Publié le : 27 juin 2016
Source : prochetmoyen-orient.ch
Le fameux astrologue et hommes d’affaires tous terrains Jacques Attali affirmait dernièrement au Monde : « j’ai toujours pensé que les Britanniques rejetteraient le ‘Brexit’. La sortie de l’Union européenne (UE) serait un suicide pour le Royaume-Uni (RU). Il existe dans l’histoire, des cas où des nations se sont suicidés, mais je ne crois pas que ce soit la tentation des Britanniques ». Et il concluait le même entretien par un ballon d’essai : « et plus le temps passe, plus l’absence de débat me consterne, plus j’ai envie d’être moi-même candidat à l’élection présidentielle. La seule chose qui pourrait m’empêcher d’y aller, c’est la peur du ridicule ». Si nous partageons sa consternation quant à l’état du débat public français, pour ce qui est du ridicule, nous ne pouvons malheureusement plus grand-chose pour lui…
Cela dit, Attali n’est pas le seul chien de garde à avoir aboyé au maintien du RU dans l’UE. Barack Obama, Angela Merkel, Jean-Claude Junker et François Hollande ont tous multiplié les appels au « réalisme », à la « lucidité » et « au sens des responsabilités » pour la défense d’une UE dont chacun connaît les performances himalayennes en matière de création d’emplois, en politique étrangère, ainsi que sur les questions de défense et de sécurité. Le lendemain des résultats, il fallait aussi entendre ce pauvre Daniel Cohn-Bendit, invité du journal de France 2, s’en prendre aux électeurs britanniques ayant cédé aux sirènes « populistes », à la peur des migrants et à la haine de l’autre…
Plus sérieusement que va-t-il se passer ? Angela Merkel, François Hollande et Matteo Renzi vont faire traîner les choses afin de tout changer pour que rien ne change… Jean-Claude Junker a déjà déclaré que les eurocrates britanniques pourraient conserver leurs postes et leurs salaires, qui souvent excèdent celui du Premier ministre britannique lui-même. Il faudra plus de deux ans pour déconstruire les 7 800 textes liant le RU à l’UE. D’ici à ce qu’on demande aux électeurs britanniques de retourner aux urnes dans quelques mois pour infirmer un choix dont ils n’ont pas pris la mesure… il n’y a qu’un pas ! Plus profondément, le Brexit a provoqué deux conséquences irréversibles : le déchirement de la famille conservatrice britannique et celle d’un Parti travailliste qui a dit tout et son contraire ; et surtout, la réaffirmation d’une revendication nationale en Ecosse et en Irlande, susceptible de menacer d’éclatement un Royaume de plus en plus désunis ; les Ecossais et les Irlandais préférant avoir des comptes à rendre à Bruxelles plutôt qu’à Londres.
Mais c’est sans doute la leçon fondamentale du Brexit : contre leurs oligarchies dirigeantes et la bobologie dominante, les peuples veulent se réapproprier leur souveraineté nationale, veulent reprendre en mains leur destin et leur histoire abandonnés à des Commissaires falots dont on ne connaît ni le nom ni les véritables attributions, ceux là-mêmes qui négocient en cachette un nouvel accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis… Ces électeurs que méprise tellement Monsieur Cohn-Bendit ont compris et parfaitement compris que l’Etat-nation (souverain et indépendant) constitue aujourd’hui la seule réponse pertinente à une mondialisation devenue folle, fabrique à casser les services publics, la sécurité sociale, les régimes de retraites, les lois du travail, bref l’héritage du Conseil national de la résistance (CNR).
Sur le plan international, le Brexit constitue un sérieux revers pour Barack Obama qui désire tellement l’adhésion de la Turquie à l’UE, tandis que Vladimir Poutine se frotte les mains de voir ainsi la même Europe affaiblie, celle qui appuie les sanctions économiques américaines contre son pays et les élargissements successifs de l’OTAN ! Mais plus profondément encore, cette aspiration spectaculaire à l’indépendance nationale est un message extrêmement fort adressé à tous les pays des Proche et Moyen-Orient sous tutelle néocoloniale des Etats-Unis, de leurs supplétifs européens, israéliens et des pays du Golfe.
