Publié le : 28 mai 2016
Source : bvoltaire.fr
La droite et la gauche modérées espèrent un second tour de la présidentielle les opposant au FN parce qu’elles sont persuadées de l’emporter grâce à une grande coalition. C’est ce que confirment presque toutes les enquêtes d’opinion. Mais une telle certitude peut être présomptueuse, rien n’étant jamais écrit d’avance. Les politiques ont-ils oublié l’écrasante victoire de Louis-Napoléon Bonaparte en 1848 ? Par la conjonction d’électorats des deux bords, il balaya ses adversaires avec près de 75 % des suffrages exprimés, soit plus de 50 % des inscrits.
Certes, le frontisme du XXIe siècle n’est pas identique au bonapartisme du XIXe et les circonstances sont différentes. Cependant, l’électorat FN ressemble fortement à celui qui donna la victoire à Bonaparte. Le vote fut populaire et en réaction aux élites. Il rassembla des électorats disparates (monarchistes et républicains). Une partie de la droite vota pour lui par peur du désordre. Une partie de la gauche le fit parce qu’il avait été l’un des premiers politiques à s’être intéressé au paupérisme et pour se venger des journées de juin où les républicains modérés avaient fauché la contestation sociale. Le vote se cristallisa sur un nom connu de tous autant qu’en faveur d’un programme. Ce fut un vote plutôt rural (aujourd’hui, la France « périphérique ») contre le monde urbain (de nos jours, les centres mondialisées). Sa répartition géographique fut inégale, mais sa massivité dans certaines régions compensa son retrait dans d’autres, l’Ouest en particulier. Enfin, le vote bonapartiste s’exprima plutôt dans les territoires déchristianisés où l’émiettement social se ressentait plus qu’ailleurs, où le sentiment de dépossession de son avenir est actuellement palpable.
Comparaison n’est pas raison, mais le parallélisme (à l’exception de la Provence) est significatif. Le FN n’a sans doute pas sciemment bâti sa stratégie sur le modèle bonapartiste. Mais la convergence est troublante. Elle peut expliquer pourquoi Marine Le Pen fait la sourde oreille aux sirènes lui demandant d’infléchir sa ligne pour prendre en compte les proximités doctrinales et les porosités partisanes : se focaliser sur la conquête de l’espace politique faisant le pont entre le FN et LR. À l’image du bonapartisme qui était originairement de gauche et glissa sur la droite du spectre politique, le FN mariniste se présente comme n’étant d’aucun bord.
Or, ce parti prend un risque réel en laissant inoccupé un créneau électoral, orphelin depuis l’abandon par la droite de la « ligne Buisson », mais qui ne restera pas éternellement désincarné : une partie des électeurs qui se prononcent en sa faveur faute de mieux sera susceptible de s’égailler. Il est vrai que, de manière générale, la droite légitimiste se refusa à Bonaparte tandis que la droite libérale le soutint, orléanisme et bonapartisme communiant dans le même héritage révolutionnaire. Mais aujourd’hui, il est peu probable que l’électorat de droite modérée se contente du libéralisme sociétal du néo-FN en oubliant sa tendance à l’étatisme économique et social. Le FN n’aurait-il pas plus de cohérence à chercher la captation de l’électorat catholique par une défense de la sociabilité naturelle où les thèmes de la famille et de la nation convergent ?
En tout cas, la direction du parti semble persuadée de pouvoir compenser des pertes à droite par des gains à gauche. Or, l’électorat de gauche qui rallie le FN le fait en raison de l’immigration et de la mondialisation. Celui qui se porta sur Louis-Napoléon n’a pas été rebuté par un programme en faveur de la famille, de la liberté de l’enseignement ou de la propriété privée. Par conséquent, l’inflexion du discours du FN vers une forme de dirigisme au détriment de la subsidiarité semble d’une utilité très relative. Au final, ce qui semble être le pari bonapartiste de Marine Le Pen n’apparaît pas irréaliste mais il est encore loin d’être gagné, surtout pour obtenir une majorité parlementaire.
Guillaume Bernard