Publié le : 20 février 2017
Source : prochetmoyen-orient.ch
Le 3 février dernier, Washington annonçait de nouvelles sanctions à l’encontre de 13 individus et 12 « entités » iraniennes dont certaines sont basées en Chine, aux Emirats arabes unis et au Liban, en « riposte » au dernier test d’un missile conventionnel par Téhéran. Le porte-parole de la présidence de la Maison Blanche, Sean Spicer précisait que l’annonce de ces sanctions par le Département du Trésor avait été « clairement » calculée pour répondre à cet essai effectué quelques jours auparavant. Et il ajoutait que ces nouvelles sanctions étaient « dans les tuyaux » bien avant ce tir. « Nous avions ces options à notre disposition parce qu’elles étaient déjà en préparation », confirmait-il.
De source autorisée à Washington, on affirme que ces nouvelles sanctions ne sont que la première étape de la réponse que les États-Unis entendent apporter face « à l’attitude provocante de l’Iran ». « La communauté internationale a été trop tolérante à l’égard du mauvais comportement de l’Iran », a commenté Michael Flynn, le Conseiller à la sécurité nationale de Trump.
L’unilatéralité de la réaction américaine était d’autant plus prévisible que le test balistique iranien n’est absolument pas contradictoire avec l’esprit et la lettre de la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU qui encadre l’accord nucléaire entre l’Iran et le 5+1 (membres permanents du Conseil plus l’Allemagne). Certes, cet accord du 14 juillet 2015 stipule que l’Iran s’engage à ne pas mettre au point ou acquérir l’arme atomique, mais il ne signifie certainement pas que ce pays doive renoncer à toute espèce de matériels nécessaires à sa défense nationale, les derniers missiles testés n’étant pas conçus pour emporter des têtes nucléaires.
A cette occasion, il est d’autant plus cocasse de voir Tel-Aviv pousser des cris d’orfraie, lui qui dispose – en toute impunité et hors de tout cadrage internationale – de plus de quatre cents têtes nucléaires et de toute la panoplie de porteurs opérationnels (sous-marins de conception allemande, avions de chasse et missiles de conceptions américaines) pour utiliser ces armes de destruction massives. Israël n’est pas partie prenante du TNP1 et fait régulièrement des bras d’honneur à l’AIEA chargée de lutter contre la prolifération nucléaire. Sans parler que depuis la création d’Israël en 1948, plus de 400 résolutions du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et de la Commission de droits de l’homme des Nations unies ont été adoptées sur la question palestinienne, l’occupation et la colonisation israéliennes alors que pas un – pas un de ces textes à l’exception de la résolution 475 concernant le retrait partiel du Liban du sud – n’a été respecté par Tel-Aviv ! Et encore, l’armée israélienne occupe toujours illégalement le secteur libanais des fermes de Chebaa afin de détourner l’eau du bassin hydrographique du fleuve Litani. Par conséquent, le gouvernement israélien – qui n’en loupe pas une – aurait mieux fait de ne pas trop la ramener. C’était sans compter avec les nouvelles assurances données à la colonisation israélienne par la nouvelle administration américaine.
Autrement dit, les dernières sanctions américaines contre l’Iran étaient surtout destinées à préparer la première visite officielle de Benyamin Netanyahou à Washington. En rencontrant le nouveau secrétaire d’Etat, Rex Tillerson – le 14 février – et Donald Trump à la Maison Blanche le lendemain, le chef du gouvernement israélien venait chercher, en quelque sorte, sa lettre de cadrage auprès du protecteur américain. Un mois après l’investiture du nouveau président américain, le Premier ministre israélien voulait mieux cerner la ligne que compte suivre Washington dans le conflit israélo-palestinien et sur les colonies en Cisjordanie, mais aussi sa vision des équilibres régionaux et de la puissance iranienne.
A l’issue de sa visite américaine, Benyamin Netanyahou a toutes les raisons d’être pleinement satisfait. La nomination de David Friedman comme nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Israël a été unanimement saluée par les autorités de Tel-Aviv. Partisan de l’extension des colonies, David Friedman a lui-même participé à différents financements des colonies israéliennes dans les Territoires occupés palestiniens et Donald Trump l’a chargé de déménager son ambassade de Tel-Aviv à … Jérusalem. Au-delà de cette annonce qui consisterait à violer unilatéralement plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur le statut de Jérusalem, l’affaire est loin d’être dans le sac et ne saurait recevoir l’extrême onction des meilleurs alliés sunnites de Washington, au premier rang desquels la Jordanie et l’Arabie saoudite qui devraient alors justifier un tel alignement à une rue arabe qui ne cherche qu’un prétexte pour relancer des « révolutions » qui ont tourné court…
Mais si ce transfert est loin d’être réalisé, Donald Trump a fait un bien plus beau cadeau à son allié israélien qui n’en attendait pas tant : l’abandon de la solution à deux Etats ! Là-aussi, et d’un trait de plume, le nouveau président américain donne le feu vert à Tel-Aviv, non seulement pour la poursuite de la construction de nouvelles colonies, mais aussi – et surtout – pour de nouvelles annexions unilatérales de terres palestiniennes, sinon pour achever une mainmise sur l’ensemble de la Cisjordanie, en flagrante violation – là-encore – de plusieurs dizaines de résolutions de l’ONU.
