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Vers un monde multipolaire ? Sushma Swaraj (Inde) lors du débat 2015 de l’Assemblée générale de l’ONU (septembre 2015)

16 octobre 20150
Vers un monde multipolaire ? Sushma Swaraj (Inde) lors du débat 2015 de l’Assemblée générale de l’ONU (septembre 2015) 5.00/5 3 votes

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Allocution de S.E. Mme Excellency Sushma Swaraj, Ministre des relations extérieures de la République de l’Inde, lors du Débat général de la 70e session de l’Assemblée générale

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les chefs d’État et du gouvernement, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs,

L’Organisation des Nations unies fête son 70e anniversaire cette année, cette Assemblée générale est donc historique. J’espère que cette année sera également une année historique pour l’ONU en terme de résultats. Je puis en tout cas vous assurer du soutien indéfectible de l’Inde dans le cadre de vos efforts.

Monsieur le Président, il y a 70 ans, l’Organisation des Nations unies a été créée sur la côte ouest de ce pays avec la Charte de San Francisco. L’Inde est un des pays signataires de la Charte même si nous n’étions pas indépendants à l’époque. Nous avons obtenu notre indépendance deux ans après. Lorsque les Nations unies ont été créées, un homme d’aspect assez frêle, armé de la non-violence a écrit le dernier chapitre de notre lutte et il est devenu un symbole pour tous les colonisés, pour tous les opprimés, partout dans le monde. Je suis heureuse que l’ONU a déclaré le jour de la naissance de cet homme extraordinaire, la journée internationale de la non-violence. C’est une coïncidence heureuse que demain, 2 octobre, sera cette journée. Gandhi a dit « la différence entre ce que nous faisons et ce que nous sommes capables de faire suffirait à régler la plupart des problèmes du monde. » Ce message s’inscrit de manière très appropriée au contexte de l’Organisation des Nations unies.

Monsieur le Président, au cours de la vie de tout être humain, le 70e anniversaire est un point de référence, l’occasion de réfléchir à ce qui a été réalisé et peut-être ce qui a été manqué également. De même, pour une institution, la 70e année c’est l’occasion de voir si l’institution a été en mesure d’atteindre l’objectif pour lequel elle a été créée, si elle a atteint les buts mentionnés lors de sa création. Aujourd’hui nous devons tous nous demander si nous avons été en mesure d’atteindre les objectifs pour lesquels l’Organisation des Nations unies a été créée il y a 70 ans.

Lorsque je me pose  cette question je réponds par l’affirmative pour certaines questions et de manière négative pour d’autres. Par exemple, les Nations unies sont parvenues à éviter une Troisième Guerre mondiale, l’Organisation a contribué à la décolonisation, a pu contribuer au démantèlement de l’apartheid, à lutter contre les épidémies mondiales, a réduit le problème de la faim au niveau mondial et a promu la démocratie et les droits de l’homme. Mais lorsque nous nous demandons si nous avons été en mesure de nous opposer à des conflits dans toute une série d’endroits du monde, nous sommes obligés de répondre non. Si nous nous demandons si nous avons trouvé des solutions permanentes à ces conflits, là encore nous répondons par la négative. Si nous nous demandons si nous avons été en mesure de montrer la voie de la paix à un monde qui est enclin à la violence, la réponse encore est non. Les Nations unies semblent alors être une institution inefficace dans le domaine de la paix et de la sécurité internationale. L’Organisation n’a pas été en mesure de relever les nouveaux défis dans le domaine de la paix et de la sécurité internationale. Aujourd’hui, le monde connaît la guerre sur trois continents et le Conseil de sécurité n’est pas en mesure ou ne veut pas mettre fin à ce bain de sang. Les solutions traditionnelles ont souvent exacerbé les problèmes. Nous devons nous demander si nous avons la volonté politique pour élaborer d’autres solutions alternatives face à ces conflits, et si nous sommes prêts à poursuivre ces alternatives de manière déterminée.

