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Nuremberg : Churchill voulait l’exécution sans jugement, Staline imposa le procès.

14 novembre 20121
Nuremberg : Churchill voulait l’exécution sans jugement, Staline imposa le procès. 5.00/5 14 votes

Pour quel bilan ?

On présente généralement le Tribunal de Nuremberg mis en place à l’issue de la seconde guerre mondiale pour juger les principaux dignitaires de l’Allemagne nazie ayant survécu au conflit comme un grand pas dans l’histoire de la « justice internationale ». Et il est vrai que la tenue de ce procès hors normes eut sur le droit international et sur l’histoire de la justice, on peut même dire sur l’histoire tout court, des conséquences considérables. C’est d’ailleurs sans doute bien là le problème…

Churchill favorable à la Loi du Talion

La très récente déclassification de documents confidentiels du fameux MI5 britannique qui étaient restés jusqu’à présent secrets vient donc de confirmer totalement ce que certains historiens avaient déjà avancé, mais sans pouvoir fournir des preuves véritablement indiscutables pour appuyer les conclusions de leurs travaux : après la défaite de l’Allemagne nazie, et lors de la fameuse conférence de Yalta en février 1945, le Premier Ministre britannique Winston Churchill plaida bien pour une liquidation pure et simple des principaux dignitaires et criminels nazis, et pour l’emprisonnement sans aucune autre forme de procès de tous les autres.

Ce furent alors Roosevelt et surtout Staline qui refusèrent cette proposition radicale, il est vrai fort peu respectueuse de l’idée que l’on se fait habituellement de la notion même de justice. Le président des Etats-Unis, qui avait d’ailleurs été prêt dans un  premier temps à lui donner son accord, refusa au final la proposition du premier ministre britannique, mettant en avant sa certitude que le peuple américain exigerait des procès. Le Petit Père des Peuples de la Russie, lui, y avait toujours été radicalement hostile. Non par souci d’une justice dont il se fichait comme d’une guigne, mais bien parce qu’il voyait dans la tenue d’un grand procès public un formidable outil de propagande, dans la ligne directe de ceux qu’il avait précédemment organisés et tout à son avantage en Russie entre 1936 et 1938, procès tristement connus de nos jours sous le nom de Procès de Moscou.

Liddell, grand témoin et grand visionnaire

C’est donc ce que confirment aujourd’hui de façon définitive et officielle les carnets personnels de Guy Liddell, haut responsable du contre-espionnage britannique et témoin capital des évènements de l’époque, carnets qui furent gardés au secret durant des décennies dans le coffre-fort des directeurs successifs du MI5, et qui viennent d’être déclassés, édités puis mis à la disposition du public aux archives nationales britanniques.

On y apprend notamment que Liddell soutenait bien le plan conçu à l’époque par Theobald Mathew plaidant pour une exécution immédiate des principaux criminels nazis capturés et pour l’incarcération tout aussi systématique de tous les autres. Une solution on ne peut plus radicale que Winston Churchill repris totalement à son compte lors de la conférence de Yalta, où, on l’a dit plus haut, elle fut donc finalement repoussée par les deux autres chefs d’états du Big Three : par principe ou plutôt par crainte de la réaction de son opinion publique pour le président américain, par pur intérêt propagandiste pour le dictateur russe.

Dans ses carnets, et concernant d’éventuels procès, Liddell écrivit encore qu’il considérait que la tenue de ce procès serait catastrophique, car il s’avérerait en réalité de même nature, en matière d’équité et de justice, que les sinistres procès staliniens. Lorsque le principe du Tribunal de Nuremberg fut finalement acté, il nota ainsi : « Il me semble que nous nous sommes abaissés au niveau des simulacres de justice qui ont eu lieu en URSS pendant les 20 années passées ». Il craignait de plus, comme Churchill, que la tenue d’un tel procès ne constitue au niveau planétaire et pour les années à venir un vrai danger, écrivant notamment : « On ne peut s’empêcher de considérer qu’un dangereux précédent vient d’être créé ».

