Publié le : 21 mai 2016
Source : russeurope.hypotheses.org
Quelle est donc la stratégie de François Hollande, et en à-t-il simplement une ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser au sortir de cette « séquence » politique qui l’a vu au milieu des ruines de la « gauche » (1) et face à une opinion en voie d‘exaspération. Alors que son gouvernement se déchire en plein jour, le comportement d‘enfant gâté d‘Emmanuel Macron en indisposant beaucoup – dont le Premier-ministre – et non sans quelques bonnes raisons, alors que la Police et l’Armée sont en proie au doute, l’expression d’un dessin clair, susceptible de rassembler les français serait la moindre des choses que l’on pourrait attendre d’un Président de la République. Mais, François Hollande préfère louvoyer, ruser, et prendre la tangente. Cela n’implique pas qu’il n’ait pas un « plan », sauf que ce dernier relève plus de la « combinazione » que du projet stratégique. Son seul souci est, visiblement, de rester au pouvoir. Il convient de comprendre comment il veut y parvenir.
La manœuvre Hollande
Le plan du Président relève de la politique politicienne, et en même temps il est transparent. C’est d‘ailleurs cela son principal défaut. Il s’agit de faire le vide sur sa gauche pour se présenter comme l’ultime recours, ou le moindre mal, tant face à la droite, afin d’être présent au second tour que face au Front National, contre lequel il espère un réflexe de « Front Républicain ». Mais, ce plan prend l’eau en de multiples endroits. Non que la droite française, celle qu’incarnent « Les républicains » soit inférieure à ses attentes. Dans la liste déprimante des candidats à la primaire des droites, c’est un concours à celui qui dira les platitudes les plus éculées sur l’Europe, à celui qui présentera le programme le plus réactionnaire.
Passons sur le cas de Nicolas Sarkozy, qui vire au cas pathologique et qui n’espère plus qu’en des manœuvres d‘appareil pour triompher de ses adversaires. Alain Juppé, dont on a dit qu’il était passé de la rigidité à la momification, processus à peine interrompu par une brève crise de jeunisme, propose un programme largement décalqué de celui de François Fillon et ont l’application accentuerait la récession actuelle du pays. Rappelons que les études du FMI sur le « multiplicateur des dépenses publiques » (2) montrent qu’une réduction importante de ces dernières (et Juppé évoque 75 milliards d‘euros soit 3,75% du PIB annuel) auraient des conséquences désastreuses sur la croissance et l’économie (3). François Fillon est, quant à lui, passé du séguiniste au thatchérisme avec trente-cinq ans de retard et Bruno Le Maire, dont les performances à Bruxelles n’avaient pas retenu l’attention, n’a pour atout que sa relative nouveauté qui ne cache que faiblement la nullité de son discours. Ces discours tenus par la droite sont en réalité congruents à ceux de la « gauche » de gouvernement. Ils se plient tous à ce qu’exige l’Union européenne et la logique de l’Euro.
Bref, la droite peut se plier à la « combinazione » de François Hollande en donnant d’elle-même un visage suffisamment repoussant. Mais cela ne suffira pas.
L’obstacle Mélenchon
François Hollande, pour pouvoir se représenter doit faire le vide à gauche. S’il a exécuté le groupe écologique, et rarement aura-t-on vu de victimes d‘une exécution plus consentante, il ne pourra se défaire aussi aisément de son seul adversaire à gauche : Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier est en passe de gagner son pari. Il s’est dégagé du piège de la primaire à gauche, et sa candidature n’est plus aujourd’hui contestable. Il est d‘ailleurs crédité dans les sondages de scores supérieurs à 10% et se rapprochant de ceux de François Hollande. Dès lors, il est clair qu’il va devenir la cible des attaques des caciques du P « S » et de sa presse aux ordres.