Aucun objectif n’est plus important que celui des processus de maintien de la paix. Sous le drapeau bleu, des hommes et des femmes travaillent à la prévention du conflit pour protéger des civils et pour étayer des processus de paix. Avec 180 000 soldats de la paix déployés à ce jour, l’Inde a été le plus grand fournisseur de sécurité internationale pour les Nations unies. Aujourd’hui même, environ 8 000 Indiens, policiers, militaires, participent à dix missions souvent dans des environnements très difficiles. L’Inde reste engagée à poursuivre ce soutien en faveur des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Nous sommes même prêt à accentuer nos contributions comme cela a été annoncé par notre Premier ministre lors du Sommet des dirigeants consacré au maintien de la paix. Nos nouvelles contributions couvriront l’ensemble des aspects des missions de maintien de la paix : personnel, soutien logistique et formation. Simultanément, il est nécessaire de garantir que les grands principes du maintien de la paix ne soient pas dilués. Il est regrettable que les pays contributeurs de contingent n’aient rien à dire concernant le mandat des missions qui sont souvent amendées sans qu’ils soient consultés. C’est une violation claire de l’article 44 de la Charte des Nations unies.

Monsieur le Président, nous pensons également que les opérations de maintien de la paix ne peuvent pas être un substitut à des solutions politiques, et cela a été souligné également par le groupe Horta. Alors que nous célébrons le 70e anniversaire de l’Organisation des Nations unies, je saisis cette occasion pour saluer les 3 300 soldats de la paix, y compris 161 d’Inde, qui ont fait le sacrifice ultime. Nous sommes prêts à contribuer au mémorial des soldats de la paix qui a été approuvé par la 69e Assemblée générale.

Monsieur le Président, la sécurité des soldats de la paix, la sécurité de nos nations et l’avenir de la communauté internationale dépendent maintenant de la manière dont nous allons confronter la menace la plus importante qui s’impose à nous à savoir le terrorisme, une menace avec laquelle l’Inde a vécu pendant plus de 25 ans, une menace qui a frappé de manière tragique cette ville à l’automne 2001. Depuis lors, la prolifération des actes terroristes, la montée des idéologies extrémistes et l’impunité des États qui sponsorisent le terrorisme n’ont pas été contrées de manière efficaces. Le terrorisme international ne peut être vaincu qu’au travers d’une action internationale organisée. Le monde doit démontrer qu’il n’a aucune tolérance face aux terroristes qui tuent et qui mutilent des civils innocents. Nous devons juger et, le cas échéant, extrader ces personnes. Les pays qui fournissent du financement, qui arment, qui entraînent ces terroristes doivent payer le prix face à la communauté internationale.

Tout aussi important : un régime juridique international dans le cadre de la Convention générale sur le terrorisme international. Nous ne pouvons plus attendre. Il y a 19 ans, en 1996, l’Inde a déposé cette proposition aux Nations unies mais nous n’avons pas été en mesure d’adopter cette Convention et nous sommes restés empêtrés dans des problèmes de définitions. Il faut bien comprendre qu’il ne peut pas y avoir de distinction entre un bon et un mauvais terroriste. Le terrorisme ne peut pas non plus être lié à une religion. Un terroriste c’est un terroriste, c’est une personne qui commet des crimes contre l’humanité. Une telle personne ne peut avoir une religion. Dès lors, je vous lance un appel : travaillons tous, ensemble, au cours de ce 70e anniversaire pour adopter la Convention générale.

Monsieur le Président, je saisis également cette occasion pour mentionner les défis auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de nos relations avec le Pakistan. Personne ne peut accepter que le terrorisme soit un outil politique légitime. Le monde a partagé notre effroi lors des attaques terroristes de Mumbai de 2008 au cours desquelles des citoyens de nombreuses nations ont été mutilés en vain. Le fait que l’auteur de ces attaques est libre est un affront à l’ensemble de la communauté internationale. Les garanties qui nous avaient été fournies à cet égard par le passé n’ont pas été honorées. Non seulement cela, mais il y a eu de nouvelles attaques terroristes transfrontalières récemment au cours desquelles deux terroristes, de l’autre côté de la frontière, ont été capturés vivants. Nous savons tous que ces attaques ont pour but de déstabiliser l’Inde et légitimiser l’occupation illégale par le Pakistan de certaines parties de l’État indien de Jammu-et-Cachemire, et légitimiser ses prétentions sur le reste de cet État.

Permettez-moi ici de vous présenter clairement notre position. L’Inde est prête à dialoguer mais les négociations et le terrorisme ne peuvent aller de pair. Hier, le Premier ministre du Pakistan a proposé ce qu’il a appelé une initiative pour la paix en quatre points. Je voudrais y répondre. Nous n’avons pas besoin de quatre points, mais d’un seul : abandonnons le terrorisme et discutons. Cela permettra de résoudre tous les problèmes. Je souhaiterai également dire que c’est précisément ce qui avait été discuté et décidé par les deux Premiers ministres à Ufa au mois de juillet. Organisons des discussions au niveau des conseillers de la sécurité nationale sur l’ensemble des questions liées au terrorisme ainsi qu’une réunion de nos Directeurs généraux des Opérations militaires afin d’aborder la question des problèmes à la frontière. L’Inde est tout à fait prête à aborder l’ensemble des problèmes en souffrance dans le cadre d’un dialogue bilatéral.

