Publié le : 29 juillet 2014
Source : espritcorsaire.com
Adolescent, nous attendions chaque semaine la sortie de sa nouvelle édition comme une indispensable respiration. Notre professeur de Lettres utilisait des articles de Gilles Martinet, de Claude Bourdet ou d’Hector de Galard pour ouvrir nos consciences à la complexité du monde. Référent de la vie politique, intellectuelle et culturelle, Le Nouvel Observateur indiquait le cap de nos intelligences en gestation… Pas un événement d’importance n’échappait à cette tour de guet donnant sens à l’histoire immédiate. Maurice Clavel y inventait le journalisme transcendantal… Et lorsque des drames comparables aux dernières tueries de Gaza éclataient, les envoyés spéciaux et les éditorialistes du journal y proposaient les principaux éléments de compréhension pour « remonter aux causes » à la manière de Spinoza.
En date du 24 juillet dernier, l’éditorial du Nouvel Observateur ose renvoyer les protagonistes israéliens et palestiniens dos à dos : « si le droit de riposte se révèle trop supérieur aux provocations de l’agresseur, alors celui qui l’exerce et celui qui le subit ne valent pas mieux l’un que l’autre ». Outre le style clafouti aux cerises, cette métaphysique de pacotille défie non seulement les lois de la pesanteur mais surtout elle dénie au réel sa vraie configuration, celle d’une guerre asymétrique opposant l’une des armées les plus modernes du monde à un mouvement de guérilla immergé dans une population civile à très forte densité, l’une des plus importantes au monde… Inutile d’avoir lu Clausewitz pour, à minima, décrire l’évolution fatale de cette sale guerre : une majorité de victimes civiles dont de nombreux enfants, femmes et habitants des lieux. De l’embargo qui a transformé Gaza en prison à ciel ouvert, du captage israélien des nappes phréatiques qui a transformé Gaza en décharge publique, de la construction de nouvelles colonies qui se poursuit à un rythme effréné alors qu’on ne dénombre pas moins de 180 000 logements vides en Israël, des outrages quotidiens d’une occupation militaire qui a instauré dans cette région un véritable apartheid… pas un mot !
Jean Daniel préfère gloser sur la « riposte proportionnée », la « raison et le cœur » à destination des « juifs et musulmans de France ». Réductrice et inadaptée à cet Orient compliqué où vivent aussi des Arabes chrétiens, des Arméniens, des Druzes, des Kurdes et bien d’autres minorités, cette lecture confessionnelle ne rend pas service à la France et fait honte à ce que fût Le Nouvel Observateur. Il est vrai que, sur le sujet, Jean Daniel a toujours été plutôt gêné affectant un soutien sophistiqué, sinon « progressiste » à ses amis Israéliens, toujours partisan de la « Paix » mais sans jamais aborder les conditions réelles, historiques et politiques de son éventuelle mise en œuvre. A force de vouloir garder les mains blanches, Jean Daniel en perd la perception des doigts et on voit bien qu’avec ses beaux sentiments abstraits et sa belle morale – comme il conclut lui-même -, « il n’y a que la mort qui gagne… »
Dernièrement, sa propre fille Sara, « Grand Reporter » au journal, nous assénait un papier sur l’Irak du même tonneau : « L’homme qui fait trembler le monde » (1). Bigre ! Au fil de cinq pages, Tintinette au pays de l’or noir de nous raconter l’avènement du Califat en Irak par la seule volonté d’un grand méchant loup : Abou Bakr al-Baghdadi, « ce prophète sanguinaire qui a entrepris de redessiner la carte du Moyen-Orient ». Enfin, tout s’éclaire en coupant et recollant Wikipédia ainsi qu’à la vue de sa sale tronche : « cette allure de paysan irakien au visage bouffi et mat, sourcils épais et regard inexpressif… » On passe ici dans le registre « Bichon chez les Nègres » des Mythologies de Roland Barthes qui, dans les années 50 traquait les facéties de Paris Match… Là encore pas un mot de l’alliance des jihadistes de Da’ech avec les anciens baathistes d’Ezzat Ibrahim Al-Duri (l’ancien numéro deux de Saddam), avec les confréries soufies et la confédération des tribus sunnites ; pas un mot du rôle des services turcs, indéfectible soutien des rebellions sunnites de Syrie et d’Irak, pas un mot non plus des bailleurs de fonds saoudiens et qataris de « l’homme qui fait trembler le monde ». En creux, on nous ressert la vieille analyse des monarchies wahhabites : ce qui se passe en Syrie et en Irak aurait été délibérément fabriqué par un autre homme qui fait très peur : Bachar al-Assad. C’est presque aussi bien que du Harry Potter !
Terminons par la livraison du 24 juillet dont la couverture nous promet des « révélations » sur « Les espions de Poutine en France ». Dans les pages intérieures, le russian bashing habituel consistant à présenter Poutine comme un nouveau Brejnev et la Russie actuelle comme une nouvelle Union soviétique. Pour se dédouaner, un petit encadré sur quelques agents américains travaillant en France au moment même où les autorités allemandes expulsent une barbouze américaine et engagent une grande enquête sur l’espionnage américain en Europe. On lira sur ce sujet, qui visiblement n’inquiète guère Le Nouvel Observateur, notre ami Étienne Pellot (espritcors@ire du 28 juillet).
Étrange, vraiment étrange Nouvel Observateur mais pas très surprenant ! Il est vrai qu’on ne peut plus prendre ce journal seulement du bout des doigts depuis qu’il a fait d’autres couvertures fameuses avec les mémoires d’une courtisane improbable racontant par le menu ses galipettes avec l’inénarrable DSK. Quant à l’effort de compréhension concernant les tragédies de Gaza, de Syrie ou d’Irak, ce n’est, visiblement, plus la priorité de ce qui fut un très grand hebdomadaire…
Richard Labévière
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(1) Le Nouvel Observateur du 18 juin 2014.