Publié le : 02 mars 2015
Source : magistro.fr
La sagesse populaire le dit à sa manière : « Tout passe, tout casse, tout lasse » ! La pensée savante le formalise en rappelant que la continuité de la vie sociale se fonde sur l’impermanence des organisations qui sont censées la représenter. C’est bien cela qui est en jeu dans le spectacle politique ou, mieux, la politique spectacle. Tant il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de se rappeler ces grands penseurs que furent Hegel ou Marx pour rappeler que les événements se répètent toujours deux fois : « une première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».
Et c’est lorsque cette « farce » politique devient par trop évidente que la société redevient ce qu’elle est de nature : civile.
Rappelons que pour notre espèce animale, dire est essentiel : « Au début est le Verbe, et le Verbe était Dieu » ! Pouvoir souverain s’il en est. Et de tout temps, les élites, en particulier politiques, avaient le monopole légitime de ce pouvoir : savoir dire ce qui est vécu et, par là, assurer la solidité du rapport fécond existant entre « les mots et les choses ». Mais il est des moments où un tel pouvoir se sature. Les mots ne sont plus en pertinence avec ce qui est, ils deviennent dès lors impertinents.
C’est bien ce qui est en train de se passer actuellement. Les partis politiques, de plus en plus déconnectés de la vie réelle, deviennent tout simplement caducs.
Dans son livre classique sur la chose publique, Robert Michels montrait (dès avant la première guerre mondiale) comment les « Partis politiques », inéluctablement, devenaient des organisations « oligarchiques », leurs incantations démocratiques n’étant que le faux-nez de cette tendance, propre à l’ordre des choses, à confisquer le pouvoir pour quelques-uns. D’où un entre-soi des élites ne pouvant qu’engendrer une méfiance populaire. Ce que les lettrés nomment secessio plebis, qui régulièrement resurgit dans les histoires humaines. La gauche en a fait les frais. C’est au tour de la droite de payer les pots cassés, c’est-à-dire de subir les conséquences d’une singulière inconséquence, avoir oublié qu’il n’est de pouvoir qu’enraciné sur la puissance populaire !
D’où la revanche de ce qu’il est convenu de nommer la « société civile » et que je préfère nommer le peuple. Revanche s’exprimant, d’une part, dans le refus massif et constant des consignes de vote : l’actualité n’est pas avare d’exemples en ce sens et l’on peut, sans trop se tromper, pronostiquer qu’un tel processus n’en est qu’à ses débuts.
Il est non moins intéressant de noter que, d’autre part, cette revanche populaire s’exprime dans la célébration de personnages publics n’ayant pas (ou n’ayant plus) l’aval de la pensée établie. C’est ainsi que, pour n’en citer que quelques-uns : Houellebecq, Zemmour, Depardieu deviennent des figures emblématiques autour desquelles on s’agrège pour faire la nique à ceux qui sont censés déterminer le sens des choses.
Pourquoi cela ? Peut-être parce que contre la bienpensance de droite, point trop éloignée de celle de gauche, ils représentent la « bella Figura » du peuple. D’un peuple sachant, de savoir incorporé, que les vraies règles de la vie belle sont celles, pour reprendre une expression de Joseph de Maistre, sachant mettre en pratique « le bon sens et la droite raison réunis ».
En entonnant ces pieuses rengaines célébrant les « valeurs républicaines », le « progressisme » et autre contrat social rationnel, en vitupérant le « communautarisme » et le sentiment d’appartenance « tribal », les partis de droite oublient que les représentations philosophiques ont, aussi, leur destinée. C’est-à-dire qu’elles se saturent. Ce qui entraîne la faillite de la représentation politique.
Quand cela se produit, on ne peut plus se contenter de lectures hâtives, n’engendrant que des pensées courtes. Il faut revenir à l’essentiel. Ce que Rabelais nommait justement la « quintessence » des choses. En la matière la vie quotidienne. Cette vie de tous les jours, où dans la « proxémie » on s’ajuste au milieu naturel et au climat dans lequel on baigne. C’est cela « l’esprit du temps », pétri de rêves, de fantasmes, de mythes intemporels. Toutes choses rappelant que le lieu fait lien.
Faut-il, comme cela est fréquent, appeler « populisme » cette revanche du peuple ? En le faisant, les ténors de la droite classique après ceux de la bourgeoisie de gauche ne font que se déconnecter un peu plus du Réel au nom d’un principe de réalité, économique, social, politique, bien désuet.
Encore une fois, un tel déphasage n’est pas une « première historique ». Machiavel a rappelé que fréquemment, la « pensée du palais » devenait étrangère à la « pensée de la place publique » et que cela était lourd de conséquences. Guerres civiles larvées, clivages on ne peut plus prononcés, dogmatismes idéologiques, cléricalisme laïc en sont les expressions les plus évidentes.
Les partis de droite sont déconnectés de leur base naturelle, parce que, obnubilés par la « forme parti », quelque peu obsolète, ils se contentent de rabâcher, de manière compulsive, quelques pensées convenues. Des lieux communs qui sont à des années-lumière du sens commun.
Dans le portrait qu’il dresse de Lycurgue, Plutarque note que ce qui « a le plus de pouvoir pour rendre un peuple heureux et sage doit avoir sa base dans les mœurs et les habitudes des citoyens ».
N’est-ce point ce sage principe que la droite semble avoir oublié ?
Michel Maffesoli