Posté le : 13 février 2012
Source : lepoint.fr
Le politologue grec Georges Contorgeorgi explique au Point.fr pourquoi les manifestants ont sombré dans la violence.
De véritables scènes de guérilla urbaine. À l’annonce de l’adoption par le Parlement du troisième plan d’austérité, ce sont 100 000 Grecs qui se sont précipités dans les rues du pays pour en découdre avec les forces de l’ordre. Le bilan est lourd : plus de 120 blessés et 45 bâtiments endommagés à Athènes. Professeur de sciences politiques à l’université Panteïon d’Athènes, Georges Contorgeorgi explique au Point.fr pourquoi la Grèce ne risque pas de sortir de l’impasse.
LePoint.fr : Que traduisent les violences sans précédent qui ont été observées dimanche soir ?
Georges Contorgeorgi : Les manifestants ont le sentiment qu’on leur impose un plan d’austérité totalement antidémocratique. En effet, la Constitution est violée. D’ailleurs, la troïka au pouvoir déclare expressément qu’elle n’est pas intéressée par ce qui est prévu par la Constitution. Ce que l’Europe ne comprend pas, c’est que la crise grecque n’est pas uniquement due à une crise des marchés européens. Bien au contraire, l’économie grecque n’a été que peu exposée à la crise. Au fond, c’est la crise de l’État grec, qui ne correspond pas à ce qu’est la société.
Que voulez-vous dire par là ?
Depuis le début de la crise, on met la société grecque face à un dilemme : la faillite ou les plans d’austérité. Mais ce n’est pas la bonne question. Tout d’abord, parce que la société grecque est déjà en faillite, vous n’avez qu’à demander aux 50 % de jeunes au chômage. D’autre part, parce que cette violente redistribution des ressources profite aux mêmes personnes.
Qui visez-vous ?
La classe politique grecque, qui se comporte comme une véritable oligarchie pillant la société. La fraude fiscale est encore plus présente qu’auparavant. Le problème, ce n’est pas que les politiques ne peuvent pas, mais plutôt qu’ils ne veulent pas réduire les dépenses de l’État. Lorsque la société au chômage demande à la classe politique de réduire les ressources qu’elle reçoit de l’État, elle refuse en invoquant une « mesure populiste ».
Le gouvernement grec a pourtant été remanié…
Ce n’est pas une question de gouvernement, mais de système. Quiconque arrive au pouvoir ne peut agir différemment, sous peine d’être mis à la porte. L’État a réussi à démanteler la collectivité sociale : on peut parler d’État d’occupation.
Le plan d’aide européen de 130 milliards d’euros n’est-il pas accueilli favorablement ?
Le problème pour la société grecque n’est pas le Fonds Monétaire International, ni l’Union européenne. C’est la classe politique grecque qui est visée. Il s’agit pour la population de montrer que l’argent prêté à la Grèce ne bénéficiera pas à la prospérité de la société. Rien n’a été fait contre la fraude fiscale. C’est donc une nouvelle fois la société qui va payer pour le mauvais fonctionnement de l’État. La vraie question n’est donc pas de savoir si le pays va sortir de la crise, mais qui doit payer.
Le plan d’austérité est-il, selon vous, voué à l’échec ?
Cela va sans dire, car on n’a pas touché aux trois raisons principales de la crise : le comportement mafieux ainsi que les structures de la classe politique, l’administration, et la loi. Tant que celles-ci ne seront pas changées, le pays ne pourra pas sortir de l’impasse, peu importe les plans d’austérité ou les baisses de salaires.
D’autres violences sont-elles à prévoir ?
Il est à craindre que la violence augmente, car la population souffre d’un sentiment profond d’injustice, qui n’est apaisé par aucune porte de sortie. On pourrait d’ailleurs assister à une recrudescence des incidents lorsque le gouvernement commencera à appliquer le plan d’austérité.
Comment interprétez-vous l’annonce d’élections législatives anticipées pour avril ?
Il semble clair que le gouvernement tente de calmer le jeu, mais on ne peut en espérer grand-chose. L’alternance au pouvoir n’apportera aucun changement. Aucun parti en Grèce, de la gauche radicale à l’extrême droite, ne touchera aux véritables causes de la crise grecque.
Que préconisez-vous ?
Il serait relativement facile d’arrêter tous les auteurs de fraudes sociales, par l’intermédiaire de leurs comptes bancaires. Mais le gouvernement n’en fera rien, l’ensemble de la classe politique grecque étant concernée. Il en va de même pour l’administration publique. Aujourd’hui, il est impossible d’obtenir ne serait-ce qu’un simple certificat, si vous ne payez pas. Si rien n’est fait contre ces fléaux, la Grèce ne sortira pas de la crise.
Propos recueillis par Armin Arefi