Publié le : 28 janvier 2015
Source : bvoltaire.fr
C’était en 1994, à Pékin par un matin glacial de février. De passage dans la capitale chinoise pour des motifs professionnels, je tenais absolument à visiter la Cité interdite. Mon emploi du temps chargé ne me laissait pas le choix, je devais m’y rendre tôt, dès l’ouverture des portes. À cette époque, la Chine n’était pas comme aujourd’hui envahie par les touristes, encore moins en hiver. La plupart des salles du palais étaient désertes, je déambulais guide vert en main lorsque je vis un homme de type européen accompagné d’une jeune Chinoise marcher dans ma direction. Je le reconnus tout de suite, c’était Sir Leon Brittan, commissaire européen au Commerce, avec son interprète. Nous échangeâmes quelques mots convenus, et comme à l’époque j’étais dans la banque, nous en vînmes rapidement à parler du grand sujet du moment, l’avenir de Hong Kong. La conversation dura environ vingt minutes. Quelques années plus tard, Leon Brittan allait devenir commissaire européen aux Affaires étrangères, puis vice-président de la Commission. Fait baron par la reine Elizabeth, il finira sa carrière au conseil d’administration d’entreprises aussi prestigieuses que l’Union des banques suisses, Unilever ou Total.
Leon Brittan s’est éteint le 21 janvier dernier, mais si son nom fait la une de tous les quotidiens du Royaume-Uni, ce n’est pas du tout en mémoire de sa longue carrière de haut fonctionnaire européen, mais pour une tout autre raison. Cette personnalité cultivée et respectée avec qui j’avais visité le palais des empereurs de Chine était tout simplement un monstre.
Les témoins parlent, les langues se délient, et ça vient de partout au Royaume–Uni. Brittan aurait violé Nick, un Britannique aujourd’hui âgé d’une quarantaine d’années, une bonne douzaine de fois, ainsi que la plupart de ses copains, alors âgés de 10 à 14 ans. Une femme a expliqué que Brittan l’avait violée dans son appartement quand elle avait 19 ans (c’était encore en dessous de l’âge légal à l’époque). En 1986, il avait été photographié par des policiers en faction accompagné de Cyril Smith, l’ami du sinistre Jimmy Savile, à l’entrée d’un immeuble où des viols de mineurs prostitués de force avaient lieu régulièrement. Brittan figure aussi parmi la liste des visiteurs d’Elm Guest House, ce bordel pour pédophiles qui a été actif de 1978 à 1982. Les jeunes qui y étaient violés par une clique de politiciens et stars du show-biz venaient d’un orphelinat voisin, le Grafton Close Home. Mais l’affaire la plus sérieuse concerne un groupe de personnalités britanniques en vue – dont Leon Brittan – accusées par une des victimes [de viol] d’avoir assassiné trois enfants au cours d’une cérémonie rituelle, dans un appartement luxueux de Dolphin Square à deux pas de Westminster. Le superintendant adjoint Kenny McDonald en charge de l’enquête tient ces accusations pour crédibles et ce, d’autant plus que Leon Brittan a longtemps été soupçonné par Scotland Yard d’avoir enterré des dossiers impliquant des réseaux pédophiles du temps où celui-ci était au Home Office (ministère de l’Intérieur).
Cette terrifiante affaire intervient deux ans à peine après un autre énorme scandale de pédophilie, celui du présentateur vedette de la BBC Jimmy Savile, dont on estime aujourd’hui les victimes à plus de 300, sur une soixantaine d’années. Leon Brittan lui, aurait sévi pendant au moins vingt ans.
Sur Boulevard Voltaire a bien souvent été pointée du doigt la trahison des élites européennes. À la relecture de ce papier, il me vient une phrase de Montesquieu qui ne peut pas tomber plus à propos :
« Moins nous pouvons satisfaire nos passions particulières, plus nous nous livrons aux générales. L’amour de la patrie conduit à la bonté des mœurs et la bonté des mœurs mène à l’amour de la patrie ». (L’Esprit des lois, livre V, chapitre II)
Christophe Servan