Publié le : 29 janvier 2015
Source : comite-valmy.org
Le 20 janvier 2015, à Damas, le Président syrien Bachar al-Assad a accordé une entrevue à M. Jonathan Tepperman, Rédacteur en chef du Foreign Affairs Magazine. Voici le texte intégral publié simultanément le lundi 26 janvier 2015, en anglais et en arabe, par le magazine newyorkais, le site de la Présidence syrienne et l’Agence Arabe Syrienne d’Information SANA. Nous l’avons traduit à partir de la version anglaise. [NdT].
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J’aimerais commencer par vous interroger sur la guerre. Elle dure depuis près de quatre années et vous en connaissez les statistiques : selon l’ONU, plus de deux cent mille personnes tuées, un million de blessés et plus de trois millions de Syriens ayant fui le pays. Vos forces ont aussi subi de lourdes pertes. La guerre ne peut durer éternellement. Comment en voyez-vous la fin ?
Partout dans monde, toutes les guerres se sont toujours soldées par une solution politique parce que la guerre, en elle-même, n’est pas la solution. La guerre est l’un des instruments de la politique. Ainsi vous finissez par une solution politique. Globalement, c’est ainsi que nous la voyons.
Vous ne pensez pas que cette guerre se réglera militairement ?
Non. Toute guerre se termine par une solution politique.
Votre pays est de plus en plus divisé. On pourrait parler de trois mini-états : l’un contrôlé par le gouvernement, l’autre contrôlé par l’EIIL et Jabhat al-Nousra, puis un autre contrôlé par l’opposition sunnite et kurde plus laïque. Comment allez-vous faire pour rassembler et réunifier la Syrie ?
Tout d’abord, cette image n’est pas exacte, parce que vous ne pouvez parler de mini-états sans parler des gens qui y vivent. Le peuple syrien est toujours pour l’unité de la Syrie et soutient toujours son gouvernement. Les factions que vous avez citées contrôlent certaines régions, mais se déplacent d’une région à une autre. Elles sont instables, sans lignes de démarcation claires entre les différentes forces. Parfois, elles s’associent avant de se déplacer. La question principale concerne la population. Et la population soutient toujours l’État indépendamment de son soutien, ou non, à sa politique. Je veux dire que la population soutient l’État en tant que représentant de l’unité de la Syrie. Donc, tant que le peuple syrien croit en l’unité, tout gouvernement et tout représentant officiel peut unifier la Syrie. En revanche, si le peuple est divisé en deux, trois ou quatre groupes, nul ne peut unifier le pays. Voilà comment nous voyons les choses.
Vous pensez vraiment que les sunnites et les Kurdes croient encore en une Syrie unifiée ?
Si vous vous rendiez à Damas aujourd’hui, vous constateriez que les différentes couleurs de notre société -disons le-ainsi- vivent ensemble. En Syrie, les divisions ne se fondent pas sur des bases confessionnelles ou ethniques. Même dans la région kurde dont vous parlez, nous avons deux couleurs différentes : les Arabes étant plus nombreux que les Kurdes. Il ne s’agit donc pas d’une question d’ordre ethnique, mais de factions qui contrôlent, militairement, certaines zones du pays.
Il y a un an, l’opposition ainsi que les gouvernements étrangers soutenaient que votre destitution était la condition préalable aux négociations. Ce n’est plus le cas. Les diplomates sont maintenant à la recherche d’une solution intermédiaire qui vous permettrait de garder un rôle. Aujourd’hui même, le New York Times a publié un article concernant le soutien appuyé des États-Unis en faveur des initiatives de paix russe et onusienne. L‘article souligne que : « L’Occident n’exige pratiquement plus que le président de la Syrie quitte immédiatement le pouvoir ». Vu ce changement d’attitude de la part de l’Occident, êtes-vous désormais plus ouvert à une solution négociée du conflit menant à une transition politique ?
Dès le tout début nous étions ouverts. Nous nous sommes engagés dans un dialogue avec chaque partie en Syrie, qu’il s’agisse d’un parti, d’un courant, d’une personnalité et de n’importe quelle entité politiques. Nous avons modifié la Constitution et nous sommes ouverts à toutes les discussions. Mais quand vous voulez agir, vous ne le faites pas en fonction de l’opposition ou du gouvernement, mais en fonction des Syriens. Il se trouve parfois que vous ayez affaire à une majorité qui n’appartient à aucun courant. Donc, aussi longtemps que vous vous attaquez à un problème national et que vous voulez le changement, chaque Syrien a son mot à dire. Ainsi, le dialogue ne peut se résumer au gouvernement et à l’opposition, mais doit s’instaurer entre les différentes parties et entités syriennes. Voilà comment nous envisageons le dialogue. C’est là un premier point. Le deuxième est que, quelle que soit la solution que vous adoptiez, vous devrez finalement revenir vers le peuple par voie de référendum, parce que vous parlez de Constitution ou de modification d’un système politique. Vous devrez consulter le peuple syrien. Ce n’est pas la même chose que de s’engager dans un dialogue et de prendre des décisions. Le dialogue ne peut se faire uniquement entre le gouvernement et l’opposition.
Donc, vous êtes entrain de dire que vous n’accepterez aucune sorte de transition politique qui n’ait été soutenue par voie référendaire ?
Exactement. C’est au peuple de prendre la décision et à personne d’autre.
Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas place pour les négociations ?
