a interdit toutes les commémorations de la Victoire. À Mariupol, la Garde Noire a attaqué la ville paisible et sans armes, a mis le feu au quartier général de la police et a assassiné les policiers qui avaient refusé d’interdire le cortège festif. Après quoi, ils ont lâché des chars dans les rues, tué des citoyens à l’aveuglette et détruit des immeubles.
L’Ouest n’a pas émis une seule protestation. Nuland et Merkel n’ont pas été horrifiées par ces meurtres en masse comme elles l’avaient été par les timides essais de maintien de l’ordre de Ianoukovitch. Les habitants de ces deux provinces se sont sentis abandonnés. Ils ont compris que personne n’allait venir les sauver ni même les protéger ; qu’ils ne pourraient compter que sur eux-mêmes, et ils sont allés voter.
3. Le troisième événement a été bizarrement l’Eurovision, c’est-à-dire le choix, par le jury, du travesti autrichien Conchita Wurst, comme gagnant de son concours de chant. Les Novorossiens, sains d’esprit, ont décidé qu’ils n’avaient pas envie de faire partie de cette Europe-là.
À vrai dire, les peuples d’Europe n’en ont pas envie non plus : il paraît que la majorité des téléspectateurs anglais préféraient le duo polonais, Donatan et Cleo, et leur chanson « Nous sommes slaves ». Donatan est à moitié russe et il a provoqué naguère quelque controverse en exaltant les vertus du pan-slavisme et les exploits de l’Armée Rouge, rapporte The Independent. Les membres politiquement corrects du jury ont préféré « célébrer la tolérance », le paradigme dominant imposé à l’Europe. C’est le deuxième travesti à remporter ce très politique concours de chant, le premier ayant été l’Israélien Dana International. Une telle obsession du « genre » a été jugée indigeste par les Russes et/ou les Ukrainiens.
Les Russes ont réajusté leur point de vue, mais ils n’ont pas l’intention de faire entrer leurs troupes dans les deux républiques insurgées, à moins que des événements très dramatiques ne les y obligent.
Plans russes
Imaginez que vous vous êtes mis sur votre trente-et-un pour une soirée à Broadway, mais que vos voisins se sont embarqués dans une violente dispute et que vous soyez obligé d’intervenir et de vous occuper de l’embrouille au lieu d’aller voir la pièce à laquelle vous vous réjouissiez d’assister, avant de dîner et peut-être de finir la nuit en galante compagnie. C’est la situation dans laquelle s’est trouvé Poutine par rapport aux bouleversements ukrainiens.
Il y a quelques mois d’ici, la Russie avait fait un énorme effort pour devenir – et pour être considérée comme – un état européen très civilisé d’amplitude majeure. C’est le message que devaient donner les Jeux Olympiques de Sotchi : corriger l’image de marque de la Russie et même la réinventer, comme Pierre le Grand l’avait fait en son temps pour lui donner sa place dans le monde d’alors ; un pays étonnant, de forte tradition européenne, celui de Léon Tolstoi, de Malevitch, de Tchaïkovski et de Diaghilev, un pays d’arts, d’audacieuses réformes sociales, de prouesses techniques, de modernité et même au-delà… la Russie de Natasha Rostova pilotant un hélicoptère Sikorski. Poutine a dépensé 60 milliards de dollars pour diffuser cette image.
Le vieux renard d’Henry Kissinger a dit très pertinemment :
« Poutine a dépensé 60 milliards de dollars pour les jeux de Sotchi. Ils se sont payé une grande cérémonie d’ouverture et une autre de clôture pour montrer la Russie comme un pays progressiste normal. Il n’est donc pas possible que, trois jours plus tard, il ait voulu lancer un assaut sur l’Ukraine. Il ne fait aucun doute qu’il a toujours souhaité l’Ukraine en position subordonnée. Il ne fait aucun doute non plus que tous les Russes de première importance que j’ai rencontrés, y compris les dissidents tels que Soljenitzine et Brodsky, ont toujours considéré l’Ukraine comme faisant partie de leur patrimoine. Mais je ne pense pas que Poutine ait jamais eu l’intention de se précipiter dans une crise en ce moment. »
Cependant, les faucons de Washington ont décidé de faire absolument n’importe quoi pour ostraciser la Russie. En fait, ils ont très peur de cette image d’un « état progressiste normal », parce qu’une telle Russie rendrait l’OTAN sans objet ni justification et aurait pour résultat de saper la dépendance de l’Europe vis-à-vis des États-Unis. Or, ils ont la volonté inflexible de conserver leur hégémonie, toute anéantie qu’elle soit par la confrontation syrienne. C’est pourquoi ils ont attaqué les positions russes en Ukraine, organisé un coup d’état violent et installé un régime férocement anti-russe en y employant des supporters de football et des milices neo-nazies financés par des oligarques juifs et les contribuables américains. Les vainqueurs ont déclaré hors-la-loi l’usage de la langue russe et se préparaient à rendre nuls les traités signés avec la Russie sur la base navale de Crimée, Sébastopol. Cette base serait devenue, grâce à eux, une nouvelle grande base de l’OTAN, qui aurait ainsi pu contrôler la Mer Noire et menacer la Russie.