La violence de ces attaques peut être déduite par la mésaventure arrivée à la compagne de Fréderic Lordon, débarquée du Nouvel Obs sous le risible prétexte qu’elle aurait écrit des articles anti-démocratique. Diable, on ne savait pas ce journal si délicat, lui qui pratique la désinformation de manière systématique sur certains sujets. En réalité, on est en présence de méthodes de gangsters. Elles sont cohérentes avec la dérive clientéliste que le P « S » connaît, que ce soit sur Marseille ou dans le Nord ou même à Paris comme le dénonçait, avec un certain courage, Malek Boutih. Elles visent aujourd’hui Lordon en raison de son engagement dans Nuit Debout. Elles viseront demain Mélenchon qui, du fait de l’enjeu, devient de facto le principal adversaire de François Hollande. On peut déjà discerner l’axe de cette campagne. Publiquement, il va s’agir de retirer sa légitimité à Mélenchon, par des attaques haineuses mais aussi en suscitant dans son propre camp des adversaires. Les tentatives pour promouvoir des candidats alternatifs en font partie. Mais, dans le secret des rencontres et des tractations d‘état-major, on va tenter quelque chose de plus radical. Il va s’agir de le priver des 500 parrainages dont il a besoin en faisant pression sur la direction du PCF qui peut être sensible à l’argumentation de circonscriptions électorales.
La chance, pour Mélenchon, est d‘une part sa stature politique – qui le met largement au-dessus des adversaires potentiels dans son propre camp – et d‘autre part qu’une partie de l’appareil et des militants du PCF, lassée des atermoiements européistes de la clique de Pierre Laurent, se refusera à entrer dans ces manœuvres indignes. On en veut pour preuve l’appel de plusieurs dirigeants du PCF, dont Mme Marie-George Buffet, à soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Or, si Jean-Luc Mélenchon peut aller jusqu’au premier tour, François Hollande n’aura quant à lui aucune chance de figurer au second. Bien sûr, on agitera le spectre de 2002 devant les électeurs de gauche. Mais, la politique du gouvernement les aura durablement dégoutés d’un candidat P « S ». Les dégâts provoqués par la loi El-Khomri et les cassures engendrées par le mouvement actuel sont profonds. En fait, c’est le « tournant libéral » de la politique de François Hollande qui est en cause. Or, ce tournant est le produit d’une politique qui sacrifie les travailleurs français aux illusions des européistes de Bruxelles. Et cela les français ne le pardonnent pas, et ne le pardonneront pas en 2017, à François Hollande.
L’effondrement du « hollandisme »
L’effondrement de la manœuvre conçue par François Hollande est donc plus que probable. Mais, il n’est pas dit qu’il profite à Mélenchon. Assurément, ce dernier est pratiquement sûr de faire un bon score au premier tour de l’élection présidentielle, sans doute autour de 13%, voire plus. Peut-être même pourrait-il faire jeu égal avec Hollande, ce qui serait symboliquement important. Mais après ? Tout cela reste dans le cadre du premier tour, or c’est au second que se décide l’élection. Il manque pour l’instant à sa campagne cette fibre patriotique, cette revendication faite haut et clair de la souveraineté nationale, pour qu’il puisse prétendre incarner la totalité de la gauche historique.
Cet effondrement ouvrira, selon toutes probabilités, la porte du second tour à un duel entre Marine le Pen et Alain Juppé. Et l’on entend d’ores et déjà se roder le discours sur le « Front Républicain ». Si, d‘ores et déjà, on voit des représentants de la « gauche » se préparer à passer avec armes et bagages dans le camp du maire de Bordeaux, il n’en est pas encore de même pour les électeurs. C’est là que se noue la véritable contradiction entre le « plan » de François Hollande et sa politique. Il est en effet probable que la politique actuelle du gouvernement en poussera une bonne partie vers l’abstention. Il suffirait qu’une grande partie de ces derniers s’abstiennent pour que l’effondrement du « hollandisme » soit total.
Jacques Sapir
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1) Hollande et les décombres, not publiée sur RussEurope le 13 mai 2016
2) Blanchard O., et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C., 2013
3) A. Baum, Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, « Fiscal Multipliers and the State of the Economy », IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC, 2012