Même si nous luttons contre la menace du terrorisme, nous devons reconnaître que les progrès économiques et sociaux restent un objectif essentiel. La satisfaction des besoins humains de base débouche de manière invariable sur des sociétés plus pacifiques comme il ressort clairement des études sur les conflits qui frappent diverses parties du monde. Il y a quelques jours nous avons adopté un nouveau programme de développement avec les objectifs du développement durable. C’est une feuille de route plus holistique que les objectifs du Millénaire pour le développement. Toutefois, la réussite de la mise en œuvre dépendra d’une volonté politique et d’une volonté de partage : partage de technologie mais également de ressources financières, il faudra également améliorer les différents mécanismes de mise en œuvre.

En tant que femme et que membre élue du parlement, je suis convaincue nous pouvons accélérer les changements sociaux en autonomisant les petites filles. La politique de notre gouvernement, « Beti Bachao, Beti Padhao » [Éduquons les filles pour leur donner du pouvoir], vise à éduquer les jeunes filles pour les autonomiser. Notre avenir dépend d’une planète durable, pour nous, pour nos enfants.

Nous allons bientôt nous réunir à Paris et nous devons concrétiser nos ambitions. Nous avons un devoir commun, mais il faut prendre en considération les différentes responsabilités de chacun, des responsabilités différenciées. Si Mahatma Gandhi était parmi nous aujourd’hui, il nous demanderait si nous avons utilisé les ressources de la planète pour satisfaire nos besoins ou pour satisfaire notre avidité. Est-ce que l’adaptation de nos choix de vie permettrait de corriger le tir ? Je pense que pour cette raison l’accord de Paris doit être un accord global et équitable, avec des actions concrètes. Les pays en développement peuvent faire davantage s’ils disposent de finances, de technologie, de davantage de capacités de la part des pays développés. L’Inde a toujours été un partenaire volontaire dans le cadre de ses efforts mondiaux. Nous jouerons notre rôle pour parvenir à un accord équitable, utile et efficace à Paris.

L’attachement de l’Inde pour l’environnement se fonde sur ses traditions : nous avons toujours considéré que la nature était sacrée. La santé de la planète est liée à notre bien-être et c’est cette approche holistique qui nous a poussés à lancer un appel en faveur de la première journée internationale du Yoga. Une journée qui a été organisée avec beaucoup de ferveur dans 192 pays du monde et même dans cette institution. Je remercie la communauté internationale pour son enthousiasme et pour son soutient lors de cette journée. J’espère que la graine qui a été plantée s’épanouira et deviendra un arbre magnifique. Je félicite également les États qui ont réagi rapidement pour lutter contre des épidémies mondiales. En travaillant ensemble nous sommes parvenus à éradiquer la variole et presque la polio. Le VIH, le  SIDA, est évidemment sous contrôle, Ebola a été une crise très importante. C’est un exemple de la manière dont les actions nationales et le soutien international peuvent permettre de résoudre une crise mondiale. Nous sommes fiers que l’Inde a joué son rôle dans le cadre de ces efforts mais nous devons nous inspirer de ces réussites et redoubler d’efforts pour éradiquer d’autres crises sanitaires, qu’il s’agisse de la tuberculose ou du paludisme.

Tout comme pour les urgences sanitaires, les catastrophes naturelles et anthropiques exigent une réponse coordonnée. Récemment, la communauté internationale a été confrontée à la crise des réfugiés due aux situations en Syrie, en Irak et en Libye. Nous avons besoin d’une réaction rapide, qui se fonde sur une volonté politique : nous avons réagi rapidement et de manière holistique, qu’il s’agissait du Népal ou du Yémen. L’Inde est un fournisseur net de sécurité qui vient en aide à ses ressortissants, mais également aux ressortissants d’autres pays. L’Inde va organiser la première Conférence ministérielle asiatique sur la réduction des risques face aux catastrophes naturelles au mois de novembre 2016, sur l’effort cadre de Sendai.