Poutine a dû réagir vite, et c’est ce qu’il a fait en accédant à la demande du peuple de Crimée de faire partie de la Fédération de Russie. Cela a réglé le problème immédiat de la base, mais il restait le problème de l’Ukraine.
L’Ukraine n’est pas une entité étrangère pour les Russes, c’est la moitié occidentale de la Russie. Les populations des deux moitiés sont unies par des liens familiaux, de culture et de sang ; leurs économies sont étroitement liées. Un état ukrainien séparé est viable, c’est une possibilité, mais un État « indépendant » hostile à la Russie n’est pas viable et ne sera toléré par aucun chef d’état russe. Et cela, pour des raisons militaires aussi bien que culturelles : si Hitler avait commencé à envahir la Russie à partir de ses frontières actuelles, il aurait pris Stalingrad en deux jours et détruit la Russie en une semaine.
Un chef de l’État russe plus pro-actif que Poutine aurait envoyé des troupes à Kiev depuis longtemps. C’est ce qu’avait fait le tsar Alexis, quand les Polonais, les Cosaques et les Tatars la lui ont disputée. C’est aussi ce qu’avait fait Pierre le Grand, quand les Suédois l’ont occupée au XVIIIe siècle. Et c’est ce qu’a fait Lénine, quand les Allemands ont configuré leur Protectorat d’Ukraine : il l’appelait « la paix obscène » ; c’est enfin ce qu’a fait Staline, quand les Allemands ont réoccupé l’Ukraine en 1941.
Poutine espère toujours régler le problème par des moyens pacifiques. En fait, avant le rattachement de la Crimée, la majorité des Ukrainiens et pratiquement tous les Novorossiens préconisaient en masse une union de quelque espèce avec la Russie. Sans cela, le coup d’état de Kiev n’eût pas été nécessaire. Le rattachement de la Crimée a écorné l’attrait qu’exerçait jusque là la Russie. Les Ukrainiens n’ont pas apprécié l’amputation. Les responsables du Kremlin s’y attendaient, mais il leur a fallu accepter la Crimée pour plusieurs raisons. Premièrement, une perte de la base navale de Sébastopol au profit de l’OTAN était une alternative trop horrible à envisager. Deuxièmement, les Russes n’auraient pas compris que Poutine refuse la demande des Criméens.
Les faucons de Washington espèrent toujours contraindre Poutine à intervenir militairement, ce qui leur fournirait l’occasion d’isoler la Russie, d’en faire un « monstrueux » état-paria, de regonfler leurs budgets militaires et de dresser l’Europe et la Russie l’une contre l’autre. Ils se fichent éperdument de l’Ukraine et des Ukrainiens ; ils s’en servent pour atteindre leurs buts géopolitiques.
Les Européens aimeraient bien tondre l’Ukraine, importer ses hommes comme travailleurs illégaux pas chers et ses femmes comme prostituées, ils aimeraient la dépouiller de ses actifs et la coloniser. Ils l’ont fait avec la Moldavie, une petite sœur de l’Ukraine, la plus misérable des ex-républiques soviétiques. L’U.E. n’aurait rien contre une petite claque à la Russie, histoire de lui en faire un peu rabattre. Mais l’U.E. n’y met pas de ferveur particulière. D’où les différences d’attitude.
Poutine préférerait pouvoir continuer à moderniser la Russie. Le pays en a réellement besoin. Les infrastructures se traînent vingt ou trente ans derrière celles des pays occidentaux. Fatigués de cette arriération, des jeunes Russes préfèrent souvent émigrer à l’Ouest, et cette fuite des cerveaux cause beaucoup de dommages à la Russie, enrichissant l’Occident à ses dépens. Même Google est le résultat de ce pompage, puisque Sergei Brin est, lui aussi, un immigré russe. Comme le sont des centaines de milliers de scientifiques et d’artistes russes qu’on retrouve dans les laboratoires, les théâtres et les orchestres d’Occident. La libéralisation politique n’est pas suffisante. Les jeunes Russes veulent de bonnes routes, de bonnes écoles et une qualité de vie comparable à celle des pays occidentaux. C’est ce que Poutine est occupé à leur apporter.
