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En Libye, les miliciens-mafieux font la loi

1 mars 20120
En Libye, les miliciens-mafieux font la loi 5.00/5 2 votes

Publié le : 29 février 2012

Source : marianne2.fr

Incapable de mettre en place une police et une armée, six mois après la libération de Tripoli, la Libye vit sous le joug des milices. Dans un rapport récent, Amnesty International parle d’abus systématiques, parmi lesquels des crimes de guerre, commis par une multitude de milices contre des partisans présumés du colonel Kadhafi.

Guerre civile, économie mafieuse, terreur des milices, CNT affaibli, un an après le début de la révolution l’avenir de la Libye s’écrit en pointillés. En témoigne un rapport sur les milices publié fin février par Amnesty International qui décrit la véritable terreur qu’elles font régner et les conflits qui les opposent. En janvier et février, Amnesty International a pu visiter 11 établissements de détention gérés par des milices dans le centre et l’ouest du pays. Dans une dizaine de ces endroits, les détenus ont déclaré avoir été victimes de tortures et de mauvais traitements.

Conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International, Donatella Rovera estime que le « fonctionnement des milices libyennes est en grande partie anarchique et l’impunité générale dont elles bénéficient fait le lit de nouveaux abus et perpétue l’instabilité et l’insécurité. « Il y a un an, des Libyens risquaient leur vie afin de demander justice. Aujourd’hui, leurs espoirs sont menacés par des milices armées criminelles qui piétinent les droits humains en toute impunité. Le seul moyen de rompre avec ces pratiques établies par des décennies d’abus sous le régime autoritaire du colonel Kadhafi est de veiller à ce que personne ne soit au-dessus des lois et à ce que des enquêtes soient menées sur ces violations ».

Officiellement, le ministère de l’Intérieur ne contrôle que 7 des quelques 60 prisons du pays. Le reste est tenu par des milices qui émettent leurs propres mandats et emprisonnent des « suspects » sans recours judiciaire.

Depuis septembre, au moins 12 personnes détenues par les milices ont trouvé la mort après avoir été torturés. Les victimes font état de techniques de tortures similaires à celles pratiquées autrefois sous le régime de Kadhafi : chocs électriques et coups de fouets, de câbles, tuyaux en plastique, chaînes métalliques, barres en bois et des bâtons, menaces de morts ou de viols.  Par ailleurs, les africains d’origine sub-saharienne, les « libyens noirs » de la région de Tawargah dont beaucoup s’étaient ralliés à Kadhafi sont particulièrement visés par ces exactions. Des actes de vengeance : les milices de la région de Misratah accusent la communauté Tawargah d’actes de pillages, viols, meurtres entre mars et mai 2011.

Plus de cent milices dans la seule ville de Tripoli

Dans la capitale, l’ancien diplomate Patrick Haimzadeh décrit une véritable dérive mafieuse : « Chaque milice a son quartier et une véritable économie de la violence s’est mise en place. Il y a de l’alcool, des armes, des trafics des luttes d’influence. Tout cela dégénère très vite en règlements de comptes. Tous les ingrédients d’une guerre civile larvée ».

Sur twitter, la journaliste Hélène Bravin, auteur d’une biographie de Kadhafi écrit que « 127 milices se sont organisées à Tripoli. Elles sont armées jusqu’aux dents ».

Faute de légitimité, le CNT peine à imposer son autorité sur ces formations qui font régner une nouvelle forme de terreur. Chargé de l’exécutif du pays jusqu’à la tenue des élections législatives en juin 2012, le CNT éprouve toutes les peines du monde à intégrer ces milices dans la société civile. Et encore plus à une éventuelle force militaire. Le désarmement et l’intégration des milices « dans des forces de sécurité représentatives de l’ensemble de la nation libyenne » fait pourtant partie d’une des recommandations prioritaires d’un rapport du Collège de Défense de l’OTAN réuni en décembre à Rome pour « brainstormer » sur les conditions d’une lybie stabilisée et pacifiée.

 La Kalachnikov plutôt que le bulletin de vote

Au-delà des atteintes physiques, ces milices posent un véritable problème politique au CNT.
Les milices qui ont renversé la dictature de Kadhafi sont hors de contrôle de toute autorité centrale et dans son rapport Amnesty décrit de véritables mafias régionales qui font régner la terreur sur leur territoire. Immédiatement après la guerre, les milices auraient ainsi assassiné des dizaines de sympathisants de Kadhafi en captivité et rasé les maisons d’autres encore pour les punir de leurs convictions politiques. Sans compter les fréquents affrontements entre milices.

En butte au pouvoir des milices, et aux rumeurs de déstabilisation, le CNT qui entend  promouvoir la réconciliation nationale est complètement désemparé comme le décrit Jeune Afrique : « Les responsables politiques, toutes obédiences confondues, se sentent redevables à l’égard des milices. Leur propre sécurité est aujourd’hui encore assurée par ceux-là mêmes qui les contestent. D’autant que l’obsession de la « cinquième colonne » est ravivée par les déclarations des derniers membres de la famille Kaddafi. Réfugié au Niger, Saadi Kaddafi a ouvertement appelé au soulèvement contre le nouveau pouvoir, dans une interview téléphonique diffusée le 10 février par la chaîne saoudienne Al-Arabiya ».

Un problème qui vient s’ajouter à celui de la prolifération des armes. Si elles ont permis aux troupes rebelles de se débarrasser du Guide libyen, elles approvisionnent désormais allègrement les milices tribales, aussi bien en Cyrénaïque (Est) qu’en Tripolitaine (Ouest). De retour de Libye, Patrick Haimzadeh décrivait une véritable « guerre civile » entre tribus rivales : « L’État n’existe plus. Les gens sortent la kalachnikov au moindre problème. Ils n’ont aucun intérêt à rendre les armes, pour rejoindre une armée sous-payée, commandée par des généraux qu’ils ne reconnaissent pas ».

Bref, le temps des belles promesses de certains philosophes qui sitôt Kadhafi écarté du pouvoir prévoyait la « fin de la nuit libyenne et le dépôt des armes »  paraît bien loin. Au point même de se demander si la tenue d’élections en juin qui visent à former une élection constituante est encore réaliste. Force est de constater que malgré toutes les envolées lyriques, en Libye, l’anarchie règne en maître et la Kalachnikov l’emporte de loin sur le bulletin de vote.

Régis Soubrouillard, Marianne

 

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