Dans cette perspective, on ne peut que souhaiter l’avènement en cascade d’un Syriexit, d’un Irakexit, d’un Libanexit, d’un Palestinexit et d’un Yémenexit, c’est-à-dire la fin des ingérences étrangères, essentiellement américaines, européennes, israéliennes et saoudiennes dans les affaires intérieures de ces pays. Avec les 300 000 morts de sa guerre civilo-régionale, la Syrie est sans doute une priorité où l’avenir, avec ou sans Bachar al-Assad, n’a pas à être décidé à Paris, à Washington ou à Riyad.
Le 9 mai 2016, Adel Al-Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères était à Paris pour participer à la réunion des « affinitaires » (sic), les pays qui supportent la rébellion syrienne. Il déclarait : « nous voulons une transition en Syrie, basée sur la déclaration de la conférence de Genève I (juin 2012), avec l’installation d’un organe de gouvernance doté de tous les pouvoirs, l’écriture d’une nouvelle constitution, et enfin la tenue d’élections mettant en place un nouveau gouvernement sans Bachar al-Assad » (1). Mais de quoi je me mêle ? Depuis le début de la crise syrienne (mars 2011), surtout depuis l’amorce de sa militarisation (juillet-août 2011) et l’extension d’une guerre civile à l’ensemble de la Syrie (printemps/été 2012), l’Arabie saoudite finance, arme et représente les factions jihadistes les plus radicales de la rébellion. Soutenue par Washington et Tel-Aviv, cette ingérence insupportable a obligé l’Iran à intervenir aux côtés de son allié syrien, de même que le Hezbollah à se déployer pour la sauvegarde du territoire libanais qui risquait de se transformer en base-arrière des terroristes salafo-jihadistes.
Répétons : ce n’est ni à François Hollande, ni au président des Etats-Unis, ni aux ploutocrates saoudiens de décider ce que l’avenir de la Syrie doit être. Le devoir de la communauté internationale, au premier rang de laquelle les Nations unies, est de favoriser tous les facteurs susceptibles de remettre le peuple syrien en situation de décider cet avenir et de désigner ses propres dirigeants. Ce rêve vaut pour l’ensemble des pays de la région. Il est réaliste et ne peut se contenter de pseudo-révolutions arabes aussitôt confisquées par les Frères musulmans et leurs alliés occidentaux.
Ce rêve passe, sans doute, par la renaissance d’un nationalisme arabe modernisé et adapté aux défis de la mondialisation contemporaine. Concrètement, cette ambition signifie la mise en chantier de réformes politiques et économiques profondes. Pour ce faire, tous les peuples de la région doivent impérativement reconquérir une indépendance nationale effective. Ce rêve proche et moyen-oriental d’une sortie des tutelles néocoloniales n’est certainement pas une condition suffisante mais constitue tout aussi certainement l’une des premières conditions nécessaires au retour d’une paix durable et équitable dans cette région qui n’a que trop souffert depuis le démantèlement de l’empire ottoman…
Une Europe politique indépendante aurait pu servir de modèle à cette belle ambition. Mais l’UE à 28 membres, ramenée aujourd’hui à 27, en servant de cheval de Troie aux Etats-Unis et à l’OTAN, a malheureusement tourné le dos à son histoire pour sombrer dans la caricature affligeante d’une congrégation de marchands cyniques sans honneur ni grandeur. Dans ces conditions, qu’on ne s’étonne pas alors que les pauvres gens, qui font tellement horreur à leur classe politique, se détournent de cette caricature d’alliance politique.
Comme l’a déclaré dernièrement Majed Nehmé, le directeur du mensuel Afrique-Asie sur le plateau de la chaine de télévision libanaise Al-Mayadeen : « l’Europe du général de Gaulle poursuivait une ambition continentale allant de l’Atlantique à l’Oural, tandis que l’UE d’aujourd’hui se cantonne à un réduit allant de l’Atlantique à l’Atlantique ». Bravo cher Moudir ! Espérons que votre magnifique magazine – toujours censuré par la rédaction Afrique de Radio France Internationale (RFI) – soit encore plus lu, diffusé et commenté. L’indépendance nationale passe aussi par une liberté de la presse qui ne se résume pas à être ou ne pas être Charlie !
Richard Labévière
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1) Le Monde, 11 mai 2016.