Il y réussit plutôt bien. Moscou a maintenant des bicyclettes en libre-accès et la Wi-fi dans les parcs, comme n’importe quelle grande ville d’Europe. Les chemins de fer ont été améliorés. On est en train de construire des centaines de milliers d’appartements, davantage même que pendant l’ère soviétique. Les salaires et les retraites ont augmenté dans la proportion de 7 à 10 fois ce qu’ils étaient, au cours de la dernière décennie. La Russie est toujours un peu dépenaillée, mais elle est en bonne voie. Poutine veut poursuivre cette modernisation.
Pour ce qui est de l’Ukraine et des autres États ex-soviétiques, Poutine préférerait qu’ils gardent leur indépendance, qu’ils soient amicaux et qu’ils oeuvrent à leur aise vers une intégration à la manière de l’Union Européenne. Il ne rêve pas d’un nouvel empire. Il rejetterait même cette possibilité qui ne pourrait que retarder ses plans de modernisation.
Si les sinistres néo-cons ne lui avaient pas forcé la main en expulsant le président légitimement élu de l’Ukraine et en y installant leurs fantoches, le monde aurait pu jouir d’une longue période de paix. Mais dans ce cas, l’alliance militaire occidentale sous la houlette des États-Unis serait tombée en désuétude, l’industrie des armes US se serait mise à péricliter et l’hégémonie US à s’évaporer. La paix ne vaut rien pour le complexe militaro-industriel des États-Unis ni pour la machine médiatique à fabriquer de l’hégémonie. C’est pourquoi rêver à la paix de notre vivant a toutes les chances de rester un rêve.
Que va faire Poutine ?
Poutine va éviter aussi longtemps que possible d’envoyer des troupes en Ukraine. Il devra protéger les deux provinces éclatées, mais c’est une chose qui peut se faire à distance, à la manière dont les USA soutiennent les rebelles en Syrie par exemple. Sauf si un bain de sang à large échelle se produit, les troupes russes se contenteront de rester, vigilantes, aux frontières et d’y tenir en respect la Garde Noire et autres forces offensives du régime.
Poutine essayera d’arriver à un accord avec l’Ouest sur un partage d’autorité, d’influence et d’engagement économiques vis-à-vis de l’état failli. Cela peut se faire par la fédéralisation ou au moyen d’un gouvernement de coalition, voire même par la partition. Les provinces russophones de Novorossie sont celles de Kharkov (industrie), de Nikolaev (chantiers navals), d’Odessa (port), de Donetsk et de Lugansk (mines et industrie), de Dniepropetrovsk (missiles et haute technologie), de Zaporozhe (acier), de Kherson (eau pour la Crimée et chantiers navals) toutes établies, construites et peuplées par des Russes. Elles pourraient se détacher de l’Ukraine et former une Novorossie indépendante, un état de taille moyenne, mais quand même plus grand que certains États voisins. Cet État pourrait rejoindre l’union formée par la Russie et le Bélarus, et/ou s’associer à l’union douanière conduite par la Russie. Ce qui resterait de l’Ukraine – une sorte d’état croupion – pourrait se débrouiller comme bon lui semblerait, jusqu’à ce qu’elle décide de se joindre ou non à ses sœurs slaves de l’Est. Un tel arrangement pourrait produire deux États cohérents et homogènes.
Une autre possibilité (beaucoup moins susceptible de se concrétiser en ce moment) serait une division en trois parties de l’Ukraine en faillite : la Novorossie, l’Ukraine proprement dite et la Galicie-&-Volyn. Dans ce cas de figure, la Novorossie serait fortement pro-russe, l’Ukraine serait neutre et la Galicie fortement pro-occidentale.
L’Union Européenne pourrait accepter cette solution, mais les États-Unis ne seraient sûrement pas d’accord sur un partage des pouvoirs en Ukraine. Dans le bras-de-fer qui se profile, quelqu’un vaincra. Si l’U.E. et les USA tirent dans des directions différentes, ce sera la Russie. Si la Russie accepte un positionnement pro-occidental d’à peu près toute l’Ukraine, les USA gagneront. Le bras-de-fer pourrait aussi déraper et provoquer une guerre totale, avec beaucoup de participants et un usage probable d’armes nucléaires. C’est un « jeu de la poule mouillée » où celui qui a les nerfs les plus solides et le moins d’imagination restera sur ses positions jusqu’à l’ultime seconde.
