Posté le : 21-02-2012
Source : Marianne2.fr
Le candidat gaulliste a été expulsé manu militari par les trotskistes des abords de l’ambassade de Grèce où il escomptait manifester. De cet incident, Roland Hureaux tire des leçons de philosophie politique sur le nouvel ordre mondial et ses vrais ennemis.
Rien n’exprime mieux la misère intellectuelle dans laquelle est tombée une certaine extrême-gauche que l’agression dont a été victime Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la République devant l’ambassade de Grèce. Les auteurs en sont, semble-t-il, des trotskistes. Jean-Luc Mélenchon, dont la tolérance n’a jamais été le fort, s’est bien gardé de les désavouer.
Il est clair que les adversaires de gauche de l’ordre mondial libéral vouent un peu de haine à ceux qui défendent cet ordre et beaucoup à ceux qui le combattent d’un autre point de vue que le leur.
Opposer l’antimondialisme de droite à l’altermondialisme de gauche aurait un sens si ce dernier, depuis l’effondrement de l’URSS, avait encore un soupçon de crédibilité. Il faut mettre d’accord beaucoup de monde pour construire un nouvel ordre mondial favorable aux peuples !
Une mutation sans précédent
A vrai dire, ce que n’ont pas compris ces gens-là, c’est la gigantesque mutation de l’ordre symbolique tel qu’il régit le champ politique qui s’est produite au cours des dernières années.
Avant 1789, il n’était pas question de gauche et de droite.
Depuis la Révolution française et jusque vers 1990, la gauche, c’était, pour simplifier, les tenants du peuple (souvent dirigés par des bourgeois), la droite, les tenants des classes dirigeantes (dont une partie du peuple s’accommodait très bien). On distinguait alors le centre droit ou la droite qui représentaient cette partie des classes dirigeantes et qui témoignaient d’une certaine compréhension des aspirations du peuple, de l’extrême-droite qui lui était violemment hostile, le méprisant hautement comme pouvait le faire une certaine aristocratie d’Ancien Régime ou n’hésitant pas à utiliser des méthodes brutales comme le fascisme.
Témoin de cette ancienne polarisation, les propos recueillis d’un vieux cégétiste, aujourd’hui octogénaire, parlant d’un de ses amis qui avait quelque sympathie pour le Front national : « Ce n’est pas possible qu’il soit pour le Front national, il a toujours été très bon avec ses ouvriers. » !
Aujourd’hui tout cela a changé. Les bourgeoisies nationales sont inféodées à un ordre international dont les institutions de Bruxelles sont le relais régional. Surtout, les tenants de cet ordre mondial qui promeuvent les politiques les plus défavorables à la classe ouvrière et même à la classe moyenne, ne se réclament plus du tout de l’extrême-droite, ni même de la droite. Très hostiles à la nation, précisément parce qu’elle demeure (bien plus qu’un « autre mondialisme » totalement utopique) le seul moyen d’assurer une certaine régulation sociale, ils la pourchassent en soutenant certaines politiques de gauche d’une veine proche comme l’antiracisme véhément (1) ou la déconstruction libertaire de l’héritage judéo-chrétien. Etre un milliardaire de gauche n’est pas aujourd’hui un oxymore, c’est la posture la plus intelligente que puisse prendre un milliardaire pas trop demeuré ! Centre droit, centre gauche, c’est ce qu’un tenant de cet ordre définit comme le « cercle de raison », auquel appartiennent bien évidemment les trois candidats les plus à même de gagner la prochaine élection présidentielle.
Et au-delà de ce cercle ? Au-delà, ce sont les ténèbres extérieures, de l’extrémisme, du « populisme », les relents de la « bête immonde ». Si l’homme politique eurocritique a une sensibilité plutôt à droite, par exemple s’il est de tradition catholique ou attaché raisonnablement au drapeau, on dira qu’il est d’extrême droite, s’il se rattache à une tradition de gauche, on dira qu’il est d’extrême gauche. Pour les initiés, c’est le modèle mathématique de la fonction tangente : il suffit que l’ordonnée varie d’epsilon pour que l’abscisse passe de plus infini à moins infini. Cette scissiparité à partir d’un pôle central dominant et supposé modéré n’empêchera pas que les programmes de Debout la République et du Mouvement des citoyens soient à peu près interchangeables. A la tribune de Davos, un financier anglo-saxon dénonçait en 2010 avec une particulière véhémence la tentation du populisme ; que voulait-il dire ? Le populisme, c’était, selon lui, la volonté exprimée par certains de contrôler le système bancaire.
