Publié le : 20 novembre 2015
Source : Le Figaro
La priorité : s’adapter à l’ennemi
Les signes précurseurs étaient là, avec une blogosphère terroriste toujours plus menaçante pour l’Europe, avec la revendication de la bombe à bord de l’avion russe par l’Etat islamique. Pourtant, nous n’avons eu en France nulle anticipation de la direction de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure). Depuis 2012 et Mohamed Merah, ses dirigeants ont raté tous les épisodes sanglants : Nemmouche en 2014, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly en 2015… Un échec patent, car ils n’ont pas réalisé le caractère hybride, à la fois terroriste et criminel de droit commun, du nouveau terrorisme. A 23 ans, Merah a 20 mentions à son casier judiciaire, la moitié pour vols à main armée. Les frères Kouachi et Coulibaly sont des dealers et des braqueurs, et l’on voit aujourd’hui que l’un des kamikazes du Bataclan, Ismaël Omar Mostefaï, est condamné à huit reprises de 2004 à 2010. Or, ces chefs du renseignement intérieur ont longtemps persisté à traquer les chevaliers blancs de l’islam, grands seigneurs salafistes type Ben Laden ou Zawahiri, tous morts ou hors jeu. Ce, quand nous sommes au premier chef touchés par un terrorisme intérieur perpétré par des racailles. Une telle attitude remonte à la DST qui ignorait jadis les criminels au profit des espions du KGB, activité noble et supérieure. Résultat : la DGSI peine à s’adapter à l’ennemi réel, à poser un diagnostic juste et dans les temps. Certes, le terrorisme évolue : on n’a plus seulement affaire à des individus agissant seuls ou au sein d’une fratrie, mais à des actions coordonnées et organisées, inflexion que le renseignement intérieur a également ratée. Que le terrorisme soit lié à l’étranger n’est, au reste, pas une nouveauté, avec la libre circulation dans cette passoire qu’est Schengen : on ne saurait donc exciper du fait que des individus soient de faux migrants venus de Syrie…
Chaque fois, on ramasse plus de cadavres. Merah : 7 morts ; Charlie Hebdo : 17 morts ; Bataclan : près de 140 morts. Si l’on n’y prend pas garde, le prochain coup sera exponentiel avec 1 000 victimes. Etre incapables comme nous le sommes de neutraliser les terroristes se procurant leur arsenal, enfilant leur cagoule et armant leur kalachnikov, pour futilement interpeller leurs cousins dans une villa de banlieue après l’attentat signe ce parfait achoppement. Conclusion ? Appliquons la méthode du gouvernement tunisien : suite à l’attentat du musée du Bardo, ils ont renvoyé les incompétents qui dirigeaient la police. A la direction du renseignement intérieur, il faut installer de jeunes commissaires ayant derrière eux cinq ans de 9.3, qui connaissent bien le « gibier » et savent l’affronter. Ce n’est ni une question de moyens, ni un problème technique : les opérateurs du terrain sont hautement compétents. Il faut changer le logiciel : apprendre à voir les terroristes tels qu’ils sont ici et maintenant, savoir les repérer pour les arrêter dès qu’ils vont passer à l’acte. En matière de terrorisme, il n’y a pas plus de génération spontanée qu’en biologie. Il y a toujours des signes avant-coureurs. Ce que l’on voit avant l’attentat finit par exposer de manière aveuglante que cet attentat est imminent. Comme disent les Américains : « If it looks like a duck, quacks like a duck, walks like a duck, it’s a duck ! » (1). Pragmatisme yankee à méditer…
propos recueillis par Patrice de méritens
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1) Si ça ressemble à un canard, cancane comme un canard, marche comme un canard, c’est un canard !