Monsieur le Président, nous avons des traditions démocratiques très importantes et régulièrement il faut apporter des changements. Et depuis l’arrivée du gouvernement du Premier ministre Modi, il y a un an et demi, nous nous sommes engagés au renouvellement afin de permettre à l’Inde de jouer son rôle dans les affaires internationales tout en continuant d’être une économie florissante. Notre slogan est « sabka saath,sabka vikas » : nous mettons l’accent sur le bien-être de toute notre population. Simultanément, nous avons entamé des contacts avec l’ensemble de nos partenaires de la communauté internationale. Nos efforts se concentrent surtout sur notre voisinage immédiat avec des résultats importants. Nous avons renouvelé des liens anciens, nous avons mis sur pied des partenariats économiques modernes, y compris récemment lors d’un sommet avec 14 îles du Pacifique. La politique d’action vers l’est a remplacé la politique de vision de l’est, une politique plus pro-active. Nous restons engagés en faveur du processus de paix au Moyen-orient qui est essentiel pour prévenir tout radicalisation de la région. Nous espérons qu’une solution pour la Palestine sera trouvée. Nous avons également approfondi nos relations avec la majorité des grandes puissances.

L’Afrique est une région avec laquelle nous avons des liens historiques, une solidarité qui est due à notre lutte commune contre le colonialisme et à notre croyance partagée dans une prospérité commune. Plus tard ce mois-ci, nous allons accueillir le troisième Sommet Afrique-Inde. Pour la première fois les dirigeants des 54 pays du continent ont été invités.

En tant qu’État doté de l’arme nucléaire, l’Inde est consciente des responsabilités et est favorable à un désarmement nucléaire non-discriminatoire mondial et vérifiable. Notre engagement en la matière reste inébranlable.En tant que nation, tout comme pour les institutions, il est nécessaire de se renouveler. Et dans un monde qui continue d’être dominé par les nations riches, la notion d’égalité souveraine au sein des Nations unies a permis au monde en développement de remettre en question des normes injustes. Mais cela n’a pas débouché sur des changements fondamentaux.

Si nous voulons préserver le caractère central et légitime de l’Organisation des Nations unies comme garant de la paix mondiale, de la sécurité et du développement, la réforme du Conseil de sécurité est particulièrement urgente, c’est l’urgence du moment. Comment pouvons-nous avoir en 2015 un Conseil de sécurité qui reflète encore l’architecture géopolitique de 1945 ? Comment pouvons-nous avoir un Conseil de sécurité qui n’a toujours pas de membre permanent africain ou issu d’Amérique latine ? Nous devons intégrer davantage les nations en développement dans les processus décisionnels du Conseil de sécurité et nous devons modifier la manière dont le Conseil fonctionne, car il fonctionne de manière non-transparente. Davantage de légitimité et un équilibre accru au sein du Conseil restaurerait sa crédibilité et lui permettrait de relever les défis de notre époque. Nous sommes heureux que sous la présidence de Son Excellence Monsieur Sam Kutesa et sous la présidence de Courtenay Rattray, nous sommes parvenus à ce que nous n’avions pas été capables de faire pendant deux décennies à savoir un texte à négocier et qui a été adopté par l’Assemblée générale au travers de la décision 69/560. Mais cette première étape doit être, en fait, l’entame d’actions plus importantes dans le cadre de cette 70e session de l’Assemblée générale des Nations unies.

Monsieur le Président, pour une organisation telle que l’Organisation des Nations unies, 70 ans cela a une importance unique. C’est une occasion pour revitaliser l’Organisation, pour la réinventer. Je vous invite tous à réfléchir aux Nations unies comme un arbre, une arbre symbole de la sagesse. C’est un arbre qui n’a pas un seul tronc mais plusieurs, qui poussent vers l’extérieur. Mais chaque tronc est relié aux autres, cet arbre est en relation également avec le ciel et la terre. Il étend ses branches, et à l’ombre d’un arbre c’est toujours un bon endroit pour débattre, discuter.

Un arbre est encore jeune à 70 ans. Nous avons une occasion historique, l’occasion de renouveler cette institution, ou nous pouvons la condamner à dépérir. Nous pouvons facilement nous perdre dans le labyrinthe de notre propre création, mais si nous saisissons cette occasion nous permettrons aux Nations unies d’atteindre son plein potentiel : une Organisation qui réduit les écarts entre ce qu’elle fait et ce qu’elle est capable de faire. Un arbre robuste, canopée d’une humanité pacifique et prospère. J’espère vraiment que les Nations unies grandiront pour devenir cet arbre.

Sushma Swaraj

Posté par : Organisation des Nations Unies – ONU

01-10-2015

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