 En assistant à la tenue du procès durant l’année 1946, Liddell fut en grande partie confirmé dans ses craintes. Malgré la gravité et même l’horreur des faits évoqués lors du procès et la culpabilité d’évidence écrasante des principaux prévenus, il nota dans ses carnets que la surenchère de vainqueurs avides de revanche, notamment du côté russe, ajoutait « considérablement à l’atmosphère quelque peu fausse de la procédure toute  entière », et qu’elle la menait « au point qui en un sens m’inquiète le plus, à savoir, que la cour représente les vainqueurs, qu’ils ont décidé de la charte, de la procédure et de leurs propres règles concernant la recevabilité des preuves,  pour juger et condamner leur vaincu ».

On sait aujourd’hui que les craintes exprimées dans ses mémos par Liddell étaient tout à fait fondées, et qu’il avait bien été à ce propos le visionnaire de ce qui allait devenir une funeste réalité. Staline l’avait emporté sur toute la ligne : Nuremberg, tribunal de vainqueurs jugeant des vaincus, ne s’était hélas pas contenté de châtier des criminels souvent abjects : il avait bien aussi délivré une fausse justice, et donc une vraie vengeance. Mais il avait aussi, comme le craignaient Churchill et Liddell, enclenché le processus d’instauration à l’échelle mondiale d’une mascarade de justice universelle.

Une justice des plus forts pour juger les plus faibles

Le Tribunal de Nuremberg à en effet été le précurseur d’une série de conventions internationales sur les lois de la guerre, le génocide et les droits de l’homme, puis a mené à l’installation de la Cour Pénale Internationale permanente de la Haye. Une grande idée pour un grand pas en avant d’une justice mondiale et impartiale ? Hélas non, cent fois non. Car si de fait cette instance (ce « machin » comme aurait pu dire Charles De gaulle) a toujours été prompte à juger les responsables déchus de petits pays vaincus, les anciens hommes de main du système tombés en disgrâce, jetés à bas par une politique d’ingérence et de déstabilisation ou plus radicalement renversés par les forces militaires sans équivalent de l’Empire et de ses affidés, jamais la CPI ne s’est montrée prête et par exemple à demander des comptes aux pourtant -et très largement- plus grands criminels (de guerre et d’état) de ces  soixante dernières années, à savoir les Etats-Unis d’Amérique : Dresde, Hiroshima, Nagasaki, Cuba, Chili, Argentine, Vietnam, Afghanistan, Irak, Serbie, Libye, Syrie… La liste des conflits souhaités, favorisés, déclenchés, des guerres, et crimes de guerre, des massacres de population qui  en ont découlé, des embargos assassins (Cuba, Irak) ayant causé des millions de morts civils, des « révolutions » inspirées ou directement menées en sous main par la grande puissance nord-américaine est sans équivalent dans l’histoire des dernières décennies. Ce bilan terrifiant ferait très aisément passer Milosevic pour ce qu’il est d’ailleurs : un sinistre et pathétique amateur. Même sans avoir à se prononcer rétroactivement (ce qu’elle n’a d’ailleurs pas statutairement vocation à faire), la CPI avait encore largement de quoi faire -et concernant les Etats-Unis- depuis sa création en juillet 2002. Mais, rassurons-nous : jamais un des successifs chefs d’état de l’Amérique impériale n’aura à répondre de ces crimes devant les juges de La Haye, tant il est vrai qu’il est infiniment plus urgent et utile de s’occuper de juger…  Un Laurent Gbagbo.

Le procès monumental de Nuremberg aura enfanté d’une supercherie monumentale : la « justice internationale », autorisée à ne juger que les faibles, dans l’intérêt hégémonique et au final dictatorial des puissants.

A la vision de ce bilan assez déséspérant, on ne peut que se poser cette très douloureuse question : en 1945, en souhaitant l’exécution des criminels de guerre nazis sans passer par le procès pour éviter une fausse justice et des suites destructrices pour la géopolitique mondiale, Churchill et Liddell n’avaient-ils pas voulu privilégier la moins mauvaise des solutions, et, au fond, n’avaient-ils pas eu tragiquement  raison ? On est malgré tout tenté de répondre que la tenue du Procès de Nuremberg, avec ses flagrantes entorses à l’équité et à la simple justice (la partie civile décidant en l’occurrence du verdict) était sans doute encore préférable à la solution souhaitée par le chef d’état britannique. Sans doute… Mais si l’on peut se ranger à cette idée en invoquant la notion du « moindre mal », encore faut-il avoir bien conscience que cela resta un mal très réel aux conséquences tragiques, et ne pas, à l’instar de ces chers droits-de-l’hommistes qui font aujourd’hui la pluie et le beau temps dans notre pauvre France, voir le monde binairement peuplé de gentils très gentils, et de méchants très méchants, dès lors qu’ils pensent « en dehors des clous » états-uniens et donc de fait, hélas, depuis la fin de l’exception gaullienne, en dehors des nôtres.