En résumé, ceux qui étaient les plus hostiles aux aspirations populaires se trouvaient autrefois à l’extrême-droite, ils se trouvent aujourd’hui au centre (2).
Les raisons de cette mutation
Pourquoi cette mutation de l’ordre symbolique ?
Elle tient en partie à l’histoire : le nouvel ordre mondial ultra-libéral s’est construit sur le refus, modéré au sortir de la guerre, radicalisé aujourd’hui, d’un fait national, supposé à tort ou à raison responsable des guerres de la première moitié du XXe siècle (nous pensons pour notre part, comme Charles de Gaulle et Jean Paul II que c’est le fait idéologique qui en est le grand responsable et non le fait national !). Ce refus s’est étendu, sous l’égide de l’OMC, à toutes les formes de protectionnisme et surtout à toute entrave à la libre circulation des capitaux. Mais la principale raison de cette mutation de l’ordre symbolique est que la nouvelle oligarchie tient le système médiatique et que, par lui, elle impose une symbolique qui laisse les tenants du capitalisme mondialisé dans une posture plutôt morale, antiraciste, antinationaliste et donc antifasciste et relègue ses adversaires dans les ténèbres extérieures.
La moralité supposée conférée au « cercle de raison » tenant de l’imposture, il est évidemment inacceptable de jeter l’opprobre sur Villiers, Dupont-Aignan ou, par extension, sur tous les héritiers de l’homme du 18 juin.
Et le Front national, dira-t-on ? D’une certaine manière, il est, lui aussi, osons le dire, le contraire d’un parti fasciste, tel qu’il en existait avant la dernière guerre : ces mouvements récusaient les élections et tentaient d’imposer leur loi par la force dans la rue ou les usines, alors que le Front n’existe aujourd’hui que dans et par le processus électoral.
Mais son jeu a-t-il toujours été clair vis-à-vis du nouvel ordre mondial ? Au moment où celui-ci se mettait en place (on peut dater cela du virage libéral du parti socialiste, au milieu des années 1980), il lui fallait des repoussoirs. Le père Le Pen, jusque-là intermittent du spectacle, comprit mieux que d’autres qu’il n’avait de chances de monter sur la scène qu’en acceptant de tenir ce rôle. C’est ainsi qu’il passa de 1 % à 15 %, sortant son courant politique de la marginalité, mais en faisant au passage un immense cadeau à l’ordre mondial qui ne demandait pas mieux que d’assimiler, au travers de deux ou trois mauvaises plaisanteries hautement médiatisées, ses adversaires au fascisme et au nazisme. Ce genre de stratégie ne marche d’ailleurs pas à tous coups : en radicalisant son parti anticapitaliste, Besancenot, a sombré.
Mais en quoi mériteraient l’opprobre les héritiers du gaullisme ou d’un sentiment patriotique naturel ? En conspuant un gaulliste venu soutenir la même cause qu’eux, celle du peuple grec, et qui partage sans doute 90 % de leurs idées, les anticapitalistes de l’extrême-gauche ont montré qu’ils n’ont rien compris aux temps nouveaux. Mieux : qu’ils apparaissent, sans le vouloir, comme les nervis du nouvel ordre mondial.
Les mêmes raisons rendent la gauche classique, celle qui, derrière Mikis Théodorakis, s’était tant mobilisée pour le peuple grec contre le régime des colonels, si terriblement muette devant le régime inhumain que l’implacable mécanique européenne impose aujourd’hui aux Grecs. Papadopoulos non, Papadémos, alias Goldman Sachs, oui. En se révoltant contre l’euro, entreprise transnationale et donc de gauche, les chômeurs grecs dont on coupe les allocations versent dans le populisme ! Ils sentent le soufre. Dans le nouvel ordre mondial, le peuple sent mauvais !
En cassant, comme au bon vieux temps, du supposé fasciste (cet incident n’est pas isolé), les anticapitalistes de gauche venus soutenir le peuple grec ont montré, de manière presque pathétique, leur déphasage. Philosophie de la misère, peut-être, mais misère de la philosophie, à coup sûr.
Roland Hureaux
(1) Dont Alain Finkielkraut a dit qu’il était le marxisme d’aujourd’hui.
(2) Cette situation explique le déchirement d’un François Bayrou centriste à l’ancienne mode mais resté proche du peuple, ou les propos haineux d’un Alain Minc à son égard.