Publié le : 07 avril 2015
Source : bvoltaire.fr
Chacun a pu le constater lors des dernières élections départementales : en France, un parti politique peut remporter deux fois plus de sièges que son rival avec trois moins de voix. La faute aux alliances et aux désistements entre les deux tours de scrutin. Pour notre ami Christian Vanneste, « ce n’est pas tant le mode de scrutin qu’il faut critiquer, lequel évite l’instabilité et dégage des majorités de gouvernement, que l’absence d’alliance […] ». Cela semble évident a priori, sauf que le mode de scrutin à deux tours et la possibilité de nouer des alliances sont en fait les deux faces d’une même pièce.
Les modes de scrutin utilisés par l’ensemble des membres de l’ONU appartiennent à deux familles distinctes selon qu’ils privilégient la représentativité de l’électorat ou la stabilité des majorités, deux vertus que l’on ne peut optimiser simultanément. Au mieux, le législateur cherchera à privilégier l’une sans trop pénaliser l’autre. De loin le plus usité, le vote à la proportionnelle – généralement assorti d’un seuil minimum – assure à tous les partis une représentation conforme à son poids dans l’électorat. À l’autre extrémité, le scrutin majoritaire à un tour a vocation de promouvoir le bipartisme. Celui qui gagne la circonscription, même avec une faible majorité relative, remporte le siège et tant pis pour les autres. C’est le système en vigueur au Royaume-Uni et aux États-Unis. Or, fait absolument remarquable, si l’un ou l’autre de ces deux modes de scrutin avait été appliqué lors de ces départementales, le nombre d’élus du FN aurait été infiniment supérieur à ce qu’il a été, entre 500 et 650 élus contre 62. Que faut-il en conclure ? Tout bonnement que le choix de la stabilité aux dépens de la représentativité n’est pas pertinent pour justifier un système dont le seul objet est, en réalité, d’empêcher l’émergence d’une troisième force à n’importe quel prix. En cause, bien sûr, le mode de scrutin non pas à un mais à deux tours qui ouvre la porte aux arrangements, aux compromissions et aux magouilles. Saviez-vous – en dehors du vote pour élire le président de la République, car là, il n’est plus question d’envisager des alliances car il s’agit d’un combat d’homme à homme – quels sont, hormis la France, les pays qui ont adopté un tel système pour designer leurs élus ? Le Togo, le Turkménistan, l’Égypte, le Mali… au total, pas même une dizaine sur plus de deux cents. Sans commentaire.
À ce stade de la réflexion, il est possible que le lecteur ne saisisse pas complètement en quoi la possibilité de nouer des alliances électorales est un vice de démocratie. C’est qu’un arrangement entre les deux tours n’est pas une coalition entre deux partis et cette distinction est essentielle. Dans un gouvernement de coalition, les partis minoritaires se mettent d’accord sur une politique de compromis. Puisque les élus ne doivent leur siège qu’à leurs seuls électeurs, ils restent maîtres de leur destin. Que le gouvernement trahisse les termes du compromis et ils retireront leur soutien, provoquant de nouvelles élections. Les arrangements propres au scrutin à deux tours sont une tout autre affaire. L’élu ne doit plus son siège à ses électeurs mais à la bienveillance de l’adversaire. Plus besoin d’accord de gouvernement, les élus des petits partis se soumettent pour conserver leur précieux mandat et leurs électeurs se sentent trahis. À la longue, dépités, ils se détournent du vote et c’est l’abstention qui devient majoritaire.
Doit-on reprocher au FN son incapacité à nouer des alliances électorales ? Doit-on, en clair, lui reprocher de ne pas verser dans la politique politicienne ? Certainement pas. Il suffit de voir où en sont les communistes et les écologistes aujourd’hui pour s’en convaincre. Ce sera long mais c’est inéluctable, le FN a une identité qui lui est propre et qui est en phase avec le sens de l’Histoire, la révolte des peuples contre les élites. Il parviendra un jour au pouvoir avec une majorité absolue d’électeurs, ou bien alors nous serons 80 % d’abstentionnistes et la démocratie aura vécu.
Christophe Servan