Non, nous irons en Russie, nous nous rendrons à ces négociations, mais la question qui se pose est : avec qui négocierons-nous ? En tant que gouvernement, nous avons des institutions, nous avons une armée, et nous avons une influence, positive ou négative, dans n’importe quelle direction et à tout moment ; alors que les gens avec lesquels nous allons négocier : qui représentent-ils ? Là est la question. Parler d’opposition implique d’en préciser le sens. En général, l’opposition dispose de représentants dans l’administration locale, au parlement, dans les institutions, et ses représentants doivent s’appuyer sur des racines populaires qui les délèguent. Dans la crise actuelle, vous devez vous poser des questions quant à l’influence de l’opposition sur le terrain. Vous devez vous rappeler ce que les rebelles ont déclaré publiquement et à plusieurs reprises : « l’opposition ne nous représente pas ». Si donc, vous envisagez un dialogue fructueux, il devra être entre le gouvernement et les rebelles. Par ailleurs, l’opposition signifie qu’elle est nationale, c’est-à-dire de travailler dans l’intérêt du peuple syrien. Il ne peut s’agir de marionnettes du Qatar, de l’Arabie saoudite, ou de n’importe quel pays occidental dont les États-Unis, payées par l’étranger. Elle doit être syrienne. Nous avons une opposition nationale. Je ne l’exclue pas ; je ne dis pas que toute opposition est illégitime. Mais vous devez distinguer entre le national et les marionnettes. Tout dialogue n’est pas fructueux.
Est-ce que cela signifie que vous ne voulez pas rencontrer les forces de l’opposition soutenues par des pays étrangers ?
Nous allons rencontrer tout le monde. Nous n’avons pas posé de conditions.
Pas de conditions ?
Pas de conditions.
Vous rencontrerez tout le monde ?
Oui, nous allons rencontrer tout le monde. Mais il faudra demander à chacun : « Qui représentez-vous ? ». C’est ce que je veux dire.
Si je ne me trompe, l’adjoint de l’Émissaire spécial de l’ONU Staffan de Mistura est actuellement en Syrie. Comme mesure provisoire, ils proposent un cessez-le feu et un gel des combats à Alep. Accepteriez-vous cette proposition ?
Oui, bien sûr. Nous l’avons pratiquée bien avant que de Mistura n’ait pris ses fonctions. Nous l’avons mise en œuvre à Homs, une autre grande ville, et l’avons aussi expérimentée à plus petite échelle dans différentes banlieues, villages ou autres. Elle a réussi. L’idée est donc très bonne, mais dépend des détails. De Mistura est venu en Syrie avec de gros titres. Nous en avons accepté certains et attendons son calendrier ou son plan détaillé de A à Z. Nous en discutons avec son adjoint.
Dans le passé, vous avez exigé, comme condition préalable au cessez-le-feu, que les rebelles déposent leurs armes ; ce qui, de leur point de vue, est évidemment inacceptable. Est-ce toujours votre pré-condition ?
Nous choisissons différents scénarios ou différentes réconciliations. Dans certaines régions, nous leur avons permis de quitter les zones habitées afin d’éviter des victimes parmi les civils. Ils ont quitté en emportant leurs armements. Dans d’autres régions, ils ont déposé leurs armes avant de quitter. Cela dépend de ce qu’ils offrent et de ce que vous leur proposez.
Je ne suis pas sûr d’avoir compris votre réponse. Exigez-vous qu’ils déposent leurs armes ?
Non. Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que dans certaines régions, ils ont abandonné le terrain sans déposer leurs armes.
Êtes-vous optimiste sur les négociations de Moscou ?
Ce qui se passe à Moscou ne correspond pas à des négociations sur la solution ; ce ne sont que les préparatifs en vue de la conférence.
Donc, des négociations vers les négociations ?
Exactement, ou comment se préparer aux négociations. S’agissant d’une conférence, il s’agit d’en déterminer les principes. Je reviens vers le même point sur lequel vous me permettrez d’être franc : comme je l’ai déjà dit, certains groupes sont des marionnettes manipulées par d’autres pays et doivent mettre en œuvre leur agenda. Je sais que nombre de pays, telle la France par exemple, n’ont pas intérêt à ce que cette conférence réussisse. Ils donneront donc des ordres pour qu’elle échoue. Vous avez d’autres personnalités qui ne représentent qu’eux-mêmes. Ils ne représentent personne en Syrie, certains n’ayant jamais vécu au pays ne connaissent rien de la Syrie. Et, bien sûr, vous avez d’autres personnalités qui travaillent pour l’intérêt national. Donc, quand vous parlez de l’opposition comme d’une seule entité, il s’agit de savoir qui va influencer l’autre. Là est la question. Ce n’est pas clair pour le moment. Par conséquent, l’optimisme serait exagéré. Je ne dirais pas que je suis pessimiste. Je dirais que nous avons espoir dans chaque action.
Il semble que ces derniers temps les Américains soient devenus plus favorables aux pourparlers de Moscou. Au départ, ils ne l’étaient pas. Hier, le secrétaire d’État Kerry a laissé entendre que les États-Unis espéraient que les négociations avancent et qu’elles réussissent.
Ils disent toujours des choses, mais il s’agit de ce qu’ils vont faire. Et vous savez qu’il y a de la méfiance entre les Syriens et les États-Unis Il suffit donc d’attendre ce qui se passera lors de la conférence.
Selon vous, quel serait le meilleur moyen pour conclure un accord entre toutes les parties intervenant en Syrie ?