Le pour et le contre
Il est trop tôt pour prédire qui gagnera dans la confrontation qui vient. Pour le président de Russie, il est extrêmement tentant de s’emparer de toute l’Ukraine ou au moins la Novorossie, mais ce n’est pas chose facile, et cela provoquerait beaucoup d’hostilité de la part des puissances occidentales.
Si elle récupérait l’Ukraine, la Russie serait enfin totalement remise de sa déchéance de 1991, sa force serait doublée, sa sécurité assurée et un grave danger serait écarté. La Russie redeviendrait grande. Les populations vénèreraient Poutine comme le restaurateur de la Patrie.
Toutefois, les efforts russes pour donner l’image d’un pays moderne, pacifique et progressiste seraient réduits à néant ; la Russie serait perçue comme un agresseur et mise au ban des organismes internationaux. Les sanctions vont mordre ; les importations de hautes technologies peuvent être mises sous embargo comme au temps de l’Union soviétique. Les élites russes répugnent à compromettre leur bonne vie. L’armée russe n’a commencé que tout récemment sa modernisation et n’est pas enthousiaste à l’idée de combattre pour l’instant – ne pourra pas l’être avant une bonne dizaine d’années sans doute – mais si elle se sent acculée, si l’OTAN pénètre en Ukraine de l’Est, elle se battra.
Certains politiciens russes et observateurs étrangers pensent que l’Ukraine est un cas désespéré. D’après eux, ses problèmes seraient trop importants pour pouvoir être résolus. Cette estimation a un arrière-goût de raisins trop verts, mais elle est très répandue. Une nouvelle voix intéressante sur le web, le Saker, est de cet avis. « Que l’Union Européenne et les USA s’y collent pour soutenir l’Ukraine, puisqu’ils la veulent. Les Ukrainiens reviendront vers Mère Russie quand ils auront assez faim » dit-il. Le problème, c’est qu’on ne leur permettra pas de changer d’avis. La junte ne s’est pas violemment emparée du pouvoir pour se le laisser reprendre par les urnes.
Par ailleurs, l’Ukraine n’est pas en aussi mauvais état que certains le disent. L’Ukraine peut atteindre le niveau de développement de la Russie très rapidement… en s’unissant à la Russie. Livrée au Conseil de l’Europe, au FMI et à l’OTAN, elle deviendra un cas désespéré, si elle ne l’est pas déjà. Il en va de même pour tous les États d’Europe de l’Est ex-soviétiques : ils peuvent prospérer modestement avec la Russie, comme le font le Belarus et la Finlande, ou se dépeupler et souffrir du chômage et de la pauvreté avec le reste de l’Europe et l’OTAN, contre la Russie, voir la Lettonie, la Hongrie, la Moldavie, la Géorgie. C’est de l’intérêt de l’Ukraine de rejoindre la Russie dans un cadre adéquat. Les Ukrainiens l’ont compris, c’est pourquoi on ne leur permettra pas d’avoir des élections démocratiques.
La Novorossie en ébullition a la possibilité de changer la donne. Si les troupes russes n’entrent pas dans le pays, les insurgés novorossiens peuvent repousser l’offensive de Kiev et entamer une contre-offensive pour reconquérir le reste du pays, en dépit des conseils de modération de Poutine. Alors, dans une guerre civile à part entière, l’Ukraine forgera son destin.
Sur un plan personnel, Poutine est confronté à un choix difficile. Les nationalistes russes ne le lui pardonneront jamais, s’il abandonne l’Ukraine sans combattre. Les États-Unis et l’Europe menacent la vie même du président russe : leurs sanctions, en frappant de plus en plus ses proches et ses associés, les encouragent à se débarrasser de lui ou même à l’assassiner, pour et améliorer ensuite leurs propres relations avec l’Occident. La guerre peut éclater à tout instant comme cela s’est produit par deux fois au cours du siècle passé, bien que la Russie ait tout fait pour l’éviter les deux fois. Poutine essaie d’au moins la différer le plus longtemps possible, mais pas à n’importe quel prix.
Le choix qu’il doit faire n’est pas facile. Tandis que la Russie se tâte et que les USA multiplient les risques, le monde se rapproche de l’abîme nucléaire. Qui se dégonflera ?
Israël Adam Shamir
Traduction : CL et MP pour Les Grosses Orchades http://www.plumenclume.net/articles.php ?pg=art1599
On peut joindre Israël Shamir à l’adresse adam@israelshamir.net