Publié le : 04 mai 2012
Source : brn.presse.fr
Dans le brouhaha des élections présidentielles, l’éclatement de la crise politique aux Pays-Bas n’a pas fait grand bruit en France. Le 21 avril, Geert Wilders, le leader du parti « populiste » PVV, a claqué la porte des négociations budgétaires engagées avec le Premier ministre Mark Rutte, dont l’objet était de trouver 15 milliards de coupes budgétaires supplémentaires. Sans participer au gouvernement, le PVV soutenait jusqu’à présent la coalition au pouvoir, qui se retrouve désormais privée de majorité. Des élections anticipées sont désormais probables. Bruxelles, qui avait sommé La Haye de réduire le déficit prévu à 4,6%, a rappelé que cette injonction valait quel que soit le futur verdict des urnes. Notons qu’après la Slovaquie, l’Irlande, le Portugal et la Grèce, la Hollande serait le cinquième pays où le Pacte de « stabilité » (!) provoque la chute anticipée du gouvernement en place.
M. Wilders, qui avait construit sa spectaculaire percée politique à travers ses campagnes radicalement anti-islam, adopte aujourd’hui une stratégie qui vise cette fois les contraintes économiques de l’UE : « nous n’accepterons pas de voir notre peuple saigné à blanc par Bruxelles ». Du nord au sud de l’Union, il vient donc allonger la liste des dirigeants politiques qui jugent l’anti-européisme électoralement payant. Ce qui en dit long sur la popularité de l’intégration parmi les peuples. Conséquence probable : alors que les incertitudes montent dans plusieurs pays sur la ratification du projet de traité dit TSCG, celui-ci risque bien de s’ensabler dans les polders également. La Hollande, membre-fondateur de l’Europe des Six, est « l’autre pays du Non », en référence au rejet populaire de feu le traité constitutionnel européen quelques jours après le référendum français de mai 2005.
Certes, les concepteurs du nouveau Traité ont prévu que celui-ci puisse entrer en vigueur moyennant seulement douze ratifications sur dix-sept. Mais le danger pour l’oligarchie européenne tient au fait que la crise néerlandaise survient précisément au moment des élections françaises. Le 22 avril, la moitié des citoyens inscrits sur les listes électorales n’a voté pour aucun des trois candidats « du système », c’est-à-dire qui ne mettent en cause ni le remboursement de « la dette », ni l’Europe. En outre, même MM. Sarkozy, Hollande et Bayrou ont tenté de se distancier, le temps d’une campagne, des règles bruxelloises. Seule des dix candidats, Eva Joly a plaidé pour « plus d’Europe » – et en a été récompensée comme il convient. Eternelle refoulée, la France du Non sort renforcée du premier tour. La Commission européenne l’a confirmé à sa manière : très inhabituellement au lendemain d’un vote, elle a « exhorté les responsables politiques en Europe à être attentifs au danger populiste, dont les idées vont fondamentalement à l’encontre de l’édifice européen ».
Enfin, on peut enfin prédire que les électeurs grecs, convoqués aux urnes le 6 mai, infligeront une sévère déculottée aux partisans de gauche et de droite de l’Europe troïkane – ce qu’on comprend assez aisément.
Le casse-tête des partisans de l’intégration européenne est d’autant plus redoutable que la crise, qu’ils pensaient avoir au moins provisoirement calmée, est en passe de réapparaître avec une violence redoublée. Les clignotants repassent au rouge, en particulier du côté de l’Espagne, mais aussi de l’Italie – avec, en perspective, la terreur de l’effet domino. Il y a cependant une différence par rapport au premier round : les purges sans précédent dans les budgets publics et le social ont massacré la maigre croissance qui subsistait. Au point que même des économistes orthodoxes s’en inquiètent. Les faucons bruxello-berlinois n’en essaieront pas moins d’imposer un traité contre vents et marées (de chômeurs), ce qui promet d’épiques affrontements. Dans ce nouveau contexte, le maintien coûte que coûte de la monnaie unique via le TSCG apparaît plus que jamais comme une course d’obstacles.
Cette fois, La Haye va être très haute.
Pierre Lévy