Ce serait de traiter directement avec les rebelles, en sachant que vous avez deux types de rebelles. La majorité est représentée par Al-Qaïda, c’est-à-dire l’EIIL, Jabhat al-Nousra et d’autres factions similaires, moins importantes, mais qui appartiennent aussi à Al-Qaïda. Le reste correspond à ce qu’Obama a désigné par « fantasy » et qu’il a qualifié d’opposition modérée. Ce n’est pas une opposition. Ce sont des rebelles. La plupart d’entre eux ont rejoint Al-Qaïda et, récemment, certains ont rejoint l’Armée. La semaine dernière, beaucoup ont quitté leurs groupes pour la rejoindre.
Ceux qui sont revenus étaient des déserteurs ?
Oui, ils sont revenus vers l’armée en disant : « Nous ne voulons plus nous battre ». Ainsi, ceux qui restent de ce groupe sont peu nombreux. Au bout de ce compte, pouvez-vous négocier avec Al-Qaïda et ceux-là ? Eux ne sont pas prêts à négocier. Ils ont leur propre plan. La réconciliation que nous avions initiée et que M. de Mistura va continuer est la solution pratique sur le terrain. Ceci est un premier point. Le deuxième est que vous devez appliquer la Résolution du Conseil de sécurité N° 2170, adoptée il y a quelques mois, et relative à Jabhat al-Nousra et à l’EIIL. Cette résolution est très claire et interdit à quiconque de soutenir ces factions militairement, financièrement ou logistiquement ; alors que la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar le font encore. Si elle n’est pas mise en œuvre, nous ne pourrons pas parler d’une véritable solution, car les obstacles persisteront tant qu’ils dépenseront leur argent. C’est d’ailleurs par là qu’il faudrait commencer. Le troisième point est que les pays occidentaux doivent ôter le parapluie couvrant ceux qu’ils présentent comme une opposition modérée. Ils savent que nous avons principalement affaire à Al-Qaïda, à l’EIIL et à Al- Nousra.
Seriez-vous prêt à prendre des mesures pouvant renforcer la confiance avant les pourparlers [de Moscou] ? Par exemple : échanges de prisonniers, arrêt de l’utilisation de bombes à canon, libération de prisonniers politiques, dans le but de prouver au camp adverse que vous êtes prêt à négocier de bonne foi ?
Il ne s’agit pas d’une relation personnelle, mais de mécanismes. En politique, on ne parle que des mécanismes. Il n’est pas nécessaire d’avoir confiance en quelqu’un pour agir. Si le mécanisme est clair, vous pouvez parvenir à un résultat. C’est ce que veut le peuple. La question est : quel mécanisme pouvons-nous mettre en place ? Ce qui nous ramène au même questionnement. Qui sont-ils ? Qui représentent-ils ? Quelle influence ont-ils ? Sur quel point construire la confiance avec des gens sans influence ?
Quand deux parties se rejoignent, il est souvent très utile que l’une des deux montre à l’autre partie qu’elle souhaite vraiment avancer, en prenant des mesures unilatérales pour tenter de réduire la fièvre. Les mesures que j’ai décrites auraient cet effet.
Vous disposez d’une chose concrète, et c’est la réconciliation. Ils ont abandonné leurs armes, nous leur avons donné l’amnistie, ils mènent une vie normale. C’est un exemple réel et c’est une mesure de confiance. D’autre part, quel rapport y’a-t-il entre cette opposition et les prisonniers ? Il n’en y a aucun. De toute façon, ces prisonniers ne sont pas des leurs et c’est donc une toute autre question.
Ainsi, vous avez offert l’amnistie aux combattants ?
Oui, bien sûr, et nous l’avons fait à plusieurs reprises.
Combien ? Avez-vous des chiffres ?
Je n’ai pas de chiffres précis, mais il s’agit de milliers de combattants et non de quelques centaines.
Êtes-vous prêt à dire à l’opposition, toute entière, que si elle déposait les armes, elle serait hors de danger ?
Oui. Je l’ai dit publiquement dans un de mes discours.
Comment pouvez-vous garantir qu’ils seront en sécurité ? Parce qu’ils ont des raisons de se méfier de votre gouvernement.
Vous ne pouvez pas. Mais, en fin de compte, nous avons ainsi obtenu plus de 50% de réussites, ce qui est un succès dans de telles circonstances. C’est ainsi. Rien n’est absolu. Vous devez vous attendre à certains aspects négatifs, mais ce n’est pas l’essentiel.
Permettez-moi de passer à un autre sujet. Le Hezbollah, la Force Al-Qods d’Iran et les milices chiites entraînées par les Iraniens jouent désormais un rôle important dans la lutte contre les rebelles ici, en Syrie. Compte tenu de ce fait, êtes-vous inquiet de l’influence de l’Iran sur le pays ? Après tout, l’Irak et même le Liban montrent qu’une fois une puissance militaire étrangère installée dans un pays, il peut être très difficile de lui demander de repartir.
L’Iran est un pays important dans cette région et il était influent avant la crise. Cette influence n’est donc pas liée à la crise. Elle est liée à son rôle et à son positionnement politique général. Différents facteurs font qu’un pays donné est influent. Au Moyen-Orient, notre région, vous avez une même société, les mêmes idées, beaucoup de choses qui se ressemblent, et les mêmes tribus qui vont et viennent à travers les frontières. Donc, si vous pouvez influer sur un facteur, votre influence franchira les frontières. Cela fait partie de notre nature et n’est pas source de discorde. Mais, il est évident qu’en cas de conflits et d’anarchie, un autre pays peut exercer un surcroit d’influence sur le vôtre. C’est ce qui arrive lorsque vous n’avez pas la volonté d’être un pays souverain. Ceci étant dit, la réponse à votre question est que l’Iran n’a aucune ambition en Syrie et nous, en tant que pays, nous ne permettrons jamais à n’importe quel autre pays d’influer sur notre souveraineté. Nous ne l’accepterions pas et les Iraniens ne le souhaitent pas non plus. Nous acceptons la coopération. Si nous acceptions de subir l’influence de n’importe quel pays, pourquoi refuserions-nous celle des États-Unis ? Là est le problème avec les Américains et avec l’Occident : ils veulent l’influence, non la coopération.
Permettez-moi de vous pousser un peu plus loin. La semaine dernière, un commandant des forces aérospatiales des Gardiens de la Révolution islamique, le général Hajizadeh, a déclaré que le Guide suprême de l’Iran a ordonné à ses forces de construire et d’exploiter des usines de missiles en Syrie. Ceci suggère que l’Iran est en train de jouer un rôle plus important et le fait de son propre chef.
Non, non. Jouer un rôle par coopération est différent de jouer un rôle par hégémonie.
Donc, tout ce que l’Iran est en train de faire … ?
Bien sûr… c’est en pleine coopération avec le gouvernement syrien, comme toujours.
L’Iran est un pays, mais vous avez des milices qui sont des acteurs sub-étatiques plus compliqués à gérer. Le problème lorsqu’on travaille avec ces groupes est que, contrairement à un gouvernement, ils peuvent ne pas être disposés à coopérer et il n’est pas toujours clair à qui s’adresser. N’êtes-vous pas inquiet de ne pouvoir les contrôler et les freiner s’il le fallait ? Une deuxième question étroitement liée : cette semaine, Israël a attaqué les forces du Hezbollah dans le Golan, les Israéliens suggérant qu’ils l’ont fait parce que le Hezbollah préparait une attaque contre Israël à partir du territoire syrien. Est-ce que cela ne met pas aussi en évidence le danger de laisser des milices ayant leurs propres agendas, pas nécessairement les vôtres, intervenir dans la guerre ?
Vous parlez de milices syriennes ou, plus généralement, de toutes les autres ?
Je parle, plus particulièrement, du Hezbollah et des milices chiites irakiennes
Disons que, normalement, seules les institutions gouvernementales et étatiques sont la garantie de la stabilité et de l’ordre. Mais, dans certaines circonstances, tout autre facteur qui jouerait un rôle parallèle pourrait se révéler positif et bénéfique, en sachant qu’il y’aura toujours des effets secondaires négatifs. Les milices qui soutiennent le gouvernement sont un effet secondaire de la guerre. C’est dans la nature des choses. Elles sont là et vous tentez de contrôler leurs effets, parce que tout le monde sera plus tranquille si elles coopèrent avec les institutions gouvernementales, l’Armée, la police… Ce qui s’est passé à Quneitra est complètement différent. Depuis le cessez-le feu de 1974, il n’y a jamais eu d’opération contre Israël à partir du Golan. Ce n’est jamais arrivé. Donc, qu’Israël prétende avoir agi contre une opération planifiée est fort loin de la vérité, juste une excuse parce que les israéliens ont voulu assassiner quelqu’un du Hezbollah.
Pourtant, depuis le début de la guerre, les Israéliens ont été très attentifs à ne s’impliquer que s’ils considéraient que leurs intérêts étaient directement menacés.
Ce n’est pas vrai, car ils lancent des attaques contre la Syrie depuis près de deux années, sans aucune raison.
Dans chaque cas, ils ont déclaré que c’était à cause des armes offertes au Hezbollah par l’Iran et acheminées à travers la Syrie.
Ils ont attaqué les positions de l’Armée [syrienne]. Quel rapport entre le Hezbollah et l’Armée ?
Dans ces cas, l’armée aurait été accidentellement bombardée…
Ce sont de fausses allégations.
Selon vous, quel serait l’agenda d’Israël ?
Ils soutiennent les rebelles en Syrie. C’est très clair. À chaque fois que nous progressons quelque part, ils lancent une attaque dans le but de saper l’armée. D’où la blague de certains Syriens : « Comment pouvez-vous dire qu’Al-Qaïda ne dispose pas d’une armée de l’air ? Elle dispose de la force aérienne israélienne ».
Pour revenir à ma question sur les milices, êtes-vous sûr que vous serez capable de les contrôler quand cette guerre prendra fin. Après tout, la souveraineté effective de n’importe quel gouvernement exige qu’il ait ce que l’on appelle le monopole de la force ; ce qui est très difficile quand vous avez ces groupes armés indépendants dans les parages ?
C’est évident : l’État ne peut s’acquitter de ses obligations envers la société s’il n’est pas le seul maître de l’ordre.
Pourtant, vous avez constaté combien c’est devenu difficile, pour le gouvernement irakien, de contrôler toutes les milices chiites qui se sont renforcées pendant la guerre.
En Irak, il y a une raison très importante à cela : Paul Bremer n’a pas créé une Constitution pour l’État ; il l’a créée pour les factions. Alors qu’en Syrie, si l’armée a tenu bon pendant quatre années en dépit de l’embargo et de la guerre menée par des dizaines de pays à travers le monde, lesquels l’ont attaquée et ont soutenu les rebelles, c’est parce qu’elle dispose d’une réelle et véritable Constitution laïque. En Irak, la Constitution est sectaire. C’est dire que ce n’est pas une Constitution.
Mais que ferez-vous face à ces milices, une fois la guerre terminée ?
Les choses devraient revenir à la normale, comme avant la guerre.
Et vous êtes confiant… ?
Oui. Nous n’avons pas d’autre choix. C’est le rôle du gouvernement. Cela va de soi.
Quel est l’impact de la baisse des prix du pétrole sur la guerre en Syrie ? Après tout, vos deux plus proches alliés et soutiens, l’Iran et la Russie, sont très dépendants des prix du pétrole et ont subi de considérables dégâts budgétaires ces derniers mois, à cause de cette baisse. N’êtes-vous pas inquiet qu’ils ne soient plus en mesure de continuer à vous aider ?
Non, cela n’a pas d’effets sur la Syrie parce qu’ils ne nous donnent pas d’argent. Et quand ils nous aident, c’est sous forme de prêts. Nous sommes comme tout autre pays. Parfois nous payons, parfois nous avons recours à des prêts.
Mais leur soutien militaire leur coûte de l’argent, et ils disposent de moins d’argent pour payer leurs propres forces armées, ceci ne risque t-il pas de devenir un problème ?
Non, parce que quand vous payez les armes ou toute autre marchandise, vous n’avez pas de problème.
Vous dites que tout ce que vous obtenez des Russes et Iraniens… ?
Jusqu’à présent, nous n’avons pas constaté de changements. Je ne peux donc pas répondre à votre question concernant l’impact [de la baisse des prix du pétrole] qu’ils subissent.
Lors de précédentes entrevues, vous avez dit que vous, et votre gouvernement, aviez commis des erreurs au cours de cette guerre. Quelles sont ces erreurs ? Y’a-t-il des choses que vous regretteriez ?
Tout gouvernement et toute personne commettent des erreurs. Une fois de plus, c’est une donnée évidente. Mais lorsqu’il s’agit d’erreurs politiques, il faudrait que vous reveniez sur les principales décisions prises depuis le début de la crise. Nous en avons pris trois principales : premièrement, rester ouverts à tout dialogue ; deuxièmement, modifier la Constitution et la Loi dans le sens souhaité par beaucoup d’opposants qui prétendaient qu’elles étaient autant de raisons de la crise ; troisièmement, défendre notre pays pour nous défendre nous-mêmes et combattre les terroristes. Je ne pense pas que ces trois décisions aient été mauvaises et puissent être présentées comme des erreurs. En revanche, si vous parler de pratiques, n’importe quel fonctionnaire, n’importe où, est susceptible de commettre des erreurs. Il y a donc une différence entre les erreurs de pratique et les erreurs de politique.
Pouvez-vous décrire certaines erreurs de pratique ?
Pour cela, je devrais revenir vers les fonctionnaires sur le terrain. En cet instant, rien de précis ne me vient à l’esprit. Je préfère parler des politiques.
Pensez-vous qu’il y a eu des erreurs de politique dont vous seriez responsable ?
J’ai déjà mentionné les principales décisions.
Mais vous avez dit que ce n’étaient pas des erreurs.
Défendre le pays contre le terrorisme ? Si j’avais voulu vous dire que c’étaient des erreurs, j’aurais dit qu’il serait préférable de soutenir les terroristes.
Je demande juste s’il y a quelque chose que vous avez fait et que, rétrospectivement, vous feriez autrement.
Concernant ces trois principales décisions, elles étaient bonnes, j’en suis sûr.
Concernant les erreurs de pratiques commises à un niveau inférieur, est-ce que les responsables ont rendu des comptes pour, par exemple, les violations des droits de l’homme, l’usage excessif de la force, le ciblage au hasard des civils, et ce genre de choses ?
Oui. Certaines personnes ont été arrêtées parce qu’elles avaient violé la loi dans ces domaines ; ce qui, évidemment, arrive dans de telles circonstances.
En rapport avec les civils et les manifestants. Est-ce à cela que vous faites allusion ?
Oui, tout au début des manifestations. Oui.
Depuis que les États-Unis ont lancé leur campagne aérienne contre l’État islamique, eux et la Syrie sont devenus d’étranges partenaires coopérant effectivement dans ce combat. Voyez-vous la possibilité d’une coopération accrue avec les États-Unis ?
La possibilité est certainement toujours là, parce nous en parlons et que nous sollicitons une coopération internationale contre le terrorisme depuis trente ans. Mais cette possibilité nécessite de la volonté. La question que nous posons est : est-ce que les États-Unis ont vraiment la volonté de combattre le terrorisme sur le terrain ? Jusqu’à présent, nous n’avons pas constaté quelque chose de concret malgré leurs attaques contre l’EIIL dans le nord de la Syrie. Rien de concret. Ce que nous avons vu est, disons, juste une vitrine. Rien de réel. Depuis le début de ces attaques, l’EIIL a gagné plus de terrain en Syrie et en Irak.
Qu’en est-il des frappes aériennes sur Kobané ? Elles ont été efficaces pour ralentir l’EIIL.
Kobané est une petite ville d’environ 50 000 habitants. Cela fait plus de trois mois que les frappes ont commencé, et ils n’en ont pas terminé. Des surfaces identiques occupées par les mêmes factions d’Al-Qaïda ont été libérées par l’Armée syrienne en moins de trois semaines. Cela signifie qu’ils ne sont pas sérieux dans leur lutte contre le terrorisme.
Donc, vous êtes entrain de dire que vous voudriez que les États-Unis s’impliquent plus dans la guerre contre l’EIIL ?
Il ne s’agit pas de plus d’implication militaire, parce que le problème n’est pas seulement militaire, mais politique. Jusqu’à quel point les États-Unis veulent-ils agir sur les Turcs ? Car si les terroristes ont pu résister aux frappes aériennes pendant toute cette période, c’est bien parce que la Turquie continue à leur envoyer des armes et de l’argent. Est-ce que les États-Unis ont mis la pression sur la Turquie pour qu’elle cesse de soutenir Al-Qaïda ? Ils ne l’ont pas fait. Il ne s’agit donc pas d’implication militaire US uniquement. Ensuite, concernant l’engagement militaire, les responsables américains admettent publiquement que sans troupes au sol, ils ne pourront aboutir à rien de concret. De quelles troupes au sol disposent-ils ?
Vous suggérez qu’il devrait y avoir des troupes US sur le terrain ?
Pas des troupes US. Je parle d’un principe, le principe militaire. Je ne parle pas de troupes US. Si vous dites que vous voulez faire la guerre contre le terrorisme, il vous faudra des troupes sur le terrain. Alors, la question que vous devez poser aux Américains est : sur quelles troupes allez-vous compter ? Ce sera, sans aucun doute, sur les troupes syriennes. C’est notre terre, c’est notre pays. Nous en sommes responsables. Nous ne sollicitons aucunement des troupes US.
Alors, qu’attendez-vous des États-Unis ? Vous avez mentionné plus de pression sur la Turquie…
Pression sur la Turquie, pression sur l’Arabie saoudite, pression sur le Qatar, pour qu’ils arrêtent de soutenir les rebelles. Deuxièmement, coopération légale avec la Syrie en commençant par demander l’autorisation de notre gouvernement avant de mener ces attaques. Ils ne l’ont pas fait. C’est donc illégal.
Je suis désolé, je n’ai pas bien saisi. Vous voulez qu’ils rendent légal… ?
Bien sûr, si vous envisagez n’importe quel type d’action dans un autre pays, vous lui demandez une autorisation.
Je vois. Un accord formel entre Washington et Damas autorisant les frappes aériennes ?
La forme, nous pouvons en discuter plus tard, mais vous commencez par l’autorisation. Sous forme d’accord ? Sous forme de traité ? C’est une autre question.
Et vous seriez prêts à franchir le pas pour faciliter la coopération avec Washington ?
Avec tout pays qui serait sérieux en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Nous sommes prêts à coopérer, s’ils sont sérieux.
Quelles mesures seriez-vous prêts à prendre pour prouver à Washington que vous voulez coopérer ?
Je pense que c’est à eux de prouver cette volonté. Nous nous battons déjà sur le terrain. Nous n’avons pas à le démontrer.
Les États-Unis sont actuellement entrain de former 5000 combattants syriens et ont programmé leur entrée sur le territoire syrien en mai. Maintenant, le général américain John Allen a été très prudent en déclarant que ces troupes ne seront pas dirigées contre le gouvernement syrien, mais se focaliseront sur l’EIIL uniquement. Que ferez-vous quand ces troupes entreront dans le pays ? Allez-vous leur permettre d’entrer ? Allez-vous les attaquer ?
Les troupes qui ne travaillent pas en collaboration avec l’Armée syrienne sont illégales et devraient être combattues. C’est très clair.
Même si cela vous amène à entrer en conflit avec les États-Unis ?
Sans coopération avec les troupes syriennes, elles sont illégales et sont les pantins d’un autre pays. Elles seront donc combattues comme toute autre milice illégale se battant contre l’Armée syrienne. Mais cela amène une autre question à propos de ces troupes. Obama les a qualifiées de « fantasy ». Comment un fantasme devient-il réalité ?
Je pense que c’est avec cette sorte de programme de formation.
Mais vous ne pouvez pas former un extrémisme modéré.
Il y a encore quelques éléments modérés dans l’opposition. Ils sont de plus en plus faibles, mais je pense que le gouvernement US tente, très soigneusement, de s’assurer que les combattants qu’il forme ne sont pas radicaux.
Reste à savoir pourquoi l’opposition modérée -vous les appelez opposition, nous les appelons rebelles- est de plus en plus faible ? C’est bien en raison de l’évolution de la crise syrienne. En ramener 5000 de l’extérieur conduira à ce que la plupart d’entre eux fassent défection et rejoignent l’EIIL ou d’autres groupes, comme cela s’est produit au cours de l’année dernière. C’est pourquoi j’ai dit que c’était encore une illusion. Ce ne sont pas les 5000, mais l’idée elle-même qui est illusoire.
Ce qui rend Washington si réticent à coopérer officiellement avec vous, ce sont des accusations de graves violations des droits humains par votre gouvernement. Ces accusations ne proviennent pas uniquement du gouvernement US, mais aussi de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, et de la Commission spéciale d’enquête indépendante de l’ONU. Je suis sûr que ces accusations vous sont familières. Elles comprennent les refus d’accès aux camps de réfugiés pour les groupes de secours, les bombardements de cibles civiles, les preuves photos d’un transfuge syrien -ayant pour nom de code César- présentées devant le Congrès américain et montrant de terribles tortures et abus dans les prisons syriennes. Êtes-vous disposé à prendre des mesures sur ces questions afin de faciliter la coopération avec les États-Unis ?
Le plus drôle chez cette administration est que c’est la première de l’Histoire à construire ses évaluations, puis ses décisions, à partir des médias sociaux. Nous l’appelons la « social media administration », ce qui n’est pas le cas de la gestion des politiques. Aucune des accusations que vous avez mentionnées n’est concrète. Ce sont des allégations. Vous pouvez présenter des photos de n’importe qui et accuser de torture. Qui a pris ces photos ? Qui est-il ? Personne ne le sait. Il n’y a aucune vérification. Ce sont des allégations sans preuves.
Mais les photos de César ont été examinées par des enquêteurs européens indépendants.
Non, non. Il est financé par le Qatar, et ils disent que c’est de source anonyme. Donc rien n’est clair ou avéré. Les photos ne montrent pas clairement de qui il s’agit. Juste des clichés montrant, par exemple, une tête avec quelques crânes. Qui a dit que c’est le fait du gouvernement et non des rebelles ? Qui a dit que la victime est syrienne et non quelqu’un d’ailleurs ? Ainsi, des photos, publiées au début de la crise, venaient d’Irak et du Yémen. Ensuite, les États-Unis en particulier, et l’Occident en général, ne sont pas en position de parler des droits humains. Ils sont responsables de la plupart des tueries dans la région et spécialement les États-Unis depuis leur invasion de l’Irak, ainsi que le Royaume-Uni depuis son invasion de la Libye ; de la situation au Yémen ; de ce qui est arrivé en Égypte en soutenant les Frères Musulmans ; de ce qui est arrivé en Tunisie en soutenant le terrorisme. Tous ces problèmes ont eu lieu à cause des États-Unis. Ils ont été les premiers à fouler aux pieds le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité, pas nous.
C’est peut-être vrai ou pas, mais ce sont là des questions distinctes, et cela n’exonère pas votre gouvernement de sa responsabilité.
Non, non. Les États-Unis nous ont accusés, nous devions donc répondre à cette partie de la question. Je ne dis pas qu’en cas d’atteinte et d’infraction violente aux droits de l’homme, le gouvernement [syrien] n’a aucune responsabilité. C’est un autre sujet. La deuxième partie de votre question porte sur des accusations qui demeurent des allégations. Si vous voulez une réponse, je dois répondre à quelque chose de concret, de prouvé et de vérifié.
Êtes-vous prêts à nier catégoriquement qu’il y a torture et mauvais traitements des prisonniers, en Syrie ?
Si la vérification de ces allégations pouvait se faire de façon impartiale et équitable, bien sûr que nous sommes prêts. Ce serait dans notre intérêt.
Quel serait l’impact d’un accord nucléaire américano-iranien sur la Syrie ?
Nul. Parce que la crise [syrienne] n’a jamais fait partie des négociations, l’Iran a refusé qu’il en soit ainsi. Et c’est une bonne chose, car il n’y a pas de lien entre les deux.
Mais beaucoup aux États-Unis prévoient que si l’Iran et les États-Unis concluent un accord, il facilitera la coopération entre les deux pays. Dès lors, certains se demandent si l’Iran ne réduirait pas son soutien à la Syrie en tant que faveur accordée au gouvernement US.
Nous n’avons jamais eu d’information à ce sujet, jamais. Je ne peux pas parler d’un sujet sur lequel je n’ai aucune information.
Décrivez [la guerre en Syrie], au cas où vous penseriez qu’elle va dans le bon sens du point de vue de votre gouvernement. Des analystes indépendants ont suggéré que votre gouvernement contrôle actuellement 45% à 50% du territoire syrien.
Tout d’abord, si vous voulez une description de l’arène, ce n’est pas une guerre entre deux pays, entre deux armées, avec incursion et perte d’une partie du territoire qu’il vous faut reprendre. Ce n’est pas cela. Nous parlons de rebelles qui s’infiltrent dans les zones habitées par des civils. Vous avez des terroristes syriens qui soutiennent des terroristes étrangers et les aident à se cacher parmi ces civils. Ils lancent ce que vous appelez des attaques de guérilla. C’est la forme de cette guerre, de sorte que vous ne pouvez pas la regarder comme étant une question de territoire. Ensuite, là où l’armée syrienne a voulu pénétrer, elle a réussi, mais elle ne peut être présente sur chaque kilomètre du territoire syrien. C’est impossible. Nous avons opéré quelques avancées ces deux dernières années. Mais si vous me demandez « Est-ce qu’elle va bien ? », je réponds que toute guerre est mauvaise, car vous perdez toujours et qu’il y a toujours de la destruction. La principale question est : qu’avons-nous gagné dans cette guerre ? Ce que nous avons gagné est que le peuple syrien a rejeté les terroristes ; qu’il a encore plus soutenu son gouvernement et son Armée. Avant de parler de gagner des territoires, parlons de gagner les cœurs, les esprits et le soutien du peuple syrien. C’est ce que nous avons gagné. Le reste est d’ordre logistique et technique. C’est une question de temps. La guerre va dans le bon sens, mais n’empêche pas les pertes au niveau national. Vous perdez des vies, vous perdez votre infrastructure, et la guerre elle-même a de très mauvais effets sur la société.
Pensez-vous que vous finirez par vaincre les rebelles militairement ?
S’ils n’ont pas d’appui extérieur et, disons-le, s’ils ne sont pas alimentés par le recrutement de nouveaux terroristes, il n’y aurait aucun problème pour les vaincre. Même aujourd’hui, nous n’avons pas de problème militaire. Le problème réside dans cette alimentation continue et, principalement, en provenance de Turquie.
Donc, la Turquie semble être le voisin qui vous préoccupe le plus ?
Exactement. Aussi bien du point de vue logistique que du point de vu du financement du terrorisme par l’Arabie saoudite et le Qatar, à travers la Turquie.
Blâmez-vous Erdogan en personne ? Vous aviez autrefois de bonnes relations avec lui.
Oui. Parce qu’il appartient à l’idéologie des Frères Musulmans qui est la base d’Al-Qaïda et qui fut la première organisation politique islamique à favoriser un Islam politique violent au début du XXème siècle. Il y est fortement ancré et est un farouche partisan de ses valeurs. Il est très fanatique, et c’est pourquoi il soutient toujours l’EIIL. Il est personnellement responsable de ce qui est arrivé.
Voyez-vous d’autres partenaires potentiels dans la région ? Par exemple, le général Al-Sissi en Égypte ?
Je ne voudrais pas parler de lui personnellement, mais aussi longtemps que l’Égypte, son armée et son gouvernement, combattront le même genre de terroristes -comme en Irak- nous pouvons certainement considérer ces pays comme susceptibles de coopérer à notre combat contre un même ennemi.
Deux questions finales, si vous le permettez. Pouvez-vous imaginer un scénario où la Syrie reviendrait au statu quo d’avant les combats, il y a près de quatre ans ?
Dans quel sens ?
Dans le sens où la Syrie est à nouveau unie, non divisée, contrôle ses frontières, commence sa reconstruction dans un pays en paix où prédomine la laïcité.
Si vous regardiez la carte militaire actuelle, vous verriez que l’Armée syrienne est présente partout. Pas en tout lieu, ni en tout coin, mais au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, et au centre. Si le gouvernement n’avait cru en une Syrie unifiée qui retrouverait sa position, il n’aurait pas déployé l’Armée. Si le peuple n’y avait cru, vous auriez vu les gens isolés dans des ghettos, en fonction de leur ethnie, de leur confession ou religion. Tant qu’il en est ainsi, que les gens continuent à vivre ensemble, que l’Armée est partout en sachant qu’elle est composée de toutes les couleurs du tissu social syrien, cela signifiera que nous croyons, tous, que la Syrie redeviendra ce qu’elle était. Nous n’avons pas d’autre choix. Dans le cas contraire, tous les pays voisins seront affectés. S’agissant d’un même tissu, l’effet domino s’étendra de l’Atlantique au Pacifique.
Aujourd’hui, si vous deviez adresser un message au Président Obama, quel serait-il ?
Je pense que, normalement et partout dans le monde, l’on s’attend à ce qu’un fonctionnaire travaille dans l’intérêt de son peuple. Alors, les questions que j’aimerais poser à tout Américain sont : Que gagnez-vous à soutenir les terroristes dans notre pays, dans notre région ? Qu’avez-vous obtenu en soutenant les Frères Musulmans, il y a quelques années, en Égypte et dans d’autres pays ? Qu’avez-vous obtenu en soutenant quelqu’un comme Erdogan ? Il y a sept ans, l’un des représentants de votre pays m’a demandé à la fin d’une réunion, en Syrie : « Comment pensez-vous que nous pourrions résoudre le problème en Afghanistan ? ». Je lui avais répondu : « Vous devriez être capables de traiter avec des fonctionnaires qui ne sont pas des marionnettes et qui peuvent dire non ». Donc, que les États-Unis cherchent uniquement des responsables marionnettes et des états clients, n’est pas le moyen de servir les intérêts de votre pays. Vous êtes la plus grande puissance dans le monde d’aujourd’hui, vous avez beaucoup de choses à propager dans le monde entier : la connaissance, l’innovation, l’intelligence artificielle avec ses effets positifs. Comment pouvez-vous être les meilleurs dans ces domaines et les pires en matière de politique ? C’est contradictoire. Je pense que le peuple américain devrait analyser et se poser ces questions. Pourquoi avez-vous échoué dans toutes les guerres ? Vous pouvez créer la guerre, vous pouvez créer des problèmes, mais vous ne pouvez en résoudre aucun. Vingt ans que dure le processus de paix en Palestine et en Israël et vous ne pouvez rien y faire, bien que vous soyez un grand pays.
Mais dans le contexte de la Syrie, à quoi ressemblerait une meilleure politique [US] ?
À celle qui préserve la stabilité au Moyen-Orient. La Syrie est le cœur du Moyen-Orient. Tout le monde sait cela. Si le Moyen-Orient est malade, le monde entier sera instable. Lorsque nous avions commencé le processus de paix, en 1991, nous avions beaucoup d’espoir. Maintenant, plus de vingt ans après, les choses ne sont même pas au point de départ, mais bien en-deçà. Donc, la politique US devrait aider à la paix dans la région, à combattre le terrorisme, à promouvoir la laïcité, à soutenir le secteur économique, à la progression de l’esprit et de la société comme c’est le cas dans votre pays. Telle est la mission supposée des États-Unis, non celle de déclencher des guerres. Déclencher la guerre ne fait pas de vous une grande puissance.
Texte traduit de l’anglais par Mouna Alno-Nakhal
Source : Foreign Affairs Magazine