 Nuremberg, ou l’histoire définitivement écrite par les vainqueurs

Mais l’une des autres conséquences perverses de la tenue du procès de Nuremberg aura sans doute été sa contribution majeure à la transformation en France d’une discipline vivante, l’histoire, en une discipline désormais morte sur certains sujets, figée, momifiée comme elle l’est désormais dans le carcan mortifère de l’ « histoire officielle ».

Car c’est en s’appuyant sur les conclusions de jugement de Nuremberg que la tristement fameuse et liberticide Loi Gayssot (qu’on devrait d’ailleurs plutôt qualifier de Loi Fabius, tant il est vrai qu’il en fut le véritable initiateur et rédacteur,  le député communiste Jean-Claude Gayssot lui servant en réalité de pathétique prête-nom), scelle -et sous menace de prison ferme en cas de contestation- définitivement dans le marbre les conclusions, bilans et chiffrages de victimes de la seconde guerre mondiale. Conclusions, bilans et chiffrages pourtant impossible à accepter par principe et sans aucune discussion ni contestation, puisque découlant comme on l’a vu d’un jugement rendu par un vainqueur pour châtier son vaincu. Quantité de nouveaux documents ou archives ont été révélés ou découverts depuis 1945, et tout historien sérieux et simplement intègre ayant réellement abordé cette période si tragique du XXème siècle ne peut qu’admettre qu’un certain nombre des conclusions et affirmations de Nuremberg sont, sinon mensongères, du moins -sur certains points- très largement contredites par ces nouveaux documents. Il est pourtant donc aujourd’hui en France interdit d’en faire réellement état, sous peine de poursuites pénales. C’est ainsi qu’est sacralisée par la loi une histoire officielle… Pour partie objectivement fausse. Mais peu importe, nos bonnes âmes, au nom de la « bonne cause » s’accommode sans dommage de tels détails !

Ces mêmes adeptes de la censure et de l’instauration d’un sidérant délit d’opinion en démocratie (si l’on peut encore utiliser ce mot) ne s’arrêtèrent d’ailleurs pas en si bon chemin, la Loi Gayssot ayant fait des enfants tout aussi pervers qu’elles.  Ont en effet suivi d’autres « lois mémorielles » : la Loi Taubira sur la traite et l’esclavage (uniquement transatlantiques : concernant la traite africaine et musulmane, pour madame Taubira, c’était circulez, il n’y a rien à voir!), puis la Loi sur le génocide arménien (bien que jugée depuis contraire à la Constitution par le conseil Constitutionnel). Et en attendant la prochaine, qui ne saurait sans doute trop longtemps tarder.

Nuremberg a donc fait date dans notre histoire, et ses conséquences se sont, à l’échelle planétaire comme à l’échelle française, très fortement faites sentir. Le monde en est-il vraiment meilleur pour autant? Il est à tout le moins permis d’en douter très sérieusement : entre le souci de justice et la volonté de vengeance, la vérité officielle et la réalité historique, la souveraineté, l’indépendance des peuples et la loi du plus fort, il n’y a peut-être parfois et tout simplement pas de bonne solution.

Marc LEROY – La Plume à Gratter

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Une réponse pour Nuremberg : Churchill voulait l’exécution sans jugement, Staline imposa le procès.

  1. christine le 14 novembre 2012 à 20 h 05 min

    Bravo Marc, ton article est très brillant.
    Je m’interroge sur notre pays où il est acquis que l’on peut être emprisonné pour délit d’opinion alors que la Constitution affirme que nul ne peut être inquiété pour ses opinions… Quid de la liberté d’expression ??? De la recherche de la vérité ??? Et de la Démocratie donc ???

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