C’est le vieux rêve de la droite et de l’extrême-droite israéliennes : la réalisation d’« Eretz Israël », de la mer au Jourdain, c’est-à-dire la formation d’un même espace – en continuité territoriale -, absorbant l’ensemble de la Palestine historique. De fait, les populations palestiniennes seraient alors obligées d’acquérir la nationalité israélienne, mais amputée de toutes les libertés civiles et politiques touchant aux domaines régaliens. Autrement dit, il s’agirait de mettre en place un nouveau système d’Apartheid fondé sur une base théologico-politique, avec une citoyenneté à deux vitesses, elle-même justifiée par des critères d’appartenance ethnico-religieuse. Du jamais vu depuis l’abolition du système de ségrégation raciale qui a régi l’Afrique du Sud de 1948 à 1991… Du jamais vu depuis les purifications ethniques des guerres balkaniques de 1991 à 1999…
Ce serait alors tout simplement la mort – et la mort définitive – des Accords d’Oslo ! Menés en secret et en parallèle de la Conférence de Madrid de 1991, ces accords devaient aboutir au document de paix signé à Washington le 13 septembre 1993 en présence de Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, de Yasser Arafat, président du comité exécutif de l’OLP et de Bill Clinton, président des États-Unis. Cette signature instaurait le principe d’une autonomie palestinienne temporaire de cinq ans pour progresser vers une paix plus durable. La poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin devant la Maison-Blanche et Bill Clinton faisait ainsi renaître l’espoir de l’établissement d’une paix durable entre l’État d’Israël et l’OLP.
Le processus d’Oslo a été complété le 4 mai 1994, par l’Accord de Jéricho-Gaza qui investissait la nouvelle Autorité nationale palestinienne de pouvoirs limités. Enfin, l’accord intérimaire sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza ou « Accord de Taba », qui était signé à Washington le 28 septembre 1995, prévoyait les premières élections du Conseil législatif palestinien et impliquait un découpage négocié des territoires palestiniens en zones où les contrôles israélien et palestinien s’appliquaient de façon différente, dans l’attente de négociations complémentaires à venir.
Largement soutenue par la communauté internationale, cette tentative de paix sera mise en difficulté entre 1996 et 1999 à la suite du durcissement des positions israéliennes sur les thèmes cruciaux du statut de Jérusalem et du problème du retour des réfugiés palestiniens. Les positions les plus extrêmes s’expriment durant les années qui suivent, notamment lors de l’assassinat de Yitzhak Rabin en 1995 par un étudiant israélien d’extrême-droite.
Gelé après 2000 et le déclenchement de la seconde Intifada, le processus d’Oslo n’avait pu être relancé. Dans une entrevue de 2001, ne sachant pas que les caméras tournaient, Benyamin Netanyahou s’est vanté d’avoir fait échouer les accords d’Oslo au moyen de fausses déclarations. Il déclarait alors : « j’interpréterai les accords de telle manière qu’il sera possible de mettre fin à cet emballement pour les lignes d’armistice de 1967. Comment nous l’avons fait ? Personne n’avait défini précisément ce qu’étaient les zones militaires. Les zones militaires, j’ai dit, sont des zones de sécurité ; ainsi, pour ma part, la vallée du Jourdain reste une zone militaire ».
Seize ans plus tard, Donald Trump accrédite ces mensonges et ces tromperies avouées de Netanyahou et exauce son vieux rêve du Grand Israël et la disparition annoncée de la Palestine historique. Sans le souhaiter, il est à craindre que ce déni d’Histoire ne provoque de nouvelles émeutes et guerres meurtrières, non seulement en Palestine et au cœur même d’Israël, mais aussi plus largement dans d’autres régions des Proche et Moyen-Orient… sans parler de la récupération que des mouvements terroristes ne manqueront pas de faire de cette injustice pour continuer à commettre d’autres attentats en Asie, en Afrique, en Europe, sinon aux Etats-Unis…
Richard Labévière