Publié le : 05 avril 2015
Source : bvoltaire.fr
Fumer, c’est pas bien. Une chance sur deux d’y laisser sa peau. L’alcool doit être consommé avec modération. Il faut manger cinq fruits et légumes par jour. Éviter les boissons sucrées et les graisses saturées. Boire au moins un litre d’eau par jour. Et, surtout, bouger ! Faire du sport. N’être ni trop gros, ni trop maigre. Attacher sa ceinture de sécurité, ne pas téléphoner en conduisant, ne pas rouler trop vite, ne pas oublier de passer son contrôle technique. Les antibiotiques, c’est pas automatique. En revanche, vous pouvez continuer à vous gaver d’antidépresseurs et à picorer des anxiolytiques comme des Smarties, du moment que ça vous maintient opérationnel pour turbiner et faire prospérer les labos.
L’infantilisation s’infiltre dans les moindres recoins de notre vie, instillée par un arsenal législatif qui n’en finit pas de s’étoffer et qui nous brinquebale dans une dichotomie permanente. Le tabac tue mais demeure en vente libre. On nous met en garde contre l’obésité et la malbouffe ; les denrées industrielles bourrées de produits chimiques, de sucre, de sel, de gras sont vivement déconseillées mais colonisent les rayons des supermarchés et rivalisent d’offres promotionnelles, tandis que les aliments frais, surtout s’ils sont bio, deviennent inabordables pour les moins fortunés. On veut lutter contre l’anorexie dans une société aliénée par l’apparence, où des bimbos filiformes s’affichent sur des panneaux publicitaires en 4 x 3. On nous incite à acheter des voitures mais on nous accuse de polluer quand on s’en sert. On nous rend esclaves des smartphones mais on proscrit les kits mains libres au volant (sauf Bluetooth, histoire de ménager la chèvre et le chou).
Qu’est-ce qui nous amène à nous infliger des substances nocives dont nous ne connaissons même pas la composition, à manger n’importe quoi, à conduire n’importe comment ? Quel réconfort y puisons-nous, quelle frustration y comble-t-on ? Nous sommes assujettis à un environnement fait d’addiction, de surabondance, de superfétatoire qui nous pousse à consommer toujours plus et à nous cultiver toujours moins. À ne pas être capables de penser ou d’agir par nous-mêmes, d’assumer nos actes. Continuez, bonnes gens, à bousiller votre hygiène de vie, mais pas trop quand même, car il ne faudrait pas que vous coûtiez ensuite en soins médicaux à la collectivité. Les lois sont là pour baliser votre déchéance.
Cette société de l’abrutissement, qui prodigue en boucle de bons conseils, des recommandations, des principes de précaution, des prohibitions, du prêt-à-penser hypocalorique, de l’information prémâchée, du manichéisme lyophilisé nous plonge dans une forme de léthargie docile, propre à mieux nous faire accepter notre sort sans broncher. Péchez par insoumission et l’on vous culpabilisera de ne pas voter pour le bon parti. De l’école à la maison de retraite se retrouve-t-on dépouillé de son autonomie intellectuelle.
On ne saurait reprocher à un gouvernement de lutter contre des dangers qu’il a lui-même laissés proliférer, voire encouragés, malgré toute l’hypocrisie de cette supposée bienveillance. Mise en place de paquets de cigarettes neutres, interdiction des mannequins faméliques, taxes sur les sodas, si elles peuvent s’avérer efficaces, ne constituent qu’une goutte d’eau dans un océan d’aberrations consuméristes. Éduquer, responsabiliser, restituer à l’individu son libre arbitre, son esprit d’initiative, sa capacité à raisonner serait un objectif autrement plus ambitieux. Mais le veut-on vraiment ?
